Lettre n° 6592

Par la grâce de D.ieu,
8 Kislev 5719,
Brooklyn, New York,

Je vous salue et vous bénis,

J’ai bien reçu votre lettre du mardi de la Parchat : “ Tu seras puissant devant tes frères ”(1) et, de fait, j’ai appris que vous avez obtenu un contrat de rabbin dans une synagogue de New York. Toutefois, vous m’excuserez de vous dire que je l’ai appris avec une peine mêlée d’étonnement. Quelqu’un comme vous comprendra sûrement ma peine. Nous en avons parlé ensemble à propos d’une certaine personne et combien plus est-ce le cas pour vous-même, d’une manière qui est peut-être même encore plus large. Dans la ville ou vous vous trouvez actuellement, la situation du Judaïsme ne dépend que d’une élite. Le départ d’un seul homme peut donc tout détruire, ce qu’à D.ieu ne plaise. En effet, la réussite de ce qui est public, en cet endroit, doit satisfaire des conditions particulières, que l’on ne peut pas obtenir par une préparation de quelques mois. Il n’en est pas de même à New York, où la situation est radicalement différente.

D’un point de vue individuel, c’est-à-dire à titre personnel, New York possède, certes, des qualités que les autres villes n’ont pas. Il y a ici un très grand nombre de personnes pratiquantes. Mais, même s’il en est pleinement ainsi, nos Sages disent que : “ s’il y a un avis personnel s’opposant à celui du plus grand nombre, on adopte ce dernier ” et ceci s’applique aussi bien à ce qui concerne l’individu et son intérêt qu’à ce qui concerne la communauté et son intérêt. Néanmoins, en l’occurrence, je ne vois pas de doute sur l’intérêt individuel. En effet, dans l’endroit où vous êtes actuellement, vous occupez un rôle particulier, ce qui vous apporte les forces et les capacités d’une situation exceptionnelle. A New York, par contre, sans remettre en cause vos capacités, celles-ci devront subir une large concurrence, d’autant qu’au sein du corps rabbinique, nul ne se demande qui est plus important que l’autre. De manière extérieure, tous sont identiques.

J’ajouterai un autre point. Connaissant l’état d’esprit de la communauté juive aux Etats-Unis, je pense que vous exercerez sur elle une plus large influence en vous présentant comme le grand rabbin de la ville où vous vous trouvez actuellement plutôt que comme un rabbin local, même si vous êtes celui d’une des synagogues les plus importantes.

De fait, je voulais vous écrire tout cela quand j’ai appris que vous avez formulé cette proposition de fonctions rabbiniques à New York, mais je ne l’ai pas fait, conformément au dicton bien connu(2), transmis au nom de l’Admour Hazaken, selon lequel : “ On ne se bat pas à coups d’idées ”. Puis, j’ai reçu votre lettre me communiquant cette nouvelle et j’ai alors estimé qu’il était de mon devoir de vous exprimer clairement mon avis, qu’il serait injuste de ne pas le faire. Il serait bon que vous conserviez les fonctions que vous occupez actuellement et puisse D.ieu faire que ces paroles exercent leur effet. En effet, il convient de privilégier les besoins communautaires, c’est-à-dire ceux des membres de votre communauté actuelle. A n’en pas douter, leur comportement, à l’avenir, dépend, pour une très large part, de votre conduite et de vos directives. Même s’ils trouvent un jeune Rav, plein d’empressement et craignant D.ieu, vous connaissez la décision de notre Torah selon laquelle on ne peut apprendre de tous. Or, entre un fait certain et un doute, en particulier quand ce fait certain concerne une communauté alors que le doute a un caractère individuel, on doit opter pour le fait certain. Avec mes respects et ma bénédiction pour que vous preniez une bonne décision, en la matière,

Notes


(1) Toledot 27, 29.
(2) Voir, à ce sujet, la lettre n°4727.