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Samedi, 29 mai 2021

  • Behaaloté’ha
Editorial

 Et si on changeait ?

L’homme s’est toujours posé la question du sens des choses. Question essentielle : ne concentre-t-elle pas toute l’interrogation sur sa place dans ce monde ? Il est vrai que, alors que les jours succèdent inlassablement aux nuits, que la vie quotidienne donne à chacun des réflexes quasi mécaniques, cette interrogation-là se fait lancinante. Ne sommes-nous pas conduits, par la pesanteur de notre environnement, par l’extrême formalisation de nos modes de vie, à reproduire plus qu’à imaginer, à faire les gestes et les actes toujours attendus en omettant de réfléchir à leur opportunité, leur pertinence ou, plus fondamentalement, leur légitimité. Tous les langages humains ont trouvé une expression merveilleuse pour désigner, et sans doute justifier, une telle manière de vivre. « Comme d’habitude » entend-on ainsi affirmer avec l’assurance de qui n’a rien à prouver. « Comme d’habitude » et tout est dit, nul besoin de préciser. La répétition d’une action, née on ne sait comment ni pourquoi, suffit donc à démontrer la nécessité de son existence et surtout de sa poursuite. Il n’y a, dès lors, jamais rien de nouveau ; tout est, décidément, affaire « d’habitude »…

C’est ainsi que, peu à peu, en viennent à se dessécher les actes les meilleurs. Tels des fleurs trop longtemps conservées, ils ont gardé les traces du temps de leur vivacité mais ont perdu ce qui les rendait si précieux : le frémissement d’une vie toujours en devenir. C’est ainsi que le sens se perd. Si tout est immuablement figé par l’habitude, si la vie avance sur un chemin irrémédiablement tracé par elle, où donc est la place de l’homme et à quoi servent ses efforts et ses aspirations ? Que peut-il subsister de l’espoir sans lequel aucun lendemain ne chantera jamais ? Enfermé dans la prison d’absurdité qu’il s’est lui-même construite, pris dans les filets de ses habitudes, l’homme ressent plus ou moins consciemment comme sa liberté n’est plus qu’un concept dénué de substance et, par conséquent, de portée.

Cependant, tout homme possède une puissance infinie. Chacun peut décider de considérer lui-même et le monde d’un œil neuf. Mieux encore, chacun peut faire du monde un endroit éternellement nouveau. En laissant l’habitude en arrière, nous faisons que le monde avance dans une direction que nous lui choisissons. Brisant les chaînes qu’une certaine conception de la vie voudrait nous imposer, nous pouvons construire des nouveaux édifices. Les actes ne s’expliquent alors plus par leurs précédents mais en tant qu’ils portent en eux un autre avenir. L’homme est enfin libre, de cette liberté qui inaugure les temps nouveaux, ceux de la Délivrance.

Etincelles de Machiah

 Elie l’annonciateur

Les prophètes ont annoncé que la venue de Machia’h sera précédée de celle du prophète Elie. C’est ainsi que nous lisons (Malachie 3:23) : « Voici que Je vous envoie Elie le prophète avant que vienne le jour de D.ieu grand et redoutable ». Une question se pose : quel est le rapport particulier entre Elie et cet événement ? Pourquoi est-ce précisément lui qui a été chargé de ce rôle d’annonciateur ?

On sait que le prophète Elie, selon le texte biblique, lorsque vint le moment de sa mort, quitta ce monde avec son corps. Les commentateurs expliquent ce prodige : Elie s’était tant spiritualisé au cours de sa vie physique que son corps pouvait entrer avec lui dans le domaine du spirituel. C’est précisément là le lien avec le temps de Machia’h. Dans cette nouvelle époque, le monde sera parvenu au plus haut de la spiritualisation et du raffinement au point que (Isaïe 40 :5) « toute chair verra que la bouche de D.ieu a parlé ». C’est ce niveau infini qu’Elie incarnait déjà en son temps.

(D’après Likouteï Si’hot, vol. II, p.610)

Vivre avec la Paracha

 Behaalote’ha

Aharon reçoit l’ordre d’allumer la Menorah et la tribu de Lévi est initiée au service du Sanctuaire.

