Par la grâce de D.ieu,
2 Kislev 5721,
Brooklyn, New York,
Au Rav et érudit, distingué ‘Hassid qui craint D.ieu,
aux multiples connaissances, se consacrant aux
besoins communautaires, le Rav C. Y.(1),
Je vous salue et vous bénis,
A) Je fais réponse à vos lettres formulant la proposition d’établir et de mettre en forme un nouveau commentaire du Tana’h(2), à la fois traditionnel et pouvant être compris par la nouvelle génération. Vous souhaitez que je participe à ce projet, bien plus que j’en prenne la responsabilité. Faisant suite aux conversations que j’ai eues, ici même, avec une certaine personne, je préciserai, par la présente, ma position en la matière et le contenu de la réponse que j’ai communiquée oralement, au cours de ces conversations.
Je traiterai, tout d’abord, de ma participation en précisant, au préalable, qu’un tel projet représente une grande responsabilité, qu’en la matière, un échec partiel équivaut à un échec total. Si, dans quelques passages, est introduit un commentaire qui ne convient pas et si celui-ci est imprimé, c’est l’ensemble du projet qui en sera entaché. Le responsable ne peut donc être qu’un homme disposant de temps et de loisir qu’il peut consacrer à ce commentaire, dans toute la mesure de ce qui est nécessaire qui devra le relire d’un bout à l’autre, s’approfondir autant qu’il est possible de le faire, afin d’exclure tout écart par rapport à la tradition, qui est la voie droite.
De même, il est bien clair qu’en la matière, on ne peut pas déléguer un émissaire ou un représentant. Un projet impliquant une telle responsabilité ne peut pas être réalisé en s’en remettant à d’autres personnes, uniquement sur la base de la confiance, surtout d’après le dicton du Tséma’h Tsédek(3), qui dit qu’un mot prononcé oralement s’adresse à tous les présents, un mot écrit à l’ensemble de la génération et un mot imprimé à toutes les générations à la fois. Je dois donc décliner cette proposition, non seulement pour ce qui concerne la responsabilité, mais aussi pour le fait d’y associer mon nom, ce qui revient à en prendre la responsabilité, bien évidemment.
B) S’agissant du projet proprement dit, je pense qu’il s’agit d’une bonne initiative, mais uniquement dans la mesure où il est mené à bien par des personnes dignes de confiance et vérifié ensuite par plusieurs spécialistes fiables, qui seront réellement compétents en ce domaine. Je préciserai ce que je veux dire.
De façon générale, les paroles du Tana’h ont été commentées par les premiers exégètes, depuis celui qui en énonce le sens simple, Rachi, jusqu’au Metsoudat David et au Metsoudat Tsion. Ceux-ci possèdent une compétence particulière, en la matière, car ils en expliquent le texte selon ce qu’il est, ce qui veut dire qu’ils assumèrent une mission sacrée, qu’ils expliquèrent la Torah de D.ieu, le livre des livres, sans rechercher un intérêt personnel, pas même moral, encore moins dans le but de se mettre en avant et de faire la preuve qu’ils connaissaient tout ce qui est caché. C’est ainsi que Rachi, à différentes références, affirme, par exemple : “ Je ne sais pas ”. Ceci fait également la preuve de leur compétence, puisque la signification véritable des versets leur a été transmise, d’une génération à l’autre, de même que, très certainement, plusieurs explications qui leur ont été léguées depuis la rédaction du Tana’h. Et, l’on connaît l’affirmation du Rambam, à propos de la Langue sacrée, selon laquelle l’éloignement des générations en a fait oublier différents points, ce qui la rend difficile à comprendre. Il y a donc bien eu une transmission, en la matière.
Malgré cela, il existe des différences de formulations, différents points dont la signification était auparavant évidente, alors qu’à l’heure actuelle, elle l’est beaucoup moins. De ce fait, il est bon que soit rédigé le commentaire auquel vous faites allusion. Et, nous devons, pour cela, nous en remettre aux Grands d’Israël des précédentes générations, qui permirent que des explications soient traduites en Yiddish(4) et s’efforcèrent de les diffuser auprès de ceux qui, pour une quelconque raison, ne comprenaient pas le commentaire de Rachi et ceux des Sages qui lui succédèrent. Mais, il est bien évident que tout ce projet est assorti d’une condition essentielle. Il doit être, selon l’expression de nos Sages, “ du vin vieux dans une bouteille nouvelle ”, ce qui veut dire que seuls le style et la formulation peuvent changer. Le vin vieux est, en l’occurrence, le commentaire qui a été consacré par les Grands d’Israël des précédentes générations, comme on l’a dit, depuis Rachi jusqu’au Metsoudat David et au Metsoudat Tsion.
