Lettre n° 6084

Par la grâce de D.ieu,
Premier jour de Roch ‘Hodech Adar 5718,
Brooklyn,

Au grand Rav, distingué ‘Hassid qui craint D.ieu, est issu
d’une illustre famille, le Rav Yossef David(1) Chlita,

Je vous salue et vous bénis,

J’ai bien reçu votre lettre, à laquelle était joint le “ fascicule sur l’installation d’un Erouv ”(2), dont vous êtes l’auteur et que je vous restitue avec la présente. Vous me demandez une approbation, à son sujet. Vous savez que l’on n’en a pas l’usage, dans la maison du Rabbi et nous devons nous en tenir à la coutume de nos ancêtres. En outre, je n’ai nullement le temps de consulter ce livre comme il le faudrait. De plus, point qui est essentiel pour moi, je me trouve, en tout endroit, en présence de mon maître(3) et mon ancêtre, l’Admour Hazaken, auteur du Tanya et du Choul’han Arou’h. Je dois donc adopter son avis, ce qui inclut son affirmation, dans son Choul’han Arou’h, au chapitre 363, paragraphe 35, selon laquelle la mer ne constitue pas une barrière(4).

Vous donnez une interprétation difficile à accepter de cette Hala’ha, en la limitant au cas ou l’on peut craindre que les déchets soient retirés et qu’il ne reste qu’une seule barrière. Vous m’excuserez de vous dire que cela n’a pas de sens, puisque l’Admour Hazaken parle clairement, dans son Choul’han Arou’h, des déchets publics qu’il n’est pas question de retirer et, lorsque la mer apportera un banc de sable, les deux barrières resteront effectivement à proximité l’une de l’autre, prenant la forme de la lettre Dalet, avec un piquet ou une poutre sur le troisième côté.

* * *

Malgré cela, j’ai été satisfait de lire, à la fin de votre livre, ce que vous avez loué et cueilli(5). Vous l’avez sûrement fait sans bénédiction, ce que ne permet pas d’établir une lecture sommaire de ce que vous écrivez. En effet, tous les doutes ne sont pas écartés, en la matière et, en tout état de cause, l’absence de bénédiction ne fait pas obstacle à l’accomplissement de la Mitsva. A mon sens, il y a là un mérite important et considérable, même si d’après plusieurs avis, on peut s’interroger sur plusieurs points et avoir des doutes. Pour autant, il reste absolument clair, à mon avis, que l’on ne peut rien imprimer ou diffuser d’autre que cela. Vous avez été jusqu’au bout de votre démarche et vous avez achevé ce Erouv, au moins selon votre conception.

A la fin de cet ouvrage, vous abordez l’intérêt de la diffusion, afin de préserver ceux qui veulent transgresser l’Interdit, comme le dit le Talmud, au traité Nazir 23a. Vous devez imaginer combien, parmi ces personnes qui agissent mal, étudient ce qui est dit dans ces livres et ces fascicules ou même en ont connaissance. Il n’en est pas de même pour ceux qui respectent la Torah et les Mitsvot. C’est eux, précisément, qui s’accordent une permission en la matière, comme le font remarquer nos Sages, à condition de trouver une base ou un prétexte à cette permission. La publication de telles idées peut donc les conduire à mal agir. Et, lorsqu’elle sera faite, on ne pourra plus revenir en arrière, même si on le souhaite.

Quant à la mise en garde sévère qui figure au début du livre, on a déjà pu vérifier qu’elle ne sert à rien, pour ce qui est imprimé et diffusé. Du fait de nos nombreuses fautes, la conception selon laquelle il convient de privilégier la permission s’est largement répandue, en particulier dans ce pays où les “ rabbins ”(6) sont actifs, allant contre D.ieu et contre Sa Torah, afin de pratiquer une brèche dans la muraille de la foi et du Judaïsme.

Puisse D.ieu faire que, de vos jours et des nôtres, s’accomplisse concrètement la promesse suivante de nos Sages, énoncée par le Yerouchalmi, au traité Taanit, chapitre 1, fin du paragraphe 1 : “ Si Israël respectait un Chabbat de la manière qui convient, le fils de David viendrait immédiatement ”(7). Certes, le Babli, au traité Chabbat 118b, parle du respect de deux Chabbats, mais il ne contredit nullement l’affirmation précédemment citée du Yerouchalmi, au traité Taanit, comme l’explique l’Admour Hazaken, dans son Likouteï Torah, Parchat Behar, au début du discours ‘hassidique intitulé : “ Vous respecterez Mes Chabbats ”, que vous consulterez. A ceci, le Midrash Chemot Rabba ajoute, à la fin du chapitre 28 : “ Pourquoi cela ? Parce que le Chabbat est considéré comme l’ensemble des Mitsvot ”.

