Lettre n° 551

Par la grâce de D.ieu,
18 Kislev 5710,

Au grand Rav, descendant d’une prestigieuse lignée,
‘Hassid qui craint D.ieu, le Rav Y. Leiner(1),

Je vous salue et vous bénis,

J’ai bien reçu votre article(2) intitulé "Le Gaon de Vilna, l’homme de la partie révélée de la Torah et de son enseignement caché".

Pour témoigner de mon appréciation, je formulerai quelques remarques, selon l’ordre des pages. Nos Sages disent, en effet, au traité Baba Metsya 84a(3): "Il remarquait: Une Boraïta conforte ta position... Il lui dit: Chaque fois que je citais un enseignement, il soulevait... auxquelles j’apportai... Crois-tu que je ne sais pas que mon enseignement est exact?":

A) Page 168: Le Radak, commentant le verset Chmouel 2, 15, 21, explique la différence entre la manière de lire la Torah et la façon de l’écrire. Il développe une même explication dans l’introduction de son commentaire.

Or, les lecteurs de Talpyot ne sont pas uniquement des Juifs orthodoxes, craignant D.ieu et inébranlables dans leur foi. A mon humble avis, on ne peut reproduire, en l’état, tout ce qui a été écrit, en la matière, par les grands exégètes et penseurs d’Israël, tout comme on ne peut publier dans un périodique ce que dit le Abrabanel, dans son introduction au commentaire de Yermyahou, à propos de la distinction devant être faite entre la manière de lire les versets de ce prophète et celle de les écrire. Même si l’on est tenu de reproduire un tel texte, on peut au moins ajouter une note, précisément que cette position ne fait pas l’unanimité.

En l’occurrence, ce que dit le Radak s’oppose, en effet, à l’interprétation de nos Sages, exprimée au traité Nedarim 37b, que vous citez vous-même dans votre article. La position de la Kabballa, sur la différence entre la manière de lire et d’écrire les versets, peut être trouvée dans le Or Torah du Maguid de Mézéritch, à la Parchat Kora’h, cité par le Likouteï Torah, à la fin de la Parchat Vaykra et dans le Likouteï Torah Chir Hachirim, au commentaire du discours ‘hassidique intitulé "tu as capté mon coeur, ma soeur, ma fiancée", paragraphe 6. Ces textes disent que la manière d’écrire un verset correspond au monde de la pensée, qui est le "monde caché" et la manière de le lire, au monde de la parole, qui est le "monde révélé".

B) Page 171: A propos de "Rabbi Yaakov paye(4)", vous consulterez le commentaire des Tossafot, à la fin du premier chapitre du traité Guittin, selon lequel il s’agit ici de la formulation de la Boraïta.

Vous consulterez également le Chomer Emounim, du Rav Y. Irgas, seconde introduction, fin de la première proposition.

C) Page 174: Vous dites que le Rambam avait connaissance de l’enseignement de la Kabballa(5). C’est effectivement ce que dit mon beau-père, le Rabbi Chlita, qui le reçut de son père et maître(6), lequel le reçut lui-même de son maître, jusqu’au Baal Chem Tov: "Le Rambam était un grand Kabbaliste". Ceci figure dans le Sefer Hasi’hot Kaïts 5700, à la page 41.

Je notais, dans les références de ce texte, en bas de page, que l’on peut s’interroger sur ce que dit le Chaar Haguilgoulim du Ari Zal, introduction 36 et recueil, selon lequel le Rambam n’a jamais étudié la Kabballa, conformément à la source de son âme. J’ai cité, à ce propos, le Chemot Haguedolim du ‘Hida.

D) Page 180: Vous dites que le Gaon de Vilna, par son inspiration divine, ainsi qu’il est dit: "D.ieu confie Son secret à ceux qui Le craignent", put établir que Na’hchon était mort à Kivrot Hataava. On peut s’interroger sur une telle affirmation, pour différentes raisons, d’autant que le Gaon de Vilna précise lui-même ses sources. Commentant l’affirmation du Séder Olam selon laquelle Na’hchon mourut la seconde année(7), il dit: "Il mourut à Kivrot Hataava, car il était l’un des dignitaires du campement".

Il indique ainsi que tous ceux qui étaient sortis d’Egypte, à l’exception de ceux qui étaient morts à la suite d’une punition, seraient entrés en Erets Israël, si ce n’était la faute des éclaireurs et peut-être était-ce pour cette raison que le partage de la Terre Sainte fut fait en fonction de ceux qui avaient quitté l’Egypte.

Or, le verset parle de la mort des Justes dans la seconde année, lorsque Na’hchon quitta ce monde, ainsi qu’il est dit: "Elle atteint l’extrémité du campement". Rabbi Chimeon Ben Menassya explique, dans le Sifri, "les dignitaires(8), les grands du campement". Ceci se passa à Tavéra, mais le verset Masseï 33, 16 permet d’établir que ce lieu était inclus dans Kivrot Hataava.

C’est ainsi que l’on peut interpréter le verset Beaalote’ha 11, 34: "Et il appela cette endroit Kivrot Hataava", c'est-à-dire l’endroit mentionné au verset 13, 3, puisqu’il n’est, entre temps, question d’aucun voyage. Vous consulterez, à ce propos, le Sifri.

Telle est donc la conception du Gaon de Vilna et elle soulève une difficulté, d’après les écrits du Ari Zal, commentant le verset Devarim 10, 22, qui disent que Tavéra et Kivrot Hataava sont deux niveaux différents, identifiés aux Sefirot de Kéter et Bina.

