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Semaine 5

  • Bechala’h
Editorial
Racines

La venue de Tou Bichevat, le 15 du mois de Chevat – «nouvel an des arbres», soulève toujours une question traditionnelle : faut-il vraiment parler de «nouvel an» voire en relever la date alors que, même s’il est réel, cela ne semble pas concerner, au moins directement, l’espèce humaine ? En quoi avons-nous rapport avec une célébration qui relève, au mieux, de l’ordre du végétal ? Pourtant, ce jour est bien marqué par les textes et la tradition très généralement établie d’y consommer des fruits. La réponse, comme souvent, tient en une partie de verset : «Car l’homme est un arbre des champs…» C’est certes là une proposition audacieuse. Au-delà de la préoccupation écologique avant la lettre, ce membre de phrase recèle une idée essentielle : il existe entre l’arbre et l’homme des points communs qui sont autant d’enseignements précieux.
De fait, l’arbre, solidement arrimé par ses racines à la terre nourricière, se développe harmonieusement jusqu’à produire des fruits qui, plus que simples aliments, apporteront à l’homme le sens du «plaisir» et du «délice». N’obtient-on pas ainsi un premier portrait de l’être humain dont le développement spirituel, intellectuel et moral ne tient qu’à la robustesse de ses racines et à la qualité du sol où elles s’enfoncent ? Car existe-t-il un avenir pour les arbres sans passé ou pour les hommes à la trop courte mémoire ou aux racines oublieuses ? Dans le même sens, l’arbre arrive à sa plénitude par les fruits qu’il produit et qui sont comme son couronnement. C’est ainsi que se déroule la vie de l’homme qui ne prend sa pleine signification que si, productrice d’avenir, elle est capable de transmettre, par ses fruits, à la génération suivante.
C’est dire que, comme l’arbre, l’homme est un être qui se cultive. Il est celui que les soins et l’attention perfectionnent, lui permettant d’exprimer l’infini de son potentiel. Et si tout commençait par l’éducation, la sienne propre, celle de ses enfants et de son entourage ? Une éducation, au sens le plus noble et le plus large du terme qui donne une vision du monde, la capacité de le comprendre, la volonté de l’améliorer et la conscience de mener l’œuvre à bien. Alors que le début de cette semaine est marqué par le 10 Chevat, anniversaire du décès du précédent Rabbi de Loubavitch et début de l’action de son successeur, le Rabbi, n’est-ce pas tout cela qui est en jeu ?
Etincelles de Machiah
Plus grand que Moïse

Machia’h a une certaine supériorité même sur Moïse. Au début du texte de la Torah (Gen. 1 : 2), il est dit : «Et l’esprit de D.ieu planait…». A ce sujet, Les Sages enseignent (Berechit Rabba 2 : 4) : «Ceci fait allusion à l’esprit de Machia’h». Puis le verset continue : «…sur la face des eaux» ; ceci dénote un degré plus élevé que celui de Moïse qui reçut ce nom car «je t’ai tiré des eaux».
C’est la raison pour laquelle cet exil est si long – pour que ce niveau si élevé soit enfin atteint.
(d’après les Maamarim de l’Admour Hazakène sur les Parchiot, p.237)
Vivre avec la Paracha
Bechala’h : L’essence des choses

