Lettre n° 2625

Par la grâce de D.ieu,
2 Iyar 5714,
Brooklyn,

Je vous salue et vous bénis,

Je fais réponse à votre lettre, par laquelle vous m’interrogez sur ce que vous ne comprenez pas dans la lettre de mon beau-père, le Rabbi(1), dont le mérite nous protégera, qui a été publiée par le Bitaon ‘Habad.

Je me demandais si je devais répondre à votre lettre. En effet, je n’y vois que la question que vous posez sur les propos de mon beau-père, le Rabbi, alors que vous n’évoquez pas votre étude de la ‘Hassidout, pas même celle de la partie révélée de la Torah. Or, lorsque l’on envisage l’étude d’une partie de la Torah, quelle qu’elle soit, il n’est pas bon de commencer par une question. C’est uniquement après avoir étudié cette discipline de la Torah pendant quelques temps et en avoir acquis quelques notions que l’on peut poser des questions ou, pour être plus précis, demander des précisions, qui ont échappé en première analyse.

Néanmoins, je veux considérer que votre démarche est honnête et que vous n’êtes animé que d’une bonne intention. J’en trouve la preuve dans le fait que vous participez et aidez à l’édition de livres portant sur l’enseignement profond de la Torah, en particulier le Zohar et le Tikouneï Zohar. C’est pour cela que je vous adresse ces quelques lignes.

Question :

La lettre de mon beau-père, le Rabbi, dont le mérite nous protégera, qui est imprimée dans le Bitaon ‘Habad, tome 4, page 37, explique la différence entre la manière d’étudier la Torah d’un ‘Hassid et celle d’un opposant à la ‘Hassidout. L’un et l’autre ont une étude profonde. L’un et l’autre recherchent leurs erreurs et s’emploient à les rectifier.

La différence entre eux est, en fait, la suivante. Les ‘Hassidim savent que ce qui est écrit dans le livre est le bien et la vérité, que l’erreur se trouve en eux, dans leur esprit. L’opposant à la ‘Hassidout, en revanche, prétend que ses connaissances et son analyse sont exactes, que l’erreur se trouve donc dans le livre.

Vous êtes surpris par une telle explication. En effet, comment dire que les plus grands, parmi les opposants à la ‘Hassidout, étudiaient la Torah de cette façon ?

Réponse :

Pour comprendre tout cela, il faut, au préalable expliquer ce qui est encore plus singulier et étonnant. Le Pardès de Rabbi Moché Cordovero est cité dans un discours ‘hassidique(2), dont l’auteur est vraisemblablement l’Admour Hazaken, auteur du Tanya et du Choul’han Arou’h, en ces termes : “ Il nous faut comprendre l’explication du Pardès selon laquelle celui qui n’étudie pas la Kabbala est un hérétique ”.

Puis, ce discours ‘hassidique donne le commentaire suivant : “ Même s’il n’est pas un hérétique, il le deviendra à terme, pour peu qu’il soit attiré par la réflexion ”. En effet, la création du monde, avec ses différents aspects, émanant tous de l’Unité infinie de D.ieu et de la Providence divine, ne modifiant nullement Son Unité, est bien un non sens, d’après la recherche philosophique.

C’est donc en se posant de telles questions que l’on aboutit à des conceptions hérétiques. En effet, c’est uniquement par l’enseignement de la Kabbala que l’on peut y répondre de manière conforme à notre foi. C’est là ce que veut dire le Pardès.

Ceci fait vraisemblablement référence au Pardès, porte 1, chapitre 9, qui parle d’un impie. Et le Rambam, au troisième chapitre des lois de la Techouva, précise la différence entre un impie et un hérétique(3). Ce discours ‘hassidique, en revanche, n’introduit pas ces distinctions. De plus, l’Admour Hazaken et ses successeurs donnèrent leur enseignement “ en Yiddish et non dans la Langue sacrée ”, selon l’expression d’Iguéret Hakodech, chapitre 25, page 141a. Celui qui en traduisait le texte en Hébreu ne savait pas toujours en préciser toutes les nuances.

Il en est de même pour ce qui fait l’objet de notre propos.

