Lettre n° 6467

Par la grâce de D.ieu,
28 Mena’hem Av 5718,
Brooklyn, New York

A l’attention de monsieur Eliézer Livna,

Je vous salue et vous bénis,

J’ai reçu, en son temps, votre article intitulé : “ L’exil volontaire ”, que vous avez bien voulu me faire parvenir. Toutefois, son acheminement a été retardé, plus qu’à l’accoutumée et, du fait de mes nombreuses activités, ma réponse a également été retardée. Vous voudrez bien m’en excuser. J’ai lu cet article avec intérêt, en accordant une attention particulière à son idée centrale, c’est-à-dire l’analyse de tout ce qui est recherché pour être substitué à la mission véritable, à la vocation profonde du Judaïsme et des Juifs. On peut aisément comprendre les sérieuses conséquences, les effets indésirables qui découlent d’une telle approche. J’ai observé que vous n’hésitiez pas à formuler des affirmations qui sont désagréables pour ceux qui les entendent. J’espère que vous maintiendrez cette optique et que vous rejetterez tout substitut, quel qu’il soit. En effet, le simple fait d’échanger un élément contre un autre montre que l’on n’agit pas comme on devrait le faire. Plus l’imitation, le substitut est bon et agréable, plus le danger est grand, même si, en apparence, à l’issue d’un examen superficiel, on n’observe pas réellement de différence(1) et il semble qu’au moins momentanément, on puisse ainsi calmer la soif de son esprit.

A quelqu’un comme vous, il est sûrement inutile de rappeler ce qui est, de fait, accepté et admis par tous, au moins dans la pratique concrète. Chaque nation, chaque peuple doit trouver sa place au sein de la matière et du monde. Mais, en l’occurrence, il s’agit bien d’êtres humains et non d’un troupeau de bêtes. Il est donc clair que leur mission ne se limite pas à manger et à boire, à avoir une belle maison. Ils doivent, en outre, exercer une activité intellectuelle, faire intervenir leur esprit, ce qui distingue l’homme de l’animal. Et, s’il en est ainsi pour tous les hommes, pour chaque nation, combien plus est-ce le cas pour le peuple d’Israël. Malgré la nécessité qui leur incombe de satisfaire leurs besoins physiques, les Juifs ne leur accordent pas un rôle essentiel et profond. Ils privilégient le monde de la pensée et de l’esprit, ce qui est lié à l’âme. Car, le corps n’est qu’un instrument permettant de révéler tous ces éléments. Il n’y a donc pas lieu d’échanger les instruments confiés pour mener à bien la mission, d’en faire la finalité ultime, même s’ils sont importants, fondamentaux, indispensables pour que l’âme se maintienne au sein du corps. Selon la formulation de nos Sages, “ le danger(2) repousse tout ”. En pareil cas, il s’agit bien de faire en sorte que l’âme se maintienne au sein du corps. Pour autant, il n’y a là qu’un moyen, certes indispensable et repoussant pratiquement tout, mais, au bout du compte, seulement un moyen de mener à bien la mission que l’on a reçue. Il en est ainsi à titre individuel et ceci s’applique également à la dimension communautaire.

Bien entendu, lorsque quelqu’un s’égare et échange le moyen contre la finalité, son erreur peut porter sur ce qui n’est pas nécessaire et indispensable. En pareil cas, on peut espérer qu’un tel homme prenne conscience de son écart, à l’issue d’une réflexion sommaire ou bien, en tout état de cause, il sera au moins aisé de le lui faire admettre la vérité. Il n’en est pas de même si cet instrument est fondamental, indispensable pour mener à bien la mission. L’erreur est alors beaucoup plus fréquente et l’on trouve plus facilement un substitut, un succédané. Et, même celui qui avance des preuves aura du mal à rétablir la réalité, à obtenir un changement d’attitude. Dès lors, comme je le disais, le risque de se détourner de la mission confiée est beaucoup plus grand.

Vous mentionnez, dans votre article, les substituts avec lesquels nos frères, les enfants d’Israël, entendent s’acquitter de leur obligation, le don d’un chèque ou bien la participation à une réunion, à plusieurs reprises, afin de se dispenser de la mission véritable. Il en résultera nécessairement les conséquences indésirables que vous décrivez dans ce texte, la perte de toute nature, de tout contenu juif. Pour autant, l’homme qui n’a pas honte d’exprimer un avis divergent de celui qui est couramment accepté, met beaucoup plus clairement en garde contre ce grave danger. Les conséquences destructrices d’une telle approche peuvent d’ores et déjà être perçues, en particulier au sein de la jeunesse, qui est l’avenir du peuple. On choisit donc des substituts plus “ fins ”, comme le nationalisme, le désir d’autonomie territoriale, de pouvoir indépendant. Et, même si l’on a déjà obtenu tout cela, qu’on en profite pleinement, on ne doit pourtant pas oublier qu’il s’agit uniquement d’un moyen. Il faut exiger que ceci soit gravé dans le cœur et dans l’esprit, que tous les membres du corps s’en pénètrent, ceux de l’individu et ceux de toute la nation(3). Car, une mission ne peut être liée qu’à l’esprit et à l’intellect. Selon l’expression de la ‘Hassidout, il est nécessaire que l’esprit domine la matière. En d’autres termes, d’après le récit que nous avons entendu de mon beau-père, le Rabbi(4), l’Admour Hazaken, fondateur de l’enseignement de ‘Habad, définit le service de D.ieu d’un homme de la façon suivante : “ Il faut fouetter les chevaux, afin qu’ils cessent d’être des chevaux ” ou encore, selon une autre version : “ afin qu’ils sachent qu’ils sont des chevaux ”, le cheval désignant ici la matière. Avec mes respects et ma bénédiction,

Notes

(1) Entre ce que l’on fait et ce que l’on devrait faire.
(2) Textuellement, “ le danger de l’âme ”.
(3) Afin d’en faire une règle de conduite permanente.
(4) Voir le Likouteï Dibbourim, tome 1, à la page 30a.