Par la grâce de D.ieu,
Roch ‘Hodech Mena’hem Av 5718,
Brooklyn, New York,
A l’attention de monsieur Ben Tsion,
qui est appelé docteur Dinor(1),
Je vous salue et vous bénis,
J’ai reçu un tiré à part de votre article : “ Figure historique du Judaïsme russe et difficultés d’effectuer des recherches en la matière ” qui m’a été envoyé par notre ami, le Rav Pin’has Althuiz, à la veille de Roch ‘Hodech Tamouz. Je vous en remercie. Je l’ai reçu pendant les jours liés à la fête de la libération des 12 et 13 Tamouz, au cours desquels mon beau-père, le Rabbi fut délivré. Vous savez à quel point sa vie a été consacrée aux Juifs de Russie et, par leur intermédiaire, à tout le peuple d’Israël. Par la suite, en Pologne puis aux Etats-Unis, ceci resta l’un des points essentiels de son action, y compris quand il se consacra au Judaïsme des Etats-Unis et du monde entier. Dans l’action qu’il mena à titre individuel, il fut, selon la terminologie ‘hassidique, la “ tête ” dispensant l’influence aux “ membres ”. Les événements de cette époque-là marquèrent un tournant dans la vie spirituelle des Juifs, en Russie et dans le reste du monde.
Je sais que, selon différentes conceptions, le marxisme ou la science, on n’admet pas l’idée qu’un individu puisse être à l’origine d’un changement durable et important de l’ensemble de la communauté. Néanmoins, à notre époque, on ne s’effraye plus, quand on est confronté au miracle, surtout quand il s’agit des Juifs, chacun d’entre eux étant un rescapé(2), un exemple vivant(3). De plus, les conclusions de la science, au cours de ces dernières dizaines d’années, établissent qu’il n’y a pas de vérité absolue, en tout ce qui a trait aux lois “ naturelles ” ayant été découvertes ou établies. Celles-ci sont uniquement probables et la règle relative à un ensemble ne s’applique pas nécessairement à tous les éléments qui le constituent. Une règle prend donc en compte la majeure partie de ces éléments, mais elle n’est pas vérifiée dans tous les cas. Il peut y avoir des exceptions, la contredisant. De fait, il est surprenant de constater que, précisément dans les pays où le marxisme est dominant, il aurait dû être couramment accepté que l’individu ne peut pas transformer la communauté. Or, dans nombre d’entre eux, s’est développé le culte de la personnalité sous sa forme la plus extrême. Dans certains cas, règne même une dictature défiant la raison.
De manière plaisante, si l’on tient compte du fait que les institutions et les réalisations de mon beau-père, le Rabbi, existent maintenant dans le monde entier, on ne peut nullement considérer que son soleil s’est couché. Du reste, le soleil est toujours identique et il ne fait que passer d’un endroit à l’autre, d’un hémisphère à l’autre. Son œuvre reste vivace en tout endroit et sa lumière éclaire toujours, agit en permanence. Il me semble que vous m’avez dit ou écrit que vous rédigez un livre sur l’histoire d’Israël et que vous préparez, en outre, une nouvelle édition de quelques uns de vos livres et articles. J’espère que vous conserverez le bénéfice des études(4) de votre jeune âge, des mois que vous avez passés à proximité de mon beau-père, le Rabbi, à la Yechiva Tom’heï Temimim. Car, rien n’est définitivement perdu, a fortiori quand il s’agit de notre Torah éternelle, éclairée par la lumière profonde de la ‘Hassidout. La marque de tout cela se ressentira sûrement dans les livres et les écrits qui émaneront de votre plume. A ce propos, je suis surpris par ce que vous écrivez dans cette brochure, à la page 109 et dans la note, à propos des huit éditions du Tanya parues en Russie. Vous consulterez, sur ce point, l’index figurant, en additif, dans le Tanya parue aux éditions Kehot, dont la dernière version vous a été adressée, par envoi séparé. Avec mes respects et ma bénédiction,