Au début de son étude, un opposant à la ‘Hassidout n’agit pas comme le décrit la lettre précédemment citée. Néanmoins, pour peu qu’il marque fortement ses positions, il parviendra, à terme, à le faire. En effet, il est un principe établi que la Torah ne se trouve pas dans le ciel et qu’elle a été donnée aux hommes. Chacun doit donc concentrer tous ses efforts afin de la comprendre par les forces de son intellect. Et, celui qui a le mérite de l’enseigner ne peut le faire qu’en fonction de sa propre analyse(4), comme en attestent, en particulier, l’épisode du four du serpent, au traité Baba Metsya 59b(5), la controverse qui fut soulevée devant le Tribunal céleste, rapportée par le traité Baba Metsya 86a(6) et la déclaration de D.ieu selon laquelle : “ Mes enfants M’ont vaincu ”.

En conséquence, celui que D.ieu a doué de discernement et qui entend en faire usage, lorsqu’il souhaite étudier la Torah, d’après ses règles établies, telles qu’elle les exprime elle-même, doit savoir qu’il en reçoit pleinement les moyens et peut agir en conséquence. Or, D.ieu n’exige qu’en fonction des forces dont chacun dispose. Il doit donc se servir de son intellect et il peut trancher en fonction de ce qu’il comprend, ce qui veut dire que ses connaissances et son analyse sont vraies. S’il découvre une contradiction dans un livre, il ne devra pas s’y arrêter, en fonction de ce qui vient d’être dit. Nos Sages disent, en effet, au traité Roch Hachana 25b, que “ le verset mit en parallèle les trois hommes les plus insignifiants(7) et les trois hommes les plus grands(8), afin d’établir que Yeroubaal(9) fut, en sa génération, comme Moché, en la sienne ”.

L’une des différences fondamentales entre un ‘Hassid et un opposant à la ‘Hassidout est la suivante. Un ‘Hassid considère que son âme et celle de son prochain sont des parcelles, des branches de l’âme collective, celle de son Rabbi. Un lien très fort existe donc entre eux, dans les domaines spirituels comme dans les domaines matériels, de sorte que ce qu’il advient de l’un concerne l’autre, pour une large part, matériellement ou spirituellement. Bien évidemment, cela est également vrai pour l’étude de la Torah et la pratique des Mitsvot.

Ce qui vient d’être dit nous permettra de comprendre un proverbe bien connu(10) des maîtres de la ‘Hassidout, commentant le verset : “ Le Juste vit par sa foi ”. Les maîtres disent : “ Ne lis pas ‘vit’, mais ‘fait vivre’ ”. En effet, par sa foi et par son œuvre, le Juste fait vivre ceux qui sont en relation avec lui et liés à lui.

Il en résulte également qu’une âme particulière ne peut pas être l’autorité, en dernière instance, pour ce qui concerne sa propre étude de la Torah, n’étant qu’un élément d’un ensemble. Car, il existe aussi d’autres éléments, capables de clarifier sa compréhension. Combien plus l’âme collective peut-elle favoriser sa perception et l’éclairer en élargissant ses moyens. De la sorte, cette âme particulière comprendra mieux et plus profondément.

Mieux comprendre certains aspects d’un sujet permet d’en avoir globalement une perception plus exacte. Et, ce qui est vrai pour l’idée comprise l’est également pour la capacité de comprendre. En la développant sur un point, on l’accroît également sur les autres points.

Il faut donc avoir conscience de tout cela. Il est de notre devoir d’investir tous nos efforts dans l’étude de la Torah et la pratique des Mitsvot. Et, nul ne peut s’acquitter de son obligation par le fait qu’une autre âme particulière, ou même qu’une âme collective le fasse. Le devoir en incombe à chacun.

Pour autant, même si la Torah a été donnée aux hommes, on doit savoir que l’on n’est soi-même, en tout et pour tout, qu’un seul élément, que l’on ne se sert que d’un seul aspect de sa capacité de comprendre. On peut donc se tromper et les autres éléments sont donc capables de rectifier et de compléter cette compréhension. Combien plus la compréhension de l’âme collective peut-elle éclairer cette notion, d’une intense lumière intellectuelle.

Une telle conception modifie d’emblée la manière d’aborder la Torah. Comme le dit mon beau-père, le Rabbi, dans sa lettre, on acquiert, en pareil cas, la certitude que ce qui est dit dans le livre est bon et vrai, puisque celui-ci a été diffusé parmi les enfants d’Israël et reconnu par plusieurs de ses éléments. Une erreur ne peut donc être imputé qu’à soi-même et à sa propre compréhension. En effet, on est, personnellement, qu’un seul élément. On doit, en conséquence, solliciter l’aide des autres éléments et, à n’en pas douter, ceux-ci permettront de trouver l’erreur.

