Quand tout se transforme…
Parfois, un mot suffit et tout change. Cela semble sans doute une affirmation bien optimiste, en particulier dans les temps troublés que nous traversons. C’est pourtant bien ce qu’il nous est donné de vivre dans la période qui vient : le mois d’Adar va commencer. De fait, dire « Adar », c’est déjà tout dire : la joie, la réussite, la victoire, même inespérée, la confiance et la vie. Et tout cela dans un terme qui, en hébreu, ne fait que trois lettres ! C’est que ce mois est, dès son début, imprégné d’une atmosphère différente : il est le mois de Pourim et plus rien n’est identique.
Pourim ? Il en sera bien sûr question plus longuement, mais souvenons-nous de cette phrase bouleversante : « Et ce fut transformé ! » C’était en un lugubre Adar de Babylonie où les ennemis du Peuple juif avaient tramé sa perte, et ils marchaient avec assurance vers ce qui leur semblait leur victoire inéluctable. Tout fut transformé… et ce fut leur perte ! Cet événement n’est pas cantonné à la date où il arriva, il étend spirituellement son influence à l’ensemble du mois, de génération en génération. C’est dire que le mois d’Adar incarne une perspective nouvelle sur le monde. Mieux encore, il ouvre un nouveau champ des possibles.
Le nom du mois qui vient nous donne lui-même le signe de ce qu’il représente. « Adar », nous dit-on, renvoie au mot hébreu « Adir » - puissant, extraordinaire. Un temps peut donc être puissant, il peut dépasser toutes les limites, constituer une sorte d’au-delà dans le monde du réel. Pour cette raison, il faut le vivre pleinement. Il faut être conscient que les insuffisances d’hier ne font plus obligatoirement les lendemains moroses. Chacun est à présent apte à créer le meilleur, à faire de ce monde, et d’abord de tout ce qui l’entoure, un lieu merveilleux. Levons donc les yeux vers le ciel et contemplons l’horizon avec un regard neuf : quelque chose se passe qui nous entraîne plus loin, plus haut et plus fort.
Adar est là, en pleine puissance, ne l’amoindrissons pas par des petitesses coutumières. La joie règne et, avec l’espérance, elle fera du monde la digne demeure des hommes et de leur Créateur.
Tous prophètes !
Le Talmud de Jérusalem (traité Méguila 1 : 5) enseigne à propos des temps de Machia’h : « Tous les livres des prophètes disparaîtront sauf le Livre d’Esther ». Cela signifie que la Lumière Divine révélée par la prophétie sera si faible comparée à la Lumière intense de ce nouveau temps qu’elle paraîtra aussi insignifiante qu’un rayon de soleil devant l’astre qui en est la source.
Toutefois, cela ne signifie en aucune façon que la prophétie n’existera plus en Israël. Au contraire, D.ieu promet pour ces temps futurs : « Je déverserai Mon esprit sur toute chair et vos fils et vos filles prophétiseront ».
(d’après Chaarei Orah, p. 57)
TEROUMA
Il est rappelé au Peuple d’Israël, les treize matériaux qu’ils doivent apporter en contribution : de l’or, de l’argent et du cuivre ; de la laine teinte en rouge, bleu, violet ; du lin, des poils de chèvre, des peaux animales, du bois, de l’huile d’olive, des épices et des pierres précieuses, à partir desquels, dit D.ieu à Moché, « ils Me feront un Sanctuaire et Je résiderai parmi eux ».
Moché reçoit, au sommet du Mont Sinaï, les instructions détaillées sur la façon de construire cette résidence pour D.ieu, de manière à ce qu’elle puisse être immédiatement démontée, transportée et réassemblée, au cours du voyage du peuple dans le désert.
Dans la chambre la plus intérieure du Sanctuaire, derrière un rideau tissé avec art, se trouvait l’Arche contenant les Tables de la Loi, sur lesquelles étaient gravées des Dix Commandements. Sur le couvercle de l’Arche, se tenaient deux anges enlacés, en or pur. Dans la chambre extérieure, s’élevait la Menorah à sept branches et était dressée la table sur laquelle étaient disposés « les pains de proposition ».
Les trois murs du Sanctuaire étaient fixés à partir de quarante-huit planches de bois. Chacune d’elles était plaquée d’or et soutenue par une paire de socles en argent. Le toit était constitué de trois couvertures : a) des tapisseries de lin et de laine multicolores, b) une couverture de poils de chèvre, c) une couverture de peaux de taureau et de Ta’hach. Devant le Sanctuaire était tendu un écran brodé, tenu par cinq piliers.
Autour du Sanctuaire et de l’autel de cuivre, placé devant, des rideaux de lin pendaient, soutenus par soixante piliers de bois, avec des crochets et des garnitures en argent, renforcés par des piquets en cuivre.
