Lettre n° 8410

Par la grâce de D.ieu,
2 Iyar 5722,
Brooklyn, New York,

A l’attention de monsieur Guerchon Dov,
qui est appelé docteur Cohen,

Je vous salue et vous bénis,

J’ai reçu, en son temps, votre lettre, avec les tirés à part et le livre. Je vous remercie pour ce cadeau. Ma réponse a été retardée du fait de mes nombreuses occupations et vous voudrez bien m’en excuser. Un Juif a l’habitude de toujours introduire une touche personnelle. Pour faire suite à notre discussion sur ce sujet, je voudrais donc formuler une remarque à propos du tiré à part de votre article sur les quatre prisonniers, que j’ai consulté rapidement. Tout d’abord, il convient d’introduire son propos par un éloge pour la découverte que vous avez faite et les hypothèses que vous y émettez, quant à l’origine de ce qui est dit à propos de ces quatre prisonniers, de même que sur les différents aspects du sujet. Toutefois, je dois dire que, globalement, je ne partage pas votre analyse et vous voudrez bien m’en excuser. Je rappellerai tout d’abord ce qui est dit à propos d’un Grand d’Israël. Lors d’une conversation avec lui, on lui indiqua que le Rambam formulait telle affirmation. Il répondit que cela n’était nullement le cas. Il précisa aussitôt qu’il n’avait pas une parfaite connaissance du Rambam, au point que celui-ci n’ait pas de secret pour lui. Néanmoins, il ne voyait aucun rapport entre cette affirmation et les propos du Rambam. Il était donc impossible qu’il ait écrit cela.

Or, il en est bien ainsi, en l’occurrence. L’explication que vous proposez dans votre article, est la suivante. Le Rabad, auteur du Séfer Ha Kabbala, a imaginé l’existence de ces prisonniers, Rav ‘Hano’h et les autres, qui soufflèrent et parvinrent, au même moment, en tel endroit et en tel autre. D’un point de vue psychologique, cela est absolument inconcevable et je me permets d’exprimer mon avis de la manière la plus tranchée, sans l’idée préconçue selon laquelle il faudrait nécessairement découvrir une explication nouvelle. Et, la raison en est bien simple. Il ne fait pas de doute que le Rabad respectait la Torah et les Mitsvot, qu’il connaissait l’Injonction : “ Tu t’éloigneras de tout propos mensonger ”. En outre, il vivait à une époque et dans un endroit qui n’étaient pas(1) très éloignés de la période et du lieu des quatre prisonniers. Il est donc totalement inconcevable que le Rabad ait imaginé ces quatre prisonniers uniquement pour renforcer ses raisonnements et sa conception. Bien plus, la grande majorité de ses contemporains ont accepté ce qu’il a dit sans le remettre en cause.

Bien entendu, je n’ignore pas les objections que l’on soulève contre l’auteur du Séfer Ha Kabbala, concernant les dates, mais ceci est à rapprocher de ce qu’il me semble avoir mentionné dans notre discussion. Peut-être la précision de ses écrits n’est-elle pas totale pour ce qui concerne les sources et les auteurs des propos. En outre, l’erreur reste possible. Peut-être même a-t-on cherché à harmoniser les dates, s’agissant d’un événement qui s’est prolongé pendant un certain temps, depuis son début jusqu’à sa fin. Comme je l’ai dit lors de notre conversation, il en est de même pour la conclusion du Talmud ou celle de la Michna. Ceci ne contredit nullement l’Injonction : “ Tu t’éloigneras de tout propos étranger ”. Pour autant, on peut dire que le Talmud fut conclu à la fin de la vie de Rav Achi ou bien, selon un autre avis, à l’époque des Rabbanan Sevouraï, dont certaines explications sont également citées par le Talmud. On peut aussi avancer que le Talmud fut achevé au milieu de la vie de Rav Achi. Et, l’on peut également envisager d’autres explications. Pour autant, cela n’a absolument rien à voir avec la découverte, le fait nouveau que vous proposez dans votre article. Cela n’est pas digne d’un Juif respectueux de la Torah ! Bien plus, comme je l’ai dit, le Rabad vivait environ deux siècles après cet épisode. A n’en pas douter, il y avait bien reçu une tradition, à ce sujet, de même que des écrits, décrivant le détail des événements. En outre, les petits-enfants et les descendants des quatre prisonniers vivaient encore.

Pour revenir au contenu de notre conversation sur la diffusion effective du Judaïsme et sur le caractère essentiel de l’action concrète, je reprendrai l’expression que nous avons citée, “ la quintessence ne change pas ”. Comme le disent les philosophes d’Israël, cette affirmation décrit le contraire d’un événement fortuit. En conséquence, j’ai bon espoir que tout cela aura effectivement une incidence concrète, d’autant que vous exercez votre influence sur un certain cercle, largement composé de jeunes gens. Or, l’influence positive qu’ils recevront fixera leur personnalité et l’édifice éternel qu’ils bâtiront en Israël. Avec mes respects et ma bénédiction,

N. B. : J’espère qu’à l’avenir, vous continuerez à m’adresser vos publications. Je vous en remercie d’avance. Par ailleurs, vous joignez un chèque à votre lettre et, bien entendu, lorsqu’un Juif donne de la Tsédaka par mon intermédiaire, je me réjouis d’être l’émissaire d’une cause de Mitsva. Combien plus est-ce le cas pour la Tsédaka, qui est à elle seule considérée comme l’ensemble des Mitsvot(2). Néanmoins, je dois faire remarquer d’emblée qu’il est demandé d’obtenir une contribution à la Tsédaka de la part des plus riches. Pour ce qui vous concerne, en revanche, quels que soient les biens mobiliers dont vous disposez, il est clair que votre richesse réside avant tout dans votre spiritualité. J’ai donc bon espoir que vous offrirez de ces biens dans les domaines de votre activité, comme je l’ai dit, avec le contenu et la forme qui conviennent, avec des paroles émanant du cœur, de la quintessence du cœur qui elle-même ne change pas, comme l’expliquent nos Sages à propos du verset : “ Je dors, mais mon cœur est en éveil ”. Ils précisent(3), en effet : “ Je dors en exil, mais mon cœur est en éveil pour le Saint béni soit-Il, Sa Torah et Ses Mitsvot ”.

Notes

(1) Le Rabbi souligne le mot : “ pas ”.
(2) Selon le traité Baba Batra 9a.
(3) Dans le Zohar, tome 3, à la page 95a.