Pour bon nombre de gens, un élément important de la vie est de chercher «l’essence». «Qu’est-ce que cela veut dire», demandent-ils, «qu’est-ce que cela veut vraiment dire ?». Ceux qui posent la question peuvent être des jeunes qui regardent avec un esprit critique le monde autour d’eux, des étudiants à l’université, des randonneurs en Extrême Orient, des maîtresses de maison faisant la queue à la caisse d’un magasin de grande surface, des hommes d’affaires à la fin d’une journée passée dans un bureau, des retraités qui bavardent sur un banc du parc. L’individu et le lieu peuvent changer mais la question reste la même, qu’est-ce que l’essence et qu’est-ce que cela veut dire ?
La Paracha de cette semaine apporte une réponse de valeur. Le Peuple Juif quitte enfin l’Egypte où il a été asservi pendant de très nombreuses années. Il se dirige maintenant vers la terre d’Israël. A ce point précis, la Torah nous dit : «Et Moché prit les ossements de Yossef avec lui».
Yossef, vice-roi d’Egypte, avait demandé à ses frères qu’après son décès, quand ils finiraient par quitter l’Egypte, qu’ils prennent avec eux ses restes pour qu’ils l’enterrent en Terre Sainte.
Cela évoque l’importance de la Terre d’Israël dans la conscience du Peuple Juif. Et pourtant, le terme employé : «ossements de Yossef» a une résonance un peu étrange. En fait, il s’agit là du mot même employé par Yossef avant qu’il ne meure : «D.ieu vous sauvera et vous prendrez mes ossements avec vous». Mais pourquoi cette emphase sur les os ? Il est sûr qu’une expression plus élégante aurait pu être utilisée, quelque chose de peut-être un peu plus respectueux !
Rien n’est écrit dans la Torah sans raison et cette expression vient également nous donner une leçon.
En hébreu, le mot pour «ossements» (Atsamot) est étymologiquement très proche du mot qui signifie «essence» (Atsmiout). Les «ossements» de Yossef renvoient au squelette matériel de Yossef, la charpente de son corps. L’ «essence» de Yossef évoque, quant à elle, la charpente de son âme. Moché prit le cercueil contenant les restes du corps de Yossef pour l’enterrer en Terre d’Israël, mais il prit également l’essence de Yossef.
Que possédait-elle de si particulier ? C’était l’aspiration à aimer et à s’occuper des autres : rapprocher ceux qui sentent qu’ils sont éloignés.
A sa naissance, Yossef reçut son nom de sa mère Ra’hel qui dit : «Que D.ieu m’ajoute un autre fils». Yossef, en hébreu, signifie «ajouter». Le sens littéral indique qu’il s’agissait là d’une prière pour avoir un second fils mais la ‘Hassidout explique que cela fait référence au sens profond de ce nom et de l’être tout entier de Yossef : aider chaque personne à s’ajouter et à faire partie du Peuple Juif et tout particulièrement l’individu qui se sent «autre» et retiré de la communauté.
C’est là l’essence de Yossef et l’héritage éternel qu’il laissa à Moché et à l’ensemble du Peuple Juif : nous devons nous consacrer à faire de l’ «autre» un «fils», à chercher ceux qui sont loin et à les rattacher à leurs racines. Aimer et prendre soin.
Et c’est cela que Moché et le Peuple Juif prirent avec eux quand ils quittèrent l’Egypte et entreprirent leur voyage vers la Terre Sainte. C’est aussi notre essence alors que nous aspirons à quitter notre exil et faire le voyage vers la Rédemption. C’est là l’essence du Judaïsme et de la vie.

La Manne, Chabbat et l’échelle de Yaakov
Plus loin dans la Paracha, nous découvrons la Manne, la nourriture miraculeuse que reçut le Peuple Juif tout au long des années qu’il passa dans le désert.
La Manne possède un lien tout particulier avec le Chabbat. Les jours de la semaine, chaque matin, les Juifs trouvaient la Manne sur le sol, en dehors du camp. Ils la ramassaient et la consommaient durant la journée. S’ils tentaient de la garder la nuit, elle s’abîmait.
Le miracle de la Manne commença un dimanche matin. Le vendredi de cette semaine, quand les gens rapportèrent la Manne dans leur tente, chaque famille découvrit qu’elle en avait reçu une double portion. Moché leur expliqua que cette double portion était destinée au Chabbat. Elle resterait fraîche au cours de la nuit du Chabbat et le lendemain, Chabbat, personne n’aurait besoin de sortir la ramasser. C’était là la première occasion réelle pour le Peuple Juif d’observer le Chabbat.
En souvenir de la Manne, nous posons deux ‘Hallot (pains de Chabbat) sur la table du Chabbat. La couverture sur les pains représente la couche de rosée qui couvrait la Manne.
Nos Sages nous enseignent que tous les aliments du Chabbat sont comparables à la Manne. Cette substance miraculeuse venait d’un monde spirituel élevé. Le Chabbat, ce royaume, appelé «le Monde du Délice» nous est révélé à tous. C’est pourquoi le Chabbat possède une qualité exceptionnelle : quelque chose d’essentiellement spirituel et sacré est vécu et ressenti comme un délice matériel de la famille juive, dans le monde ici-bas.

