Par la grâce de D.ieu,
5 Elloul 5727,
Brooklyn, New York,
A madame Gueoula Cohen(1),
Je vous bénis et vous salue,
J’ai bien reçu votre lettre du premier jour de Roch ‘Hodech Elloul, de même que celle qui la précédait(2). Vous avez déjà reçu une réponse officielle, concernant votre proposition de participation à un référendum. Cela n’est absolument pas l’usage en vigueur. En tout état de cause, je vous remercie d’y avoir pensé. Je dois ajouter, mais en réalité, il ne s’agit pas d’un ajout, c’est plus exactement l’objet principal de la présente, que j’ai été très déçu par la lecture de votre première lettre. Voici ce que je veux dire.
Depuis notre discussion, lorsque vous êtes venue en visite à New York, j’espère que vous vous en souvenez, au moins pour les points essentiels, je me suis enquis, j’ai demandé, j’ai recherché si celle-ci avait eu des conséquences. En effet, notre discussion, au moins comme je l’entendais, n’était pas officielle, n’était pas une “ interview ”, comme on dit en anglais. En fait, et il me semble même l’avoir signifié clairement, je savais que vous disposez de moyens, d’opportunités exceptionnelles. Or, la présente époque, en particulier ces dernières années, présente des possibilités incomparables de renforcer et de développer la position de notre peuple, les enfants d’Israël, en tout endroit où ils se trouvent, en particulier en notre Terre Sainte, puisse-t-elle être restaurée et rebâtie, très bientôt et de nos jours, par notre juste Machia’h. En conséquence, le besoin du moment fait que quiconque est en mesure d’agir, en la matière, en reçoit la responsabilité essentielle et le rôle premier, d’autant que cela est pour le bien de tous et bien souvent même pour leur salut.
Il en est ainsi également lorsque les moyens et les possibilités ne sont disponibles qu’au bénéfice du doute. A fortiori est-ce le cas lorsque le passé a fait la preuve qu’une certaine personne possède des moyens et des capacités pouvant effectivement être utilisés en ce sens. Dès lors, tout est beaucoup plus fort. Je répéterai donc, au moins brièvement ce dont nous avons parlé, lors de notre discussion.
L’expérience a montré que certains cercles de notre peuple peuvent être guidés positivement. C’est en particulier le cas des jeunes qui, bientôt, seront les dirigeants des implantations juives, y compris en notre Terre Sainte. Pour différentes raisons, l’existence quotidienne a tempéré l’enthousiasme de la jeunesse et donc limité les actions allant dans le bon sens. Ceci a eu pour conséquence des passions indésirables, allant même à l’encontre de ce qu’il faudrait. Et, l’on se justifie en affirmant que telle parole est ennuyeuse, que telle action est ancienne, qu’elle ne concerne que les générations passées. Ma proposition était donc que l’on se serve de cet empressement et de cet enthousiasme, bien qu’ils aient été ensevelis sous les tracas du quotidien, de la vie courante et terne, pour enflammer les jeunes, pour raviver la flamme cachée en eux à travers des actions positives, qui sont indispensables pour l’existence de tous et pour le bien de chacun. J’ai bon espoir qu’ils en seront motivés et que, de la sorte, ils agiront concrètement.
Or, pendant les années qui se sont écoulées depuis notre entrevue, je n’ai pas eu sous les yeux une seule action concrète qui ait été la conséquence de ces propos. Je veux dire, très simplement que, malgré mes recherches, je n’ai trouvé ni dans les périodiques auxquels vous contribuez, ni dans d’autres que j’ai pu consulter, le moindre écho d’actions que vous auriez menées en ce sens. On pourrait, certes, expliquer que vous n’avez pas adopté mon avis. Pour autant, la nécessité d’aider les jeunes à se départir de leur léthargie me parait claire et évidente. La carence de personnes dont on peut espérer qu’elles connaîtront la réussite, en la matière, est, à mon sens, si importante que l’on ne peut pas ne pas voir en cela le besoin du moment, en particulier pour celui ou celle qui a connu la réussite, dans ce domaine, de par le passé.