Un « second Pessa’h » est institué en réponse à la pétition d’un groupe de Juifs qui n’avaient pu apporter le korban Pessa’h.

D.ieu indique à Moché l’itinéraire dans le désert et le Peuple part du Mont Sinaï où il avait campé presqu’une année.

Le Peuple réclame à Moché de la viande.

Moché demande aux 70 Anciens de l’assister dans la difficile gouvernance du Peuple.

Miryam parle en termes critiques de son frère Moché. Elle est punie par une maladie de la peau. Moché prie pour sa guérison et la communauté entière attend sept jours jusqu’à ce qu’elle guérisse.

Le plus humble des hommes

La Paracha de cette semaine souligne que l’une des plus grandes qualités de Moché était son humilité : « Moché était extrêmement humble, plus que toute autre personne sur la surface de la terre » (Bamidbar 12 :3).

C’est Moché que D.ieu choisit, parmi tout le Peuple juif, pour sortir les Juifs d‘Égypte. Puis D.ieu le désigna, lui et lui seul, pour recevoir la Torah et l’étudier avec lui pendant quarante jours et quarante nuits.

Cela va encore plus loin puisque dans la Paracha Behaalote’ha, la Torah déclare que Moché pouvait parler avec D.ieu chaque fois qu’il le désirait (Rachi 9,7), qu’il était capable de partager son esprit avec les soixante-dix Anciens et d’en être affaibli en rien, que sa relation avec le Peuple juif était comparable à celle d’une nourrice qui porte un enfant (Bamidbar 11 :12).

Comment est-il donc possible pour un individu d’une telle grandeur de faire preuve d’une humilité sans pareille ? N’avait-il pas pris toute la mesure de sa stature ? Et cette question est d’autant plus aigüe que le fait de s’autoévaluer honnêtement est un prérequis à un service de D.ieu adéquat. Car chacun doit servir D.ieu en fonction de son rang et, pour le faire, il faut donc avoir pleine conscience de ses qualités comme de ses défauts.

En fait, Moché était tout à fait conscient de sa position unique et du fait qu’il surpassait tous ses congénères. Cependant, cela ne l’empêchait pas d’être le plus humble des hommes. Car Il se disait à lui-même que si un autre individu avait été béni des mêmes talents que lui-même, il aurait accédé à un niveau bien supérieur au sien. Telle était la raison de la modestie de Moché.

Pourtant, il reste un point à élucider. L’élément qui séparait Moché de tous les autres hommes était son don de prophétie, le fait que D.ieu se révèle Lui-même à lui : « face à face, dans une vision qui ne contenait pas d’allégorie, de sorte qu’il avait une véritable vision de D.ieu » (Bamidbar 12 :8). Son esprit prophétique était si grand que la Torah témoigne : « Il ne s’est jamais levé en Israël un prophète comme Moché. » (Devarim 34 :10).

La prophétie n’est pas quelque chose qu’un homme peut atteindre grâce à son service spirituel personnel mais c’est plutôt une qualité révélée qui lui est attribuée « d’En Haut ». Il est donc impossible d’affirmer, concernant cet attribut de prophétie, que Moché pensait qu’un autre aurait pu développer cette qualité à un plus haut niveau, puisque l’esprit prophétique ne dépend aucunement de l’individu lui-même.

On en revient ainsi à notre questionnement initial. Pourquoi dire que Moché était l’homme le plus humble alors que sa principale vertu, le niveau de sa vision prophétique, ne pouvait être reproduite par quiconque ?

La Guemara (Avoda Zarah 20b) évoque une discussion sur le fait de savoir si l’humilité est une plus grande ou moindre qualité que de posséder la crainte de D.ieu. Nos Sages expliquent qu’il existe deux niveaux d’humilité dont l’un est supérieur et l’autre inférieur au fait de craindre D.ieu.

A son niveau inférieur, l’humilité s’appuie sur la raison, c’est-à-dire sur la pensée que si une autre personne avait été bénie des mêmes aptitudes, elle les aurait développées à un degré supérieur.