Le Michkane et le Chema
La Paracha Terouma s’ouvre sur l'instruction de rassembler des contributions de la part du Peuple juif en vue de la construction du Michkane, le Sanctuaire portatif dans le désert. Selon Rachi, treize éléments distincts ont été offerts.
En ce qui concerne les premiers mots de cette Paracha « Et ils prendront pour Moi une offrande », le Midrach commente de manière énigmatique : Voici la signification de « Écoute, ô Israël, l'Éternel est notre D.ieu, l'Éternel est Un ».
Quelle relation peut-on établir entre le Chema et les contributions destinées à la construction du Tabernacle ?
La signification de 13
Comme il a été souligné, Rachi indique qu'il y avait treize éléments contribuant à la construction du Michkane. Le fait que Rachi précise le nombre treize suggère une signification particulière attachée à cette quantité. Etant donné que chaque détail de la Torah est précis, il va de soi qu'un détail relatif à la structure la plus importante, le Michkane, doit également l'être, en particulier lorsque la Torah affirme qu'il permettrait à la Présence divine de résider au sein de la communauté juive.
De surcroît, la construction du Michkane constituait un moyen pour D.ieu d'informer le Peuple juif que le péché lié à la fabrication du veau d'or avait été pardonné. Sa construction revêt une telle importance que même les détails les plus minutieux sont mentionnés, souvent à plusieurs reprises.
Quelle est alors l'importance des treize éléments donnés pour ce projet architectural ?
Le nombre treize possède une valeur symbolique significative et incarne notamment les idéaux complémentaires de l'amour et de l'unité. Les mots hébreux pour « amour » et « unité » sont respectivement « Ahava » et « é’had » ; chacun de ces termes ayant une valeur numérique équivalente à treize.
13 = amour et unité
Quelle est donc la relation entre le nombre treize et les concepts d’amour et d'unité.
La réponse se trouve dans le récit concernant le testament de Yaakov à ses douze fils. Alors qu'il s'apprêtait à leur révéler ce qui adviendrait à la fin des temps, la Che’hina - la présence divine - l'abandonna. À cet instant, il supposa que leur foi en l'Unité de D.ieu avait peut-être été mise en doute. Lorsque les fils de Yaakov « prirent conscience des suspicions pesant sur eux, ils dirent à leur père : ‘Écoute, ô Israël (le nom originel de Yaakov), l’Éternel est notre D.ieu, l’Éternel est un’. Tout comme tu n'as qu'un dans ton cœur, nous n’avons également qu'un dans nos cœurs ».
Dès lors on peut se demander comment il est possible que Yaakov ait pu douter de la croyance de ses fils en un D.ieu unique.
Intégration de l'unité
En réalité, la préoccupation de Yaakov ne se situait pas tant dans leur adhésion à la croyance en un D.ieu unique que dans la manière dont ils intégraient la notion d'unité dans leur existence. Les douze fils de Yaakov représentent le maximum de catégories au sein du Peuple juif. Yaakov était inquiet que leurs divergences et l’absence d'amour qui prévalait entre eux, comme en attestait la vente de Yossef par ses frères, témoignent qu'une véritable conscience de l'Unité divine n'imprégnait pas leur vie et qu’ils n'étaient donc pas prêts pour la Rédemption future.
Dans l'esprit de Yaakov, chacun de ses douze fils avait une conception distincte de D.ieu qui divergeait de celle de ses frères. Cela représentait un signe que leur notion d'unité était radicalement différente de la sienne. Lorsqu'un individu est imprégné de l'Unité divine, cela engendre un amour pour D.ieu. Et lorsqu'il aime D.ieu, il aime également celui que D.ieu aime. Ainsi, lorsque l'amour entre frères fait défaut, cela peut indiquer que leur amour pour D.ieu, qui découle d'une compréhension profonde de l'Unité divine, est également déficient.
Un et tous
Ils répondirent donc à leur père Yaakov : « tout comme il n'existe aucune autre entité dans ton cœur, la croyance en l'Unité de D.ieu est également totale dans nos cœurs ». Ils suggérèrent que leur division en douze ne contredisait en rien leur engagement envers l'Unité divine. A l’instar de Yaakov, qui possédait un unique cœur et par conséquent une foi et une dévotion singulières envers D.ieu, et réussissait à exprimer cette unité à travers les multiples dimensions de sa vie, les tribus déclarèrent que l'Unité de D.ieu imprégnait également tous leurs « cœurs » variés.
Nous pouvons dès lors appréhender la signification du nombre treize. Treize représente douze plus un. Cela signifie que bien que les douze tribus incarnent effectivement des personnalités diverses, chacune avec ses propres intérêts et caractéristiques, elles se rassemblaient néanmoins autour d’une entité supérieure ; le nombre treize qui les unissait et favorisait l'amour entre elles.
