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Semaine 53

  • Vayigach
  • Vaye’hi
Editorial
Une fête pour des livres

Le peuple juif est souvent dénommé “peuple du Livre”. C’est là un noble titre qu’il a certes mérité tout au long de son histoire tumultueuse dont les méandres ne l’empêchèrent jamais de rester attaché aux textes porteurs de son éternelle sagesse. Il est vrai que, sans les livres qui ont modelé sa conscience et son rapport au monde, il perdrait une partie de son âme. Ses ennemis ne s’y sont d’ailleurs jamais trompés qui, lorsqu’ils ont voulu l’atteindre ou mettre sa survie en péril, ont commencé par s’en prendre justement à ses livres, les détruisant, les confisquant ou interdisant leur étude.
Chacun pensait que des actes de ce type appartenaient à une histoire ancienne et révolue. Chacun voulait croire qu’en nos siècles, plus personne n’oserait porter la main sur cette richesse commune et inestimable que contiennent des livres transmis avec amour, génération après génération. Pourtant, il y a un peu plus d’une vingtaine d’années, l’impensable se produisit. Certains s’autorisèrent à détourner des éléments de ce trésor, prélevant dans la bibliothèque du Rabbi des ouvrages sans prix afin de les vendre et d’en tirer un bénéfice personnel. Le fait qu’ainsi ils privaient la communauté d’une immense lumière ne les préoccupait guère.
L’enjeu était grave et, dès que le larcin fut découvert, tout fut entrepris pour que les livres retournent à leur lieu naturel, la bibliothèque, et qu’ils puissent servir ainsi à tous. Après des semaines, des mois d’effort, le 5 Tévet fut le jour de la victoire. Ce jour-là, chacun sut que le danger était écarté, que la sagesse ne serait jamais confisquée au bénéfice d’un individu, qu’elle resterait l’apanage de tous.
Il n’est guère étonnant que la joie qui éclata alors fut sans limites, qu’elle établit une véritable fête, profonde et sincère. L’allégresse déborda d’autant plus que l’étude connut ainsi une vigueur renouvelée accompagnée par la diffusion de textes nouveaux. Depuis lors, le 5 Tévet est célébré d’année en année et la joie y est toujours au rendez-vous. Ce jour est porteur de toute la puissance de notre temps qui sait affronter l’obscurité spirituelle et lui donner la seule réponse qui vaille: la lumière.
Etincelles de Machiah
Une contradiction absolue !

Quand un Juif se trouve en exil, même quand il accomplit le service de D.ieu qui lui incombe de « faire pour D.ieu une demeure ici-bas », il ne peut pas être satisfait car il est en exil !
«Juif» et «exil» sont deux notions radicalement contradictoires ! Il s’ensuit que, quand un Juif est en exil, il est dans un état où «il languit après la maison de son père».
D’après un commentaire du Rabbi de Loubavitch –
Chabbat Parchat Vayétsé 5746 H.N.
Vivre avec la Paracha
Vayigach : Le cou

L’histoire de Yossef et de ses frères à laquelle la Torah consacre plus d’une douzaine de chapitres détaillés (Beréchit 37-50) n’est pas celle d’un simple drame familial. Les douze fils de Yaakov sont les fondateurs des douze tribus d’Israël et leurs actes et expériences, leurs conflits et réconciliations, leurs séparations et réunions, définissent en grande partie la ligne dans laquelle va s’inscrire l’histoire du Peuple Juif.
L’un de ces événements émouvants est la réunion entre Yossef et Binyamine, décrite dans Beréchit 45 :14 : «Et [Yossef] tomba sur le cou de son frère Binyamine et pleura, et Binyamine pleura sur son cou». Le Talmud (Meguilah 16b) interprète leurs sanglots sur leurs cous mutuels comme une expression de la douleur et du chagrin pour les futures tragédies de leurs histoires respectives : « [Yossef] pleura pour les deux Temples qui se tiendraient sur le territoire de Binyamine et seraient destinés à être détruits… et Binyamine pleura pour le Sanctuaire de Chilo qui se dresserait sur le territoire de Yossef et serait destiné à être détruit.»
C’est ici que réside la signification du fait que chacun pleura sur le cou de l’autre. Dans la Torah, le cou est une métaphore courante pour le Temple. «D.ieu plane sur lui tout le jour et réside entre ses épaules» dit Moché à propos de Binyamine, se référant au Temple dans sa province (Bamidbar 33 :12). Et le Roi Chlomo, chantant les louanges de «la jeune fille Israël» et de sa relation avec le Tout Puissant proclame : «Ton cou est comparable à la Tour de David» (Cantique des Cantiques 4 : 4. La «Tour de David» se réfère dans ce verset au Temple.)
Les Sanctuaires sont des liens entre le ciel et la terre, des points de contact entre le Créateur et Sa création. «Les cieux et le ciel des cieux ne peuvent Te contenir», proclama Chlomo au moment de l’inauguration du Beth Hamikdach, «comment cette maison que je T’ai construite [peut-elle le faire] ?» (Rois I 8 : 27). Et pourtant D.ieu a commandé : «Ils Me construiront un Sanctuaire et Je résiderai parmi eux» (Chemot 25 : 8). D.ieu Qui transcende le fini, transcende également l’infini et Il choisit de désigner un lieu et une structure matériels pour être le site de Sa présence manifeste dans le monde et le point central du service qu’accomplit l’homme pour son Créateur. «C’est la Maison de D.ieu», s’écrie Yaakov après une nuit passée sur le site futur des Temples, «et c’est la porte du ciel» par laquelle les prières de l’homme s’élèvent jusqu’en haut (Beréchit 28 : 17). Trois fois par an, tout Israël venait «voir et être vu» par la «face de D.ieu» au Sanctuaire de Jérusalem.
Le Sanctuaire est donc «le cou» du monde, le point de jonction qui connecte le corps à sa tête. La tête d’un homme contient ses facultés les plus hautes et les plus vitales : l’esprit et les organes sensoriels, de même que les centres nerveux qui permettent de manger, de boire et de respirer. Mais c’est le cou qui joint la tête au corps et achemine le flux de la conscience et de la vitalité de l’un à l’autre : la tête nourrit le corps en passant par le cou. De même, le Temple est ce qui unit le monde à la source de vie supérieure. C’est le canal par lequel D.ieu se lie à Sa création et l’imprègne de la perception spirituelle et de la subsistance matérielle.