* * *

Je n’aborde ici le sujet que dans sa globalité, car il est difficile d’entrer dans le détail, dans le cadre d’une lettre, d’autant que vous ne me précisez pas quel est votre niveau de connaissance de la partie révélée de la Torah, ni ce que vous avez étudié, et de quelle façon, de la partie profonde de la Torah, qui est appelée “ l’arbre de vie, dans lequel n’est soulevée aucune question, émanant du côté du mal, aucune controverse, résultant de l’esprit d’impureté ”, selon les termes du Raya Méhemna, dans le Zohar, tome 3, page 124b. Igueret Hakodech, de l’Admour Hazaken, explique longuement cette idée, au chapitre 26.

Il faut souligner et préciser que mon beau-père, le Rabbi, dans sa lettre, parle précisément de quelqu’un qui s’oppose à la ‘Hassidout et non de celui qui lui est indifférent. Ce n’est pas par hasard et, bien entendu, cela aussi permet de comprendre le contenu de ses propos.

Lorsque l’ensemble de la Torah fut globalement reçu par tout le peuple juif, il fut nécessaire de proclamer, au préalable : “ Nous ferons et (ensuite) nous comprendrons ”, afin que “ l’intégrité de ceux qui sont droits les console ”. Nos Sages expliquent, au traité Chabbat 88b, qu’il en est de même pour la réception de chaque détail de la Torah, quel que soit le palier d’interprétation auquel il se rattache. Il faut, là encore, dire : “ Nous ferons et (ensuite) nous comprendrons ”. C’est uniquement dans ce cas que l’on reçoit ce détail et que “ l’intégrité de ceux qui sont droits les console ”.