Comme le veut la coutume des Juifs qui consiste à apporter, en toute chose, une touche personnelle, je me permets de formuler une remarque à propos de votre article, bien que ce domaine ne semble pas être le mien. La voici. Quand on présente le Judaïsme de Russie comme un ensemble, que l’on y inclut, comme vous le faites dans ce texte, tous les territoires qui étaient sous la domination du gouvernement de ce pays, on soulève, me semble-t-il, une contradiction. En effet, différentes communautés juives se trouvant dans ces régions n’étaient nullement unies. Le lien entre elles était purement mécanique, découlant en tout et pour tout de la sujétion à un même gouvernement. Concrètement, ces communautés étaient attachées, et parfois même encore plus que cela, avec le Judaïsme d’autres pays. C’est le cas, par exemple, des communautés du Caucase. Jusqu’au milieu de la première guerre mondiale, celles-ci vivaient de manière totalement autonome, sans aucun lien avec le Judaïsme de Russie. Il en est de même pour les communautés de Pologne qui étaient liées, pratiquement dans tous les domaines, avec celles de Galicie et non avec le reste de la Russie. De ce fait, dans plusieurs domaines que vous citez dans votre article, ce qui caractérise les communautés d’une partie de la Russie ne peut être appliqué à celles d’une autre partie, lorsque la relation entre elles était uniquement mécanique, comme je le disais. Bien entendu, après la période de laquelle vous traitez, c’est-à-dire après le début de la première guerre mondiale, plusieurs barrières entre ces communautés sont tombées, parce que les Juifs de Pologne et de Lettonie ont été refoulés vers la Russie, d’une part, par la coupure totale qui s’instaura entre les communautés de Pologne et de Galicie, d’autre part. Il en fut de même pour le Judaïsme de Caucase, auprès duquel jouèrent d’ailleurs un rôle actif mon beau-père, le Rabbi et surtout son père, le Rabbi(5). Au début de la première guerre et surtout à la fin de celle-ci, plusieurs émissaires furent délégués auprès des communautés du Caucase. Les liens se resserrèrent dans le domaine religieux et, grâce à cela, dans plusieurs aspects de la vie économique.
Par ailleurs, l’influence émanant de l’étranger occupe la place la plus centrale pour le Judaïsme de Russie, en ces dernières périodes et, plus généralement, dans l’histoire d’Israël. En ce sens, le Judaïsme de Russie se distingue de celui du Maroc, de Turquie ou de Hongrie, par exemple. Il n’en fut pas de même pour la vie sur place ou, en d’autres termes, pour le fonctionnement interne. En Hongrie et en Galicie, ou même au Maroc, la vie avait un niveau élevé et, en différents points, peut-être même supérieur à celui de la Russie, surtout au début de la période à laquelle nous faisons référence. En conséquence, on peut réellement s’interroger sur les quatre éléments fondamentaux, exposés dans votre article, qui ont donné à cette communauté sa place particulière au sein de notre peuple. Il faut se demander ce qu’il en était pour les Juifs de Hongrie ou du Maroc. Dans certains domaines, peut-être même dans la majeure partie de ceux-ci, la situation n’était pas inférieure à celle de la Russie. Elle pouvait même être plus développée. Ce fut le cas, par exemple pour la vie et le comportement quotidien basés sur la Tradition ancestrale. En la matière, nos frères Sefardim se distinguent beaucoup plus que les Ashkénazim.
En fonction de ce qui vient d’être dit, il convient, à mon humble avis, d’ajouter aux trois caractéristiques du Judaïsme de Russie un point essentiel et fondamental, qui est son influence, sa contribution à la vie du peuple juif dans toutes les parties du monde, par des écrits, par ce qui a été publié, par des contacts personnels, par l’intermédiaire d’émissaires, par l’immigration.
Notes
(1) Voir, à son sujet, la lettre n°3396.
(2) De la Shoa.
(3) Du miracle ainsi survenu.
(4) De la Torah.
(5) Le Rachab.