Avec mes respects et ma bénédiction,

N. B. : Comme à mon habitude et pour le plaisir de discuter la Torah, j’ai formulé quelques remarques, en feuilletant ce livre :

Au début du fascicule, chapitre 1, page 10 : Les Mitsvot des Sages sont-elles des Injonctions ou bien des Interdits ? Vous citez le traité Chabbat 23a, qui dit : “ Où en avons-nous reçu l’Injonction ? Rabbi Ivya explique : Parce qu’il est dit : ‘Tu ne te détourneras pas’. Rabbi Né’hémya explique : Parce qu’il est dit : ‘Demande à ton père et il te racontera’ ”. C’est précisément ce qui fait l’objet de cette discussion.

Certes, cette controverse semble expliquée par les commentaires du Ran, en son cinquième commentaire. Pour autant, ceux qui établissent le compte des Mitsvot ne citent pas le Précepte : “ Demande à ton père et il te racontera ” parmi les Injonctions. Il est donc le seul à avancer cette interprétation, alors que personne d’autre n’en fait état. Pour autant, il faut admettre, d’après tous ceux qui comptent les Mitsvot, que ce verset est effectivement un Précepte de la Torah, mais non l’une des deux cent quarante huit Injonctions introduites par la Torah. A ce propos, il n’est pas un seul avis considérant que les Commandements des Sages soient uniquement des Injonctions. A un stade plus profond, c’est également ce que dit la ‘Hassidout, dans les discours ‘hassidiques intitulés : “ Comment bénir ” de 5680 et de 5691(8), qui furent prononcés par mon beau-père, le Rabbi dont le mérite nous protégera.

Le Rambam énonce clairement son avis, en la matière. Il cite l’Interdit : “ Tu ne te détourneras pas ” et l’Injonction : “ Tu feras ce qu’ils te diront ”, dans son Séfer Ha Mitsvot, à la première racine. Et, vous consulterez également les notes du Ramban, à ce sujet. Vous verrez aussi le compte des Mitsvot qui figure au début du chapitre 14 et les lois des rebelles, au début du chapitre 1. Selon cette interprétation, on peut expliquer pourquoi Rabbi Ivya cite la fin du verset : “ Tu ne te détourneras pas ”. En effet, une Interdiction est plus grave qu’une Injonction. Dans ses lois des bénédictions, chapitre 11, paragraphe 3, le Rambam cite effectivement le début du verset, “ Tu feras ce qu’ils te diront ”, parce que l’on ne récite pas de bénédiction pour un Interdit, comme le remarquent également le Yad Binyamin sur le Michné Torah, à cette même référence et le Torah Temima sur le verset Devarim 17, 11. Et, l’on peut se demander pourquoi, dans les lois des bénédictions, chapitre 6, paragraphe 2, le Rambam cite uniquement le début du verset, “ selon l’enseignement qu’ils te délivreront ”. Il en fait de même dans les lois des rebelles. Dans le Séfer Ha Mitsvot publié par le Rav H. Heller Chlita, l’éditeur constate qu’il manque un mot après “ te donneront ”. D’une certaine façon, on peut le déduire également du Séfer Ha ‘Hinou’h, à la Mitsva 495. On sait, en effet, que cet ouvrage reprend, bien souvent, les termes du Rambam. Or, en l’occurrence, il mentionne l’intégralité du verset.

Sur le compte des Mitsvot des Sages(9) et celles qu’il faut retenir : Je reproduirai ici ce que j’ai déjà écrit par ailleurs.

Il est sept Mitsvot des Sages dont les initiales forment, en Hébreu, la phrase : “ Il se meut avec joie ”. Ce sont le lavage des mains, l’Erouv, les bénédictions, les bougies du Chabbat, la Meguila, ‘Hanouka et le Hallel, comme le dit le Megalé Amoukot, au chapitre 75, cité par le Yalkout ‘Hadach, à l’article “ Mitsvot ”, paragraphe 75. Le Séfer Ha ‘Hinou’h les mentionne également, à la fin des index. Pourquoi avoir choisi celles-ci plutôt que d’autres ? Le Mitsvot Hachem précise que l’on peut compter seulement les Mitsvot pour lesquelles les Sages ont demandé de réciter une bénédiction et qui n’ont pas de référence dans la Torah. Vous consulterez le Torah Or, de l’Admour Hazaken, à la fin du discours ‘hassidique intitulé : “ Et, Il dit… Qui a donné une bouche ? ” et le Likouteï Torah, dans le commentaire du discours intitulé : “ Voici les Injonctions ”, au chapitre 3, de même qu’à la fin du commentaire du discours intitulé : “ Je suis noire ”. Tous ces Préceptes sont des Injonctions(10).