Le paradoxe de la prière
Cependant quelque chose de Chabbat se rencontre également dans notre vie quotidienne. Ce sont les moments de prière, dans lesquels le paradoxe du Chabbat – la nourriture spirituelle goûtée comme une nourriture matérielle – entre dans notre vie.
Il se peut que nous soyons chez nous ou à la synagogue. Il se peut que nous priions en Hébreu ou dans n’importe quelle autre langue. Mais qu’essayons-nous de faire par la prière ?
L’une des réponses que l’on peut apporter est la suivante : nous essayons de nous rapprocher de D.ieu. La prière est décrite comme une échelle à laquelle nous essayons de monter, nous rapprochant de D.ieu, le Créateur de Tout. Dans cette quête, nous nous oublions et nous oublions nos soucis quotidiens.
Cependant, l’un des aspects paradoxaux de la prière est que nous y demandons aussi à D.ieu de veiller sur nous et de nous aider dans le monde concret et matériel : de nous guérir, de nous protéger, de nous donner la nourriture et la subsistance.
Comment réunir ces aspects contradictoires de la prière ?
Il existe un but général dans le Judaïsme, celui d’atteindre les niveaux les plus élevés et les plus spirituels de l’expérience juive et de les attirer dans notre vie quotidienne.
Nous atteignons les échelons les plus élevés de l’échelle de la prière quand nous attirons ce sens de la spiritualité dans le monde pratique et concret (par la pratique des Mitsvot et l’étude de la Torah).
Vous souvenez-vous du rêve de Yaakov ? Notre mouvement vers D.ieu est comparable à celui des anges qui montaient l’échelle. Et puis vient le mouvement correspondant : les anges descendent. C’est ainsi que D.ieu nous bénit, nous donne la santé, l’abondance et, en dernier ressort, la Rédemption.
Le Coin de la Halacha
Qu’est-ce que Tou Bichevat ?

Le 15 («Tou») du mois juif de Chevat est un jour particulier : il est un des quatre «Roch Hachana» (début de l’année), en l’occurrence le Roch Hachana des arbres. On n’y récite pas la prière de Ta’hanoune (supplication).
Ce samedi 3 février 2007, on mangera davantage de fruits, en particulier des fruits qui font la fierté de la terre d’Israël : blé, orge, raisin, figue, grenade, olive et datte. On s’efforcera également de manger des caroubes ainsi que des fruits nouveaux. On n’oubliera pas de réciter les bénédictions adéquates avant et après manger.
Comme Tou Bichevat tombe, cette année, un Chabbat, on aura soin d’ouvrir si possible les boîtes et paquets avant Chabbat afin de faciliter les préparatifs. De même, on aura soin de prélever la «Terouma» et le «Maasser» des fruits provenant d’Israël avant Chabbat.
La Torah compare l’homme à un arbre des champs : lui aussi est supposé produire des fruits, c’est-à-dire des Mitsvot, des bonnes actions. De même que le fruit peut produire des arbres qui produiront des fruits etc…, de même nos Mitsvot entraînent d’autres Mitsvot, encouragent d’autres Juifs à assumer leur judaïsme, à retrouver leurs racines et à s’enraciner dans un sol riche d’étude de la Torah et de pratique des Mitsvot. C’est ainsi que le peuple juif se perpétue, se développe et produira d’autres fruits.
A Tou Bichevat, nous mangeons des fruits, nous «produisons» des fruits, nous plantons des graines de bonnes actions.

Feiga Lubecki
De Recit de la Semaine
«Ceux qui plantent avec des larmes récolteront dans la joie»

Le 11 janvier 2007 s’est éteinte à New York la Rabbanit Maryasha Shagalov, à l’âge de cent six ans. Née à l’époque des Tsars, elle eut la douleur, à l’âge de cinq ans, de perdre son père, assassiné de sang-froid lors d’un pogrome, puis ses grands-parents, brûlés vifs dans leur ferme par leurs voisins. En 1937, son mari fut arrêté puis exécuté par le KGB pour «activités contre-révolutionnaires», c’est-à-dire pour avoir continué à pratiquer et à enseigner le judaïsme. Elle survécut à la brutalité de Staline et de Hitler – que leurs noms soient effacés – et s’installa finalement à New York avec ses six enfants qu’elle avait élevés seule. Elle laisse plus de cinq cents descendants ! La plupart sont des émissaires du Rabbi aux Etats-Unis, en Australie, Chine, Angleterre, France, Panama, Pologne et Afrique du Sud.