Cette explication vient nous éclairer sur le fait que le nombre treize correspond numériquement aux mots « amour » et « unité ». Le nombre treize incarne l'idéal de l'unité au sein de la diversité. Malgré la dispersion en douze directions disparates, il existe une unité qui les transcende et les guide sans compromettre les différences légitimes et souhaitables.
Nous pouvons désormais saisir les raisons pour lesquelles treize éléments précis ont été employés dans la construction du Michkane.
L’objectif du Michkane
Le Michkane permettait au peuple de vivre l'Unité divine et l'amour qu'elle engendre. Ce projet collectif visait à insuffler une unité au sein de la diversité des douze tribus.
Nous pouvons donc saisir le sens de la citation midrachique du Chema. Le Michkane représentait une expression tangible du Chema. L'Unité de D.ieu, ainsi que le commandement d'aimer D.ieu et son corollaire, l'unité et l'amour du Peuple juif, s’y manifestaient. En effet, même les treize éléments qui furent offerts pour sa construction symbolisaient ce concept d'unité tout en intégrant les intérêts variés de chacune des douze tribus.
Israël divisé en treize parties
Le Talmud affirme qu'à l'ère messianique, la Terre d'Israël sera divisée en treize tribus dont la treizième sera attribuée au Machia’h.
L'ère messianique ne constitue pas simplement une utopie mais le moment où l'Unité de D.ieu et celle du Peuple juif atteindront leur apogée. À ce moment-là, nous percevrons clairement comment le treizième niveau fait partie intégrante des douze autres niveaux.
Qu’est-ce que les « quatre Parachiot » ?
Nos Sages ont institué de lire, en plus de la Sidra hebdomadaire, une « Paracha » supplémentaire durant les semaines qui précèdent Pourim et Pessa’h.
- La première s’appelle « Chekalim ». Elle rappelle la nécessité pour chacun de donner, chaque année, un demi-chékel pour l’entretien du Temple et l’achat des sacrifices communautaires. Cette Paracha (Exode 30 - 11 à 16) sera lue ce Chabbat Térouma 1er mars 2025, second jour de Roch 'Hodech Adar. On sortira donc trois rouleaux de la Torah : - un pour la Paracha de la semaine : Térouma – six montées) ; - un pour Roch 'Hodech (septième montée) et un pour la Paracha « Chekalim » (le dernier appelé lira aussi la Haftara : Rois 2, chapitre 11, versets 17 à 20 et chapitre 12, versets 1 à 17)
- La seconde s’appelle « Zakhor » et rappelle la nécessité de se souvenir d’Amalek (Devarim - Deutéronome 25. 17 à 19). Elle est lue le Chabbat précédant Pourim, cette année le Chabbat Tetsavé 8 mars 2025. La Haftara relate le combat du roi Chaoul contre Amalek (Samuel 1 chapitre 15).
- La troisième s’appelle « Para » (Bamidbar - Nombres 19. 1 à 16) et rappelle la nécessité de se purifier avant la fête de Pessa’h. Elle est lue le Chabbat Vayakhel 22 mars 2025. La Haftara rappelle la pureté du Temple (Ezékiel chapitre 36, versets 16 à 38).
- La quatrième s’appelle « Ha’hodech » (Chemot - Exode 12. 1 à 20) et rappelle l’importance du mois de Nissan et le sacrifice pascal. Elle est lue le Chabbat Pekoudé 29 mars 2025. On lira la Haftara dans Ezékiel chapitre 45, versets 16 à 25 et chapitre 46, versets 1 à 18.
Vous avez dit : hôpital ?
En plein Chabbat, il y a cinq ans, j’ai subi un accident vasculaire cérébral et j’ai été transporté d’urgence à l’hôpital Chaaré Tsédek à Jérusalem. Après une opération compliquée, je me suis réveillé paralysé. Trois semaines plus tard, on m’a transféré à l’hôpital Levinstein de Raanana pour la rééducation. (Je remercie D.ieu car j’ai pu, rapidement, reprendre mes activités de directeur du Séminaire de jeunes filles à Tsfat - Safed).
Quand je suis arrivé à cet hôpital Levinstein, j’ai été accueilli presque comme un invité de marque par le directeur, le docteur ‘Haguaï Amir en personne : il tenait à me raconter une histoire qui nous concernait tous les deux !