Il est sûrement utile de rencontrer les personnes dirigeant les différents milieux, de connaître leur avis et de le publier. Vous vous consacrez à cette activité et vous devez donc vous-même observer cette utilité. Mais, cela ne dispense absolument pas de s’entretenir directement avec ceux qui sont actifs, au sein de chaque peuple, y compris, parmi les enfants d’Israël, avec ceux dont l’empressement est plus grand que le reste du peuple, parce que ceux-là n’ont pas encore été atteints par une vie de compromis, au point que celle-ci soit devenue une seconde nature, parce qu’ils ne craignent pas de relever un défi et parce que, quand ils s’aperçoivent que leur mode de vie n’est pas ce qu’il devrait être, ils ont la force de caractère qui leur permet de l’admettre. Et, dès lors, ils adoptent un nouveau mode de vie, changent de cap, vont parfois même en sens opposé à la vie qu’ils avaient au préalable. On ne trouve pas toutes ces qualités chez les chefs de parti, ni même chez la plupart des dirigeants des différents milieux.
Bien entendu, quelques mois après notre discussion, ne voyant aucune action en résulter, n’en observant aucune conséquence, j’ai cherché une cause, une raison pour vous écrire et pour vous poser cette question, mais, pour différentes raisons, ceci a été retardé, d’une période à l’autre. Néanmoins, la raison essentielle est que je ne savais pas quelle serait votre réaction, en constatant que je formule un avis sur “ votre vie ” en me basant sur une conversation et une rencontre, bien plus que, selon cet avis, un changement de vos actions soit nécessaire, et même un changement fondamental. Il y a aussi une raison plus profonde et peut-être même plus fondamentale : vous m’avez fait part de l’état de santé de votre enfant, dont j’avais indirectement entendu parler. Or, la douleur empêche une personne d’agir, dans différents domaines, surtout quand il faut faire preuve d’empressement et lutter, pour une large part, à contre-courant, ce qui a pour effet de s’isoler.
J’ai été encore plus déçu de ne pas avoir pu vous contacter et vous convaincre de mener à bien les actions dont nous avions parlées pendant la période de la guerre des six jours, au cours de ces jours proprement dits et durant le moment qui les a suivis. Au cours de cette période, l’enthousiasme de tous les milieux de notre peuple était à son comble, en tout endroit, mais l’on manquait d’une orientation qui aurait permis un apport positif, une construction spirituelle et matérielle. Pour notre grande peine, notre peuple n’a pas trouvé les dirigeants susceptibles de le guider et d’orienter sa motivation vers des accomplissements positifs, ni même ceux qui sont en mesure de renforcer l’enthousiasme et de l’encourager. Actuellement, tout “ s’arrange ” selon la formule que l’on sait, en supprimant ces sujets de l’ordre du jour. Or, maintenant encore, je ne trouve pas la moindre trace de vos actions.
Bien entendu, ce qui est dit ci-dessus n’a pas pour objet de vous faire de la morale, ce qu’à D.ieu ne plaise. Il s’agit d’une tentative de plus pour rétablir le dialogue, au moins par écrit, en reprenant le contenu de notre première discussion et en espérant que les actions en ce sens viendront peut-être maintenant. De manière concrète, il convient de hisser la jeunesse vers l’essence immuable de notre peuple. En plus de leur éternité, ces domaines sont, selon l’expression de nos Sages(3), “ nouveaux chaque jour ”. Je citerai pour exemple la Alya intérieure, avec les innombrables appels relatifs à l’immigration en provenance des pays de largesse, dont la probabilité est beaucoup plus réduite, au moins dans l’avenir immédiat. En outre, l’expérience passée de l’intégration des volontaires a montré que les conditions ne sont nullement réunies pour que celle-ci se déroule d’une manière satisfaisante. Et, de fait, la Alya profonde a décru, d’une façon dramatique, précisément dans les cercles de nos frères, les enfants d’Israël sefardim, depuis leur arrivée en notre Terre Sainte. Or, si une demande émanait d’une femme séfarade, un appel enthousiaste pour que l’on ne prête aucune attention à ceux qui plaident pour des familles réduites, qui le font depuis de nombreuses années et qui, pour notre grande peine, ont connu une réussite exceptionnelle, en la matière, il ne fait pas de doute qu’un tel appel trouverait l’écho qui convient, le plus profond et qu’il changerait la situation. Il en est de même pour le renforcement de la vie familiale et pour tout le reste.