Le Chneï Lou’hot Ha Berit, à la Parchat Yethro, début du Torah Or, pense également qu’il y a sept Mitsvot des Sages. Il cite, à ce propos, les premiers Sages, en particulier le Meoreï Or, chapitre 7, paragraphe 13. Or, on peut s’interroger, sur cette affirmation, car le Séfer Mitsvot Gadol, à la fin de la partie sur les Injonctions, énumère seulement cinq Mitsvot des Sages, l’Erouv, le deuil, le 9 Av, la Meguila et ‘Hanouka. Pour autant, il conclut en rappelant avoir déjà dit que le lavage des mains est instauré par les Sages. Et, l’on peut considérer qu’il ne cite pas les bénédictions, parce qu’il les rattache à la bénédiction après le repas, elle-même introduite par la Torah. De même, il ne parle pas du Hallel, car celui-ci appartient, selon lui, à la Mitsva de ‘Hanouka ou bien parce qu’il le définit comme une Mitsva de la Torah, selon l’avis des Décisionnaires énumérés par les commentateurs du Séfer Ha Mitsvot, du Rambam, à la première racine et le commentaire du Rav I. P. Perla sur le Séfer Ha Mitsvot de Rabbi Saadya Gaon, Injonctions 59 et 60.

Cette question peut être approfondie, car le Chaareï Kedoucha, de Rabbi ‘Haïm Vital, tome 1, porte 4, cite plusieurs Mitsvot des Sages. Pour qu’il n’y ait pas là de contradiction avec ce qui a été dit au préalable, on peut expliquer simplement que le Séfer Mitsvot Gadol et Rabbi ‘Haïm Vital, dans le Chaareï Kedoucha, n’énumèrent pas le nombre des Mitsvot des Sages, mais indiquent uniquement que ceux-ci introduisent des Commandements et précisent ce que sont leurs lois. En revanche, ils admettent qu’il y a effectivement sept Mitsvot des Sages, qui complètent le nombre des six cent vingt colonnes de lumière. Quant à ceux qui considèrent que le Hallel est introduit par la Torah, ils citent, à sa place, une autre Mitsva des Sages, afin de parvenir au compte des sept. De même, il existe plusieurs avis sur la manière de décompter les six cent treize Mitsvot de la Torah.

Certes, dans les six cent vingt lettres composant les dix Commandements, on trouve plusieurs allusions aux sept lettres supplémentaires, s’ajoutant aux six cent treize, dont il a été dit qu’elles correspondent aux six cent treize Mitsvot de la Torah. Et, en premier lieu, il y a d’abord l’allusion la plus simple, selon laquelle ces sept lettres correspondent aux sept Mitsvot des Sages. On peut, en particulier, s’interroger sur le Midrash Devarim Rabba, chapitre 13, paragraphe 16, qui dit : “ Ils correspondent aux sept jours de la création ”, de même que sur le Matanot Kehouna sur le Midrash Bamidbar Rabba, chapitre 18, paragraphe 21, rapportant que, d’après les Sages de la Kabbala, ces sept lettres correspondent à sept Sefirot. Pour autant, on peut considérer qu’il n’y a pas de discussion sur le nombre de Mitsvot des Sages que l’on doit prendre en compte, comme on l’a dit. En outre, la Torah peut recevoir soixante dix interprétations différentes.

A ce propos, le mot Achir, riche, est constitué des initiales des mots suivants : “ yeux, dents, mains, pieds ”, comme le rapporte le Midrash Chmouel sur le traité Avot, au début du chapitre 4.

Notes

(1) Le Rav Y. D. Moskovitch, de Brooklyn. Voir, à son sujet, les lettres n°2786 et 2936.
(2) Voir, à ce sujet, les lettres n°2786 et 2936.
(3) Voir la lettre n°6082.
(4) Pour le Erouv, alors que le Rav Moskovitch adopte vraisemblablement l’avis contraire.
(5) Afin de réaliser le Erouv.
(6) Le Rabbi écrit Rabbanim en deux mots, Ra Banim, “ les mauvais enfants ”.
(7) Voir, à ce sujet, la fin de la lettre n°4596.
(8) 1920 et 1931.
(9) Voir, à ce sujet, la lettre n°347.
(10) Le Rabbi note, en bas de page : “ Vous consulterez l’avis du Rabad, à la fin du chapitre 4 des lois des rebelles, selon lequel il est possible de dire ‘Tu ne te détourneras pas’ à propos d’une Injonction ”.