« Mon père, le professeur Avraham Amir appartenait au courant sioniste religieux. Il était un fonctionnaire important au ministère de l’éducation et, à ce titre, connaissait bien les directeurs d’écoles Loubavitch des années 60 et 70 comme les regrettés Rav Berke Wolf et Shmuel Hefer. Ceux-ci l’aidèrent d’ailleurs à obtenir plusieurs entrevues avec le Rabbi pour recevoir conseils et bénédictions car nous avions été envoyés en mission à New York par le ministère. Comme nous habitions à Brooklyn, mon père se rendait souvent à la synagogue du 770 Eastern Parkway. Il nous emmena d’ailleurs, mon jeune frère et moi qui avait dix ans pour Sim’hat Torah 1969 ; ma mère nous regardait d’en-haut, depuis la galerie des dames. Pendant le Farbrenguen (réunion ‘hassidique), je réussis à me glisser sur l’estrade, vraiment tout près du Rabbi qui me sourit et m’encouragea. Pendant les Hakafot (danses avec le Séfer Torah), nous nous trouvions avec le personnel du consulat israélien (venu de Manhattan) près du Rabbi. Avant les Hakafot, comme d’habitude dans de nombreuses synagogues du monde, se déroulèrent les enchères pour « acheter » les versets traditionnels. Le Rabbi demanda qu’on accorde à mon père l’honneur de réciter un des versets et même moi qui n’était pas encore Bar Mitsva, je reçus l’honneur de réciter un verset en public. Ensuite, le Rabbi demanda qu’on place un Séfer Torah dans les bras de mon père pour une des danses des Hakafot. Or, le verset que mon père récita avait été « acheté » (au prix fort…) par Rav Tzvi Chitrik qui fut très étonné que le Rabbi ait choisi un inconnu pour le réciter.
Après les Hakafot, nous avons rejoint ma mère à l’extérieur et Rav Chitrik sortit lui aussi rejoindre sa femme ; c’est ainsi que les deux couples (et nous, les enfants) se sont retrouvés ensemble pour faire connaissance. Au fur et à mesure de la conversation, les deux dames (ma mère et la vôtre) réalisèrent qu’en fait, elles se connaissaient ! Elles s’étaient rencontrées dix ans auparavant ! Dans les années 60, notre famille était arrivée pour une courte période à Rio de Janeiro dans le cadre d’une mission éducative. Mes parents cherchaient à louer un appartement et avaient besoin de meubles pour la chambre d’enfants : à la même période vous, les Chitrik, acheviez justement votre séjour au Brésil et aviez donc cédé votre appartement, meublé, à mes parents. C’est ainsi que, de fait, à l’âge de quelques mois, j’ai dormi à l’époque dans votre lit de bébé ! Et maintenant, quand j’ai appris que vous allez être hospitalisé dans « mon » hôpital, j’en ai parlé à ma mère qui se souvenait parfaitement de votre famille et de ces rencontres, aussi bien au Brésil qu’à New York !
Maintenant, la boucle est bouclée, c’est vous qui allez dormir dans un de ‘mes’ lits ! ».
Mais l’histoire ne se termine pas là…
Pendant mon hospitalisation, mon gendre Rav ‘Haïm David Wilhelem et mon fils Mena’hem Mendel discutèrent longuement avec Dr Amir et lui expliquèrent que le Rabbi tenait beaucoup à ce qu’on change l’appellation des hôpitaux en Israël : au lieu de les appeler « Beth Holim » (Maison des Malades), le Rabbi préconisait de les appeler « Merkaz Refouï » (Centre de Guérison »), ce qui revêt un aspect positif, essentiel pour le moral des patients. Quand mon ami Rav Berel Lazar, Grand-Rabbin de Russie, me rendit visite, lui aussi encouragea Dr Amir dans ce sens ; comme celui-ci ressentait un grand respect pour le Rabbi, il envisagea sérieusement ce changement et obtint toutes les permissions nécessaires du Ministère de la santé, de la Sécurité Sociale etc. Tous les papiers officiels furent modifiés et arborèrent donc le logo : « Merkaz Refouï Lechikoum (Centre Médical pour le rétablissement) Levinstein ».
Il restait un grand problème : sur le toit de l’hôpital, se trouvait une très grande « affiche » longue de plusieurs mètres et visible à des kilomètres à la ronde. La changer représenterait une dépense de deux cent mille Chekalim ! Mais Dr Amir ne transigea pas ; il chercha des sponsors prêts à investir cette somme et il réussit à les trouver. Il y a deux semaines, il m’a envoyé la photo avec la nouvelle affiche avec, en guise de légende, la bénédiction traditionnelle : « Béni soit Celui qui nous a fait vivre, exister et parvenir jusqu’à ce jour ! »
Quant à moi, je ne doute pas un instant que c’est uniquement pour cela que j’ai subi cette attaque cérébrale, pour que cet endroit change de nom, pour le plus grand bien des patients, selon la volonté du Rabbi !
La boucle est vraiment bouclée.
Rav Yossef Yitzchak Chitrik - Kfar Chabad N° 2095
Traduit par Feiga Lubecki