J’ai cité comme exemple des domaines dont nul ne conteste l’aspect fondamental, en notre Terre Sainte, de l’extrême gauche à l’extrême droite, mais il est clair que la quasi-totalité de notre peuple résidant en Terre Sainte est dégrisée des avances et des attraits qui ont été exercés pour l’écarter du chemin de notre Torah, Torah de vie, notre Torah éternelle. Un appel pour revenir à la source, à un mode de vie basé sur la Torah et ses Mitsvot trouvera “ également ” un écho judicieux. Il permettra des actions dans certains cercles qui s’élargiront et qui se multiplieront de plus en plus. Car, au final, le cœur de chaque Juif et de chaque Juive est en éveil pour notre Torah et pour ses Mitsvot(4). Néanmoins, il est nécessaire de trouver le point ou, en d’autres termes, la Mitsva convenant à l’état d’esprit de tel milieu ou de telle personne, de commencer en s’adressant à tel cercle et à telle personne pour évoquer telle Mitsva. C’est ainsi qu’au final, “ une Mitsva en attire une autre ”(5).
Je connais l’argument, l’affirmation suivante : comment faire de la morale aux autres alors que l’on n’a pas soi-même atteint la perfection dans sa propre vie ? Mais, l’on voit bien que cet argument n’est qu’un prétexte, cachant une absence de volonté d’agir en ce sens. En effet, seul le Saint béni soit-Il est parfait et le peuple n’a jamais manqué de personnes faisant de la morale, pour des raisons positives ou bien pour des objets divers et variés. Autre point, qui est essentiel, à notre époque, nous n’avons pas le temps d’attendre que celui qui fait la morale et invite à l’empressement atteigne lui-même la perfection pour commencer à agir. Il n’y a pas d’autre solution que de mener ces deux objectifs conjointement, de prôner la morale et l’empressement pour soi-même et, simultanément, pour son entourage.
Ma lettre s’est allongée et je résumerai donc brièvement ce qui est exposé ci-dessus. Il est encore plus clair pour moi que lors de notre première rencontre que vous avez la capacité de guider et que vous en avez le moyen. C’était alors mon avis et je le pense encore. Chaque jour qui passe sans que vous vous serviez de vos moyens pour faire revenir la jeunesse est une perte. Et, il est bon d’en faire de même pour les adultes, bien que cela soit plus ardu. Il faut leur permettre d’accéder à une vie positive, une vie digne de ce nom, une vie basée sur notre Torah et ses Mitsvot, desquelles il est dit(6), au nom de tout le peuple d’Israël : “ On vivra par elles ”(7). Et, le plus tôt sera le mieux. Bien entendu, s’il y avait une évolution positive, concernant votre enfant, je serais heureux d’en avoir connaissance. Je vous remercie d’avance de bien vouloir m’écrire, à ce sujet. Avec ma bénédiction afin de me donner de bonnes nouvelles de tout cela et, selon la formulation traditionnelle, d’être inscrite et scellée pour une bonne et douce année,
M. Schneerson,
Notes
(1) L’une des dirigeantes de la droite en Erets Israël, qui avait rendu visite au Rabbi, puis avait relaté cette visite dans un article paru dans le journal Maariv du 19 Tévet 5725. Par la suite, celui-ci fut publié également dans l’album, Ha Rabbi, tome 1, à partir de la page 68.
(2) Voir le Likouteï Si’hot, tome 33, à la page 240.
(3) Selon le commentaire de Rachi sur le verset Tavo 26, 16. Voir, notamment, le Sifri et le commentaire de Rachi sur le verset Vaet’hanan 6, 6.
(4) Voir le Zohar, tome 3, à la page 95a.
(5) Selon le traité Avot, chapitre 4, à la Michna 2.
(6) A’hareï 18, 5.
(7) Le Rabbi souligne les mots : “On vivra par elles”.