C) On observe que les premiers Sages renforcent la précision de leurs commentaires en citant des mots issus d’autres langues, “ dans la langue d’un peuple étranger ”, selon l’expression de Rachi. On peut donc en faire de même pour le présent commentaire.
D) De même, il est évident que l’on peut y ajouter des comparaisons avec d’autres langues. Par exemple, nos Sages, dans le Midrash Tan’houma, commentant ce verset, précisent que Ano’hi, Je, est un terme égyptien. Aux références qui conviennent, on citera les découvertes archéologiques et l’on y ajoutera des illustrations. Là encore, on trouve des précédents chez les exégètes qui sont acceptés par tous, par exemple le Rambam dans son commentaire de la Michna et le Arou’h, même si, dans les éditions ultérieures, plusieurs illustrations ont été supprimées, vraisemblablement pour des raisons techniques.
E) Le projet sera réalisé par des hommes, chacun d’entre eux possédant des traits de caractère qui lui sont propres. Or, comme je l’ai dit, il est un principe fondamental et une condition sine qua non que ce commentaire soit précisément du “ vin vieux ”. Il est donc indispensable que ses rédacteurs ne cherchent pas à y introduire des idées nouvelles. Leurs qualités et leurs aptitudes doivent se manifester uniquement dans le recueil et la présentation des explications. Bien plus, on peut vérifier dans la pratique que, chez de nombreuses personnes, ces dispositions d’esprit se contredisent. Celui qui est en mesure d’introduire des idées nouvelles a souvent des difficultés à recueillir et à mettre en forme, en l’état, les propos d’autre personnes, car il n’est pas aisé pour lui de ne pas y faire figurer sa propre idée. En pareil cas, c’est, au final, l’idée nouvelle qui l’emporte sur l’ancienne.
F) Il est évident également que l’objectif de ce projet est de donner un commentaire fiable du Tana’h, avec la formulation et la présentation les plus claires et les plus simples. La première conséquence en est qu’il n’y a pas lieu d’y faire figurer des avis contraires, y compris pour les rejeter ensuite. On doit citer chaque explication telle qu’elle est. Et, celui qui désire mettre en pratique les termes de la Michna : “ Sache ce qu’il faut répondre(5) ” en trouvera les moyens par ailleurs.
G) Une autre question est essentielle : y a-t-il une place, dans un tel commentaire, pour les explications de nos Sages, au moins pour quelques unes, comme les cite Rachi ? En effet, le but de l’étude du Tana’h est non seulement de comprendre le sens du verset, mais “ aussi ” de connaître Celui Qui donne la Torah. Il y a donc matière à s’interroger, à ce sujet. Mais, peut-être la position la plus adaptée consiste-t-elle à placer de telles explications sur le côté du commentaire ou bien sous son texte, sur une même page, mais non dans le corps de ce texte.
H) Tout ceci pourrait être développé, mais j’énumère ici uniquement les points principaux et les idées indispensables, à mon sens. En effet, s’il n’est pas possible d’accomplir pleinement l’ensemble de ces conditions, le projet pourrait causer beaucoup de tort, à la place de l’intérêt qu’on en attend. Vous devez comprendre ce que je veux dire.
Je serais satisfait de recevoir vos remarques concernant tout cela, avec tout le détail nécessaire. Je vous en remercie d’avance. Avec mes respects et ma bénédiction,
M. Schneerson,
Notes
(1) Le Rav Chlomo Yossef Zevin, auteur de l’Encyclopédie talmudique, de Jérusalem. Voir, à son sujet, la lettre n°7476.
(2) De la Torah, des Prophètes et des Ecrits saints. Voir, à ce sujet, la lettre n°7558.
(3) Voir, à ce sujet, la lettre n°2078.
(4) La langue courante à l’époque, afin qu’elles soient comprises par le plus grand nombre.
(5) A l’hérétique.