Le niveau supérieur d’humilité s’exprime lorsque l’humilité fait partie intégrante de l’essence de la personne. La preuve que ce niveau existe réellement peut s’affirmer par le fait que cette qualité est attribuée à D.ieu Lui-même, comme l’affirment nos Sages : « Dans le même endroit où tu trouves la grandeur de D.ieu, tu trouves également Son humilité » (Meguilah 31a).

Il est évident qu’en ce qui concerne D.ieu l’hypothèse, selon laquelle quelqu’un d’autre aurait fait mieux, n’a pas lieu d’exister. Il nous faut donc affirmer qu’il existe un niveau d’humilité qui dépasse la logique.

Moché possédait les deux niveaux. En ce qui concerne les qualités acquises par son propre service spirituel, il considérait qu’un autre que lui, doté de ses propres talents, aurait accompli davantage.

Mais malgré le fait que son niveau prophétique fût unique, l’humilité supérieure dont il faisait preuve émanait de son propre caractère comme « le plus humble des hommes sur la surface de la terre. »

Le Coin de la Halacha

 Comment sépare-t-on le lait de la viande ?

« Tu ne cuiras pas le chevreau dans le lait de sa mère » (Chemot – Exode 23 : 19). Cette interdiction est répétée trois fois dans la Torah car elle inclut l’interdiction de cuire, de consommer et de profiter d’un tel mélange.

Il convient de séparer très soigneusement ces aliments ainsi que les ustensiles servant à leur préparation.

- On disposera donc de vaisselles complètement différentes : casseroles, marmites, assiettes, couverts, appareils électroménagers… On veillera à ne pas posséder d’ustensiles semblables (exemple : éponges pour la vaisselle, verres, serviettes etc.), sinon on leur ajoutera un signe facilement reconnaissable. Il est d’usage de préférer le bleu pour le lait et le rouge pour la viande.

- On change de nappe entre un repas de lait et un repas de viande. On lave la vaisselle dans deux éviers bien séparés (ou des bassines bien distinctes).

- Ce qui a été servi dans un repas de lait ne sera pas servi dans un repas de viande : pain, sel, sucre, épices… On privilégiera des ustensiles différents.

- On disposera de deux plans de cuisson bien séparés : fours, plaques de cuisson, fours à micro-ondes… car la vapeur générée par ces modes de cuisson s’accroche aux parois et retombe dans les plats.

Même s’il n’y a pas d’enfants dans la maison, on veillera à bien séparer les deux vaisselles afin de ne pas être amené à des situations qu’on aurait pu éviter et qui, souvent, engendrent des frictions dans les familles…

On se rince la bouche avec des aliments liquides et solides entre le lait et la viande (certains préfèrent attendre une heure entre les deux).

On attend six heures entre la viande et les laitages.

(d’après Chemirat HaCacherout)

Le Recit de la Semaine

 « Très bientôt… »

Son chauffeur a garé la voiture devant notre magasin de tapis à Manhattan, a ouvert la portière et l’homme est entré : les cheveux impeccablement coiffés, une cravate assortie à son costume italien très chic, bref l’élégance et l’assurance de celui qui a réussi dans la vie. Il a choisi quelques-uns de nos plus beaux spécimens (et les plus chers), les a payés tandis que le chauffeur les chargeait dans la voiture. Puis il s’est longuement attardé devant le portrait du Rabbi qui figure en bonne place dans le magasin. Au début, je n’y ai pas trop prêté attention mais quand j’ai remarqué une larme qui perlait dans ses yeux, je me suis approché et lui ai demandé :

- Vous êtes juif ?

A ma grande surprise, il a répondu par une autre question :

- Vous connaissez cet homme sur le portrait ? Le connaissez-vous vraiment ? Moi je vais vous raconter qui il est !

Cet Italien habitait à Staten Island à New York et dirigeait une très grosse affaire. Il avait un fils unique - Roberto - à qui il avait prodigué la meilleure éducation, avec des professeurs privés, dans l’espoir qu’il lui succèderait. A l’âge de 18 ans, Roberto avait été inscrit dans une école de commerce réputée à Chicago. Pour cela, ses parents lui avaient loué un superbe appartement et lui avaient offert une belle voiture en attendant ses progrès universitaires. Mais, au bout de quelques mois, ils apprirent avec effroi que leur fils unique, la prunelle de leurs yeux, s’était acoquiné avec une bande de voyous et s’adonnait à la drogue.