Maryasha et Elchanan Shagalov étaient résolus à ne jamais envoyer leurs enfants dans les écoles soviétiques : en effet, on y apprenait aux élèves à dénoncer leurs parents si ceux-ci n’agissaient pas conformément à la volonté de la Mère-Patrie communiste, par exemple s’ils priaient ou exerçaient une activité privée clandestine. Dès qu’en enfant allait à l’école, ses parents n’osaient plus parler de D.ieu, n’osaient pas lui transmettre des connaissances sur le judaïsme et devaient stopper toute pratique religieuse de peur d’être livrés à la police secrète et déportés en Sibérie pour ne plus en revenir.
Bien vite les zélés fonctionnaires communistes apprirent qu’une famille de Juifs «fanatiques» continuait de maintenir ses traditions. Le père Elchanan refusait de travailler Chabbat dans les usines nationalisées par le gouvernement. Ce faisant, il perdait ses droits à toute aide alimentaire mais il fut, de plus, expulsé de sa maison, par un froid glacial, avec sa femme et ses jeunes enfants.
La famille s’installa dans la galerie des femmes, dans la synagogue locale. Les bancs devinrent des lits, des tables et servirent même à boucher les trous des fenêtres et à garder un peu d’intimité à cette famille courageuse.
Avec l’arrestation (en fait : la disparition) de son mari, Maryasha dut seule subvenir aux besoins de ses enfants. Une autre femme, une veuve vivait dans une chambre de la synagogue. Maryasha suggéra qu’ensemble elles s’occupent du jardin à l’arrière du bâtiment : elles allaient engager un ouvrier qui y planterait des pommes de terre. Celui-ci exigeait cinquante roubles pour ce travail : une somme exorbitante, même en temps normal. La veuve voulait refuser mais Maryasha insista : «D.ieu nous aidera certainement!» Elle demanda à l’homme de se mettre au travail tout en ignorant comment elle le paierait.
Le troisième jour, alors que l’ouvrier avait presque achevé la tâche, un étranger entra dans la synagogue et déclara à Maryasha : «Je suis un ami d’un ami de votre mari. Quand mon ami a entendu que votre mari avait été jeté en prison, il m’a remis cinquante roubles pour vous!»
Stupéfaite, Maryasha le remercia et demanda l’adresse de cet ami afin qu’elle puisse le remercier personnellement. L’homme lui donna un nom et une adresse mais quand Maryasha se rendit là-bas, nul n’avait jamais entendu parler d’un homme portant le nom qu’on lui avait donné…
Alors que les plants de pommes de terre étaient presque prêts à donner leur récolte, Maryasha et sa voisine les surveillaient attentivement afin que personne ne le piétine, ce qui ruinèrent leurs espoirs.
Pourtant, c’est juste à ce moment que les Juifs de la ville apprirent que le gouvernement s’apprêtait à confisquer et à brûler tous les livres et Sifré Torah de la synagogue. Maryasha décida immédiatement de sauver autant de livres que possible : les sortir par l’avant de la synagogue était bien trop risqué. Il fallait donc passer par l’arrière, ce qui signifiait marcher sur les plates-bandes. L’associée de Maryasha refusa fermement qu’on passe par son bout de terrain. Maryasha échangea donc avec elle sa partie du jardin et, plusieurs nuits de suite, ses enfants se glissèrent dans la synagogue et se passèrent les livres des uns aux autres, en écrasant au passage les pousses de pommes de terre. Quand la veuve demanda à Maryasha comment elle nourrirait ses enfants, elle répondit en toute simplicité : «Pour sauver des livres saints, je peux me passer de pommes de terre. D.ieu prendra soin de mes enfants!»
Quand arriva le moment de la récolte, tout le jardin fournit des pommes de terre. Mais dans la portion de Maryasha, celle qui avait été piétinée et sur laquelle les enfants avaient traîné de lourds sacs de livres, les pommes de terre étaient énormes !
Ainsi Maryasha put nourrir ses enfants pendant de longs mois ; elle en distribua à des voisins moins «fortunés» et put même en vendre au marché noir.
Quand elle rentra «à la maison» après avoir gagné cent roubles grâce à ses pommes de terre, elle rencontra le responsable de la synagogue ; celui-ci était désespéré : «Ils» vont murer la synagogue parce que le toit est abîmé. Personne n’a d’argent pour le réparer. C’en est fini de la synagogue!»
Sans hésiter, Maryasha lui tendit les cent roubles qu’elle venait de gagner et lui dit : «Faites le nécessaire pour sauver la synagogue!»

* * *

Ainsi que l’a déclaré Rav Kotlarsky à son enterrement : «C’était une femme petite de taille mais géante par son dévouement au judaïsme!»
Que son souvenir soit une source d’inspiration pour ses descendants et tout le peuple juif !

June Goldsobel et Henia Laine
traduit par Feiga Lubecki