Par la grâce de D.ieu,
7 Tamouz 5712,
A mon proche parent, distingué ‘Hassid qui craint D.ieu
et se consacre aux besoins communautaires, homme plein
d’empressement, aux multiples accomplissements,
le Rav Its’hak(1),
Je vous salue et vous bénis,
J’ai bien reçu, quoiqu’avec un peu de retard, votre lettre du 23 mai, avec ce qui y était joint.
Je me souviens de ce que m’a dit mon beau-père, le Rabbi, à propos du centre(2) que vous avez créé et de ce qu’il y a lieu d’en attendre. Il vous a même transmis sa participation personnelle, pour cette création. Vous n’avez donc nul besoin de mon accord(3). Néanmoins, je fais suite au roi(4), à mon tour, pour vous exprimer mes vœux de réussite, concernant ce centre. Par l’intermédiaire de notre bureau(5), vous recevrez également ma participation à ses activités, pour un montant de quinze mille francs.
Vous parlez, dans votre lettre, d’un mémorial, à Paris, qui serait "le tombeau du martyr juif inconnu"(6). Vous me pardonnerez de ne pas partager votre avis, en la matière. Je pense à ceux qui sont morts pour sanctifier le Nom de D.ieu(7), à la réaction qui serait la leur s’ils apprenaient qu’un mémorial leur est consacré en plein Paris, fondé par une association dirigée par des ‘Hassidim, des Justes, certes, mais appartenant à d’autres nations(8). Que diraient-ils d’une telle idée?
Bien plus, il y a actuellement des centaines, des milliers, des dizaines de milliers de martyrs vivants(9), qui sont bien connus, qui ne disposent pas même d’un morceau de pain, au sens matériel. Plus nombreux encore sont ceux qui sont dépourvus de pain spirituel.
Pour quelle raison leur faim n’est-elle pas assouvie? Essentiellement pour des raisons financières. Dès lors que l’on parvient à réunir des fonds, la question qui se pose est donc la suivante. Faut-il construire un mémorial de pierre, à Paris, sur une large place, afin que ceux qui passent à proximité de ce monument se souviennent que plusieurs millions de Juifs sont morts pour sanctifier le Nom de D.ieu ou bien, pour la même somme, est-il préférable de donner à manger et à boire à ceux qui ont faim et soif, au sens littéral ou bien faim et soif de la Parole de D.ieu, Source de la vie? Il me semble que la réponse à cette question ne fait aucun doute.
Certes, on pourrait justifier votre raisonnement en disant qu’il est devenu courant de satisfaire les besoins de ceux qui ont faim et soif, que cela se fait chaque jour et que nombreux seront donc ceux qui refuseront leur participation financière à une telle action. A l’opposé, bâtir un grand mémorial dans une ville importante, qui suscitera l’intérêt des grands d’Israël et de nombreux Justes des nations, attirera des participations enthousiastes et chaleureuses.
Malgré tout cela, il est bien difficile de trancher, en la matière et d’accepter l’investissement de milliers de dollars dans des pierres et de la terre, en un coin de Paris, alors que des milliers, des dizaines de milliers de Juifs, en Terre Sainte et à l’extérieur de celle-ci, réclament des secours urgents.
Je m’excuse encore une fois de contredire votre avis par la présente. J’ai bon espoir que vous ne m’en voudrez pas.
Avec ma bénédiction et mes respects, pour vous et votre épouse, de même qu’à tous les membres de votre famille, mes proches parents,
Notes
(1) Le Rav Its’hak Schneersohn, de Paris.
(2) Il s’agit du musée de la déportation, à Paris.
(3) Pour le créer.
(4) Au précédent Rabbi.
(5) Le bureau d’aide aux réfugiés, à Paris, sous la direction du Rav Binyamin Gorodetski.
(6) Il s’agit du mémorial du martyr juif inconnu, dans la crypte du musée précédemment cité.
(7) Aux six millions de victimes du nazisme.
(8) Les non-Juifs se consacrant à ce projet avec le Rav Schneersohn.
(9) Les rescapés de la Shoa.