Avec ma bénédiction,

Pour le Rabbi Chlita,
le secrétaire,

Notes

(1) Voir les Iguerot Kodech du Rabbi Rayats, tome 18, lettre n°3438.
(2) Imprimé dans le Séfer Hamaamarim Admour Hazaken 5570, page 53 et dans le Séfer Hamaamarim Inyanim, page 335.
(3) Paragraphe 5. L’hérétique, Apikoros, est celui qui conteste la prophétie et la possibilité pour D.ieu de communiquer avec les hommes, qui remet en cause la prophétie de Moché et qui considère que D.ieu n’a pas connaissance des actes des hommes. L’impie, Kofer, est celui qui pense que la Torah, ou même un verset, un mot de celle-ci, n’a pas été donné par D.ieu, mais inventé par Moché, qui nie la valeur de la Loi Orale ou prétend que D.ieu a échangé une Mitsva contre une autre, ou bien qu’Il a supprimé une partie de la Torah.
(4) Le Rabbi paraphrase la sentence talmudique, selon laquelle “ le juge ne peut se baser que sur ce qu’il voit de ses yeux ” et dit ici : “ celui qui veut juger ne peut se baser que sur ce qu’il voit par les yeux de son intellect ”.
(5) “ Il a été enseigné : Si l’on découpe un four d’argile en tranches, dans le sens de la largeur et que l’on glisse du sable entre ces tranches, celui-ci sera pur, selon Rabbi Eliézer et impur, selon les Sages. C’est ce que l’on appelle un four du serpent. Pourquoi du serpent ? Rav Yehouda explique, au nom de Chmouel : Parce que les Sages l’ont entouré de questions, comme un serpent qui s’enroule sur le sol et l’ont décrété impur. Ce même jour, Rabbi Eliézer répondit à toutes les questions du monde, mais l’on n’accepta pas son avis. Il dit : Si j’ai raison, que ce caroubier en fasse la preuve. Le caroubier fut déraciné et projeté de cent coudées ou, selon une autre version, de quatre cent coudées. On lui répondit : On ne peut tirer aucune preuve d’un caroubier. Il dit encore : Si j’ai raison, que ce cours d’eau en fasse la preuve. Le cours d’eau fut détourné vers l’arrière. On lui répondit : On ne peut tirer aucune preuve d’un cours d’eau. Il dit : Si j’ai raison que les murs de la maison d’étude en fassent la preuve. Les murs de la maison d’étude se penchèrent, prêts à s’écrouler. Rabbi Yochoua les réprimanda : Lorsque les Sages discutent la Hala’ha, pourquoi devez-vous vous en mêler ? Par respect pour Rabbi Yochoua, ils ne s’écroulèrent donc pas, mais, par respect pour Rabbi Eliézer, ils restèrent penchés. Ce dernier dit encore : Si j’ai raison, que le ciel en fasse la preuve. Une voix émana du ciel et dit : Pourquoi vous en prenez-vous à Rabbi Eliézer, alors que la Hala’ha suit systématiquement son avis ? Rabbi Yochoua se dressa et dit : La Torah ne se trouve pas dans le ciel. Rabbi Yermya précise : Depuis qu’elle a été donnée, sur le mont Sinaï, nous ne tenons pas compte d’une voix céleste. En effet, il a été inscrit dans la Torah, lorsqu’elle fut donnée, que l’on doit adopter l’avis de la majorité. Rabbi Nathan rencontra alors le prophète Elyahou et lui demanda : Que fait D.ieu en ce moment ? Il lui répondit : Il sourit et dit : Mes enfants M’ont vaincu. ”
(6) “ Rav Kahana dit : Rav ‘Hama, petit-fils de ‘Hassa, m’a raconté que Rabba Bar Na’hmani est mort du fait des persécutions. Il fut, en effet, dénoncé dans la maison du roi. On dit : Il y a un Juif qui permet à douze mille autres Juifs de ne pas payer d’impôt pendant un mois d’été et pendant un mois d’hiver, en les empêchant de travailler, du fait de son enseignement. On lui envoya un émissaire du roi, mais celui-ci ne le trouva pas. Rabba s’enfuit et se rendit de Poumbedita à Accra, d’Accra à Agma, d’Agma à Chi’hin, de Chi’hin à Tsrifa, de Tsrifa à un cours d’eau et de ce cours d’eau à Poumbedita. C’est dans ce dernier endroit qu’il le trouva. En effet, l’émissaire du roi se rendit chez l’hôte de Rabba. On mit une table devant lui et on lui servit deux verres. Puis, on ôta la table par derrière lui et son visage passa à l’arrière de son corps. On dit à Rabba : Que faire de lui ? C’est un homme du roi ! Il répondit : Placez de nouveau la table devant lui, servez-lui un verre, puis ôtez la table par devant lui et il guérira. L’homme se dit : Je sais maintenant que celui que je recherche est ici. Il le chercha et le trouva, mais il se dit : Je quitte cet endroit. Même si l’on me tue, je ne révélerai pas où il se trouve. En revanche, si l’on me frappe, je le ferai. On fit venir Rabba devant lui, il le plaça dans une petite pièce et il en ferma la porte. Rabba pria, le mur s’écroula et il s’enfuit vers l’étang. Il prit place près d’une palmeraie et étudiait la Torah. Alors, une controverse fut soulevée dans la maison d’étude du ciel : Si la tache de la plaie de lèpre se forme sur la peau avant que n’y pousse un poil blanc, la plaie est impure. Si le poil pousse avant la formation de la tache, elle est pure. S’il y a un doute sur ce qui est apparu en premier, le Saint béni soit-Il dit que cette plaie est pure et tous les autres membres de la maison d’étude céleste disent qu’elle est impure. On demanda : Qui tranchera ? Ce sera Rabba Bar Na’hmani, qui témoigna lui-même être un spécialiste des lois relatives aux plaies et de celles qui régissent la propagation de l’impureté. Le ciel envoya un émissaire pour lui prendre son âme. Mais, l’ange de la mort ne pouvait s’approcher de lui, car il ne cessait pas d’étudier la Torah. Alors, le vent souffla et on l’entendit gronder entre les joncs. Rabba pensa qu’il s’agissait d’un groupe de cavaliers. Il se dit : je mourrai plutôt que d’être remis aux soldats du roi. Et, l’ange de la mort lui prit son âme. Lorsqu’il mourut, il répondit à la question : Pure, pure. Une voix émana alors du ciel et dit : Tu es bienheureux, Rabba Bar Na’hmani. Ton corps est pur et ton âme l’a quitté dans la pureté. Un feuillet tomba du ciel et se posa dans la maison d’étude de Poumbedita. Il y était inscrit : Rabba Bar Na’hmani a été convoqué dans la maison d’étude céleste. ”
(7) Chimchon, Guideon et Ifta’h.
(8) Moché, Aharon et Chmouel.
(9) Il s’agit de Guideon, ainsi appelé parce qu’il combattit l’idolâtrie de Baal.
(10) Voir Iguerot Kodech de l’Admour Hazaken, lettre n°51, Toledot ‘Habad Be Erets Hakodech, page 24-25.