Je suis surpris de tout cela, car l’explication de nos Sages permet d’établir que Na’hchon est bien mort à Kivrot Hataava. En effet, dans le Sifri, commentant le verset "et les plus méprisables parmi eux", Rabbi Chimeon Ben Menassya dit: "Il s’agit des anciens, ainsi qu’il est dit: rassemble(9) pour Moi soixante dix anciens". Le Yalkout Chimeoni les cite nommément et mentionne également Na’hchon.

On peut donc se demander pourquoi le Gaon de Vilna et le Meï Chiloua’h ne citent pas cette preuve irréfutable.

E) Page 188: Vous dites que les disciples du Gaon de Vilna s’opposèrent à lui sur l’enseignement de la Kabballa. L’exemple le plus flagrant est la controverse qui se fit jour sur une notion fondamentale, celle du Tsimtsoum(10).

L’Admour Hazaken adopte la position de ceux qui considèrent que cette rétractation de la Lumière divine ne doit pas être interprétée au sens littéral et il exclut totalement la conception contraire, au septième chapitre de Chaar Hay’houd Vehaémouna. Le Gaon de Vilna, en revanche, définit le Tsimtsoum au sens littéral, dans son recueil commentant le Sifra De Tsinouta. Il semble que ce soit pour cette raison que le Tsavaat Haribach(11) ait été brûlé, à Vilna, selon le chapitre 12 du Beth Rabbi. Et vous consulterez également la lettre de l’Admour Hazaken, imprimée à cette référence.

Rabbi ‘Haïm de Wologhin(12) n’interprétait pas non plus le Tsimtsoum au sens littéral, comme l’indique son Néfech ‘Haïm, porte 3, chapitre 7. Mais, il ne dit pas que tel est l’avis des ‘Hassidim et non celui de son maître.

F) Page 184: Des exemples de Décisionnaires s’opposant sur la manière de trancher la Loi, mais non sur l’attitude à adopter concrètement peuvent être trouvés dans le Sdeï ‘Hemed, à la fin des principes des Décisionnaires.

G) Page 188: Vous citez la date de l’été 5536(13) qui apparait bien dans plusieurs éditions du Choul’han Arou’h de l’Admour Hazaken, mais il s’agit, à l’évidence, d’une erreur d’imprimerie, car le Maguid de Mézéritch quitta ce monde en 5533(14) et il faut donc dire ici 5532(15). C’est ce qui figure dans le manuscrit de cette réponse de l’Admour Hazaken, qui se trouve dans la collection de mon beau-père, le Rabbi Chlita(16).

Le Chéérit Israël du Rav Y. D. de Vilednik dit que "il est interdit de rectifier les livres, car chaque erreur a sa raison d’être. On ne doit même pas supprimer une erreur évidente, mais simplement noter en marge qu’il s’agit d’une erreur d’imprimerie. Le véritable sage mentionnera donc toutes les versions qui existent de ce livre".

Je conclus en vous marquant mon respect et en vous souhaitant tout le bien,

M. Schneerson,

Notes

(1) Le Rav Yerou’ham Leiner, de Londres. Voir les lettres n°188 et 195.
(2) Paru dans la revue Talpyot de Tamouz 5709, à la page 167.
(3) "Rech Lakich tomba malade. Son épouse, soeur de Rabbi Yo’hanan, vint et pleura devant lui. Elle implora D.ieu: "Pardonne lui, pour le salut de mon fils". Mais, il dit: "Laisse ces orphelins, Je les maintiendrai en vie". Elle pria encore: "Pardonne lui pour que je ne sois pas veuve". Mais, il dit encore: "Que vos veuves placent leur confiance en Moi". Rabbi Chimeon Ben Lakich perdit alors la vie et Rabbi Yo’hanan en conçut beaucoup de peine. Les Sages demandèrent: "Qui ira alléger sa peine? Rabbi Eléazar Ben Pedath le fera, dont les raisonnements sont si subtiles". Il se rendit auprès de lui et prit place près de lui. Chaque fois que Rabbi Yo’hanan faisait mention d’un enseignement, il remarquait: "Une Boraïta conforte ta position". Il lui dit: "Es-tu comme Ben Lakich? Chaque fois que je citai un enseignement, il soulevait vingt quatre objections, auxquelles j’apportais vingt quatre explications, de sorte que le sujet pouvait être approfondi, alors que tu te contentes de dire: "Une Boraïta conforte ta position". Crois-tu que je ne sais pas que mon enseignement est exact?". Il continua donc à déchirer ses vêtements et à se lamenter. Il s’exclamait: "Où es-tu Ben Lakich? Où es-tu Ben Lakich?" et cria jusqu’à en perdre la raison. Alors, les Sages prièrent pour lui et il perdit la vie".
(4) La moitié du dégât causé, formulation talmudique dans laquelle l’action prônée est apparentée au Sage, auteur de cet enseignement.
(5) Voir, à ce propos, les lettres n°298, 399, 495.
(6) Le Rabbi Rachab.
(7) Après la sortie d’Egypte. Il s’agit ici de Na’hchon Ben Aminadav, mari de Miryam, qui traversa le premier la Mer Rouge et par le mérite duquel elle s’ouvrit.
(8) Faisant un rapprochement entre Katsé, l’extrémité et Katsin, le dignitaire.
(9) Faisant un rapprochement entre Asafsouf, les plus méprisables et Assef, réunir.
(10) Voir, à ce propos, la lettre n°11.
(11) Du Baal Chem Tov.
(12) Disciple du Gaon de Vilna.
(13) 1776.
(14) 1773.
(15) 1772.
(16) Et dont la photocopie est imprimée dans le Choul’han Arou’h de l’Admour Hazaken paru aux éditions Kehot.