« Nous l’avons convoqué d’urgence à la maison, lui avons expliqué les dangers de sa conduite, ma femme en pleurs l’a supplié d’arrêter sa consommation de stupéfiants et de s’appliquer dans ses études. Apparemment, nous avions réussi à le convaincre mais, bien vite, nous avons réalisé qu’il continuait ! Tout l’argent que nous lui avions remis avait servi à acheter de la drogue, pour lui et ses nouveaux « amis ». Plusieurs fois, il promit d’arrêter, plusieurs fois il retomba au point que je décidai de lui couper les vivres et menaçai de le priver de la voiture. Roberto sortit alors les clés de sa poche, les jeta par terre et sortit en claquant la porte.

Nous savions qu’il avait besoin d’argent et étions persuadés qu’il reviendrait bientôt mais les semaines passèrent et nous n’avions plus aucune nouvelle de lui… Bien entendu, ma femme ne supporta pas cette folle incertitude et sa santé déclina rapidement. Moi, qui ai l’habitude de tout gérer, j’étais complètement perdu. Je ne suis pas pratiquant mais je me rendis à la synagogue. Là, je trouvais des fascicules du mouvement Loubavitch (adressés aux femmes et jeunes filles juives) qui expliquaient l’importance d’allumer les bougies de Chabbat. Il y avait plusieurs numéros de téléphone et j’appelai donc le numéro à Brooklyn. On me conseilla de venir demander la bénédiction du Rabbi et on me promit de me fixer un rendez-vous privé dans les huit jours. Effectivement, on me rappela pour un rendez-vous à minuit. On précisa que je devrais porter la Kippa et que, si ma femme venait aussi, elle devrait se couvrir les cheveux. J’avoue que l’horaire me surprit mais nous avons accepté de nous rendre à Crown Heights à l’heure indiquée. Il s’avéra que nous avons dû attendre encore une bonne heure sur place.

Quand arriva notre tour, je m’adressai au Rabbi en italien tant j’étais intimidé : « Notre fils s’est enfui et nous devons le retrouver ! ». Le Rabbi me regarda et répondit simplement : « Amen ! Very soon ! » (Très bientôt !)

J’étais très ému. L’assurance du Rabbi m’avait convaincu que je pouvais lui faire confiance et je me repris : « Thank you Rabbi ! ». Quand nous sommes sortis, ma femme ironisa : « Attendre tout ce temps pour échanger seulement deux mots avec le Rabbi… ».

J’entrai dans la voiture mais celle-ci refusa de démarrer - ce qui n’était jamais arrivé auparavant. J’essayai par tous les moyens de la mettre en route mais en vain. Pendant plus d’une heure, sous les regards de plus en plus énervés de mon épouse, je me suis acharné sans résultats ! Nous n’avions plus le choix et, amers et déçus, nous sommes descendus dans la station de métro - nous qui circulions toujours en voiture de luxe…

Nous nous sommes assis sans un mot, essayant d’oublier notre fatigue et notre rancœur. Soudain, je fus comme piqué par un scorpion : j’entendais des jeunes gens afro-américains en train de quémander : « Vingt-cinq cents, s’il vous plaît ! ». Mais il y avait aussi la voix de Roberto, notre fils unique ! Il avançait dans la rame de métro, me regarda, incrédule puis s’écria : « Papa ! » Nous sommes tombés dans les bras l’un de l’autre en pleurant. Extérieurement, il était méconnaissable après ces neuf mois d’errance mais, ce qui était important à ce moment-là, c’est que Roberto manifesta son envie de retourner à la maison.

Par la suite, grâce à sa bonne volonté et à l’aide de professionnels du sevrage, nous avons pu le remettre sur la bonne voie et, actuellement, il travaille avec moi. Inutile de préciser qu’ensemble, nous évoluons positivement dans notre pratique du judaïsme.

Vous ne connaissez pas la force de votre Rabbi… » !

C’est le regretté Ariel Tsadik, décédé avec 44 autres personnes à Méron, qui racontait souvent cette histoire… Que son souvenir soit béni !

Kfar Chabad N° 1907

Traduit par Feiga Lubecki