Une jointure précaire
«Et tout comme l’âme remplit le corps», disent nos Sages, «D.ieu remplit le monde». Tout comme existe «un cou» qui joint le monde à son âme divine, chacun a besoin d’un «Temple» personnel, un Beth Hamikdach dans la vie de chaque individu, un «cou» pour joindre sa tête spirituelle (son âme) avec son corps physique.
L’âme humaine est une étincelle pure et parfaite de son Créateur, la source de tout ce qui est bon et divin dans l’homme. Mais pour qu’elle mène sa vie, l’homme doit construire un «cou» qui joigne son âme à son être matériel. Il doit sanctifier son esprit, son cœur et son comportement pour qu’ils forment un conduit par lequel son essence divine puisse contrôler, vitaliser et imprégner son être tout entier.
La destruction du Sanctuaire, que ce soit au niveau cosmique ou au niveau individuel, est la rupture de la jointure entre la tête et le corps, entre D.ieu et la création, entre l’âme et l’être physique. En fait, les deux sont liés. Quand le Saint Temple se tenait à Jérusalem et servait ouvertement de centre nerveux de l’univers, cela renforçait, de toute évidence, le lien entre l’âme et le corps de chaque individu. Et quand l’homme répare son «Saint Temple» personnel, faisant un pont entre la matière et l’essence dans sa propre vie, il contribue à la reconstruction du Saint Temple universel et à la régénérescence du lien ouvert et sans retenue entre D.ieu et la Création.

L’un pour l’autre
Cela explique pourquoi Yossef et Binyamine pleurèrent sur le cou de l’autre : l’état de la «tête» n’est jamais une cause de désespoir car l’âme essentielle ne peut jamais être entachée ou corrompue. Mais ils entrevoyaient les périodes où le «cou» entre l’esprit et la matière serait endommagé, éloignant la terre du ciel et l’âme du corps. Et ainsi ils pleurèrent chacun sur la tragédie de l’autre car, pour eux-mêmes, ils savaient qu’il leur revenait d’agir pour réparer et non de se lamenter. Quant à l’autre, chacun d’eux partageait sa douleur afin de l’aider à la reconstruction.
Le Coin de la Halacha
Qu’est-ce que le jeûne du 10 Tévet ?

Le 10 Tévet – cette année jeudi 5 janvier 2012 – rappelle le début du siège de Jérusalem par Nabuchodonosor en l’an 3336 (-425). C’est l’un des quatre jeûnes institués par nos Sages en souvenir de la destruction du Temple.
Rabbi Chnéour Zalman de Liady explique qu’un jour de jeûne est aussi un jour de bienveillance divine. Comme l’obligation de jeûner le 10 Tévet est, à certains égards, plus stricte que pour les autres jeûnes, on peut comprendre que la bienveillance divine est aussi plus forte ce jour-là. Donc la Techouva, le retour à D.ieu que doit amener le jeûne, sera aussi d’un niveau plus élevé.
Dans de nombreuses communautés, ce jeûne est aussi associé au souvenir des victimes de la Shoah et le Kaddich y est récité pour le mérite de tous ceux dont on ignore la date exacte de décès.
Le jeûne commence à 6h 59 (heure de Paris) et se termine à 17h 53.

F. L. (d’après Rav Y. Ginsburgh et Rav M. M. Laufer)
De Recit de la Semaine
La neuvième flamme

Je n’oublierai jamais le dernier ‘Hanouccah que j’ai passé dans les camps. La plupart d’entre nous étions tellement obsédés par la recherche de quelque chose à nous mettre sous la dent en évitant d’attirer l’attention de nos gardiens que nous ne savions plus quel jour de l’année nous nous trouvions. Surtout en cette fin d’année 44 : les nazis sentaient que l’étau se resserrait autour d’eux, car les Russes et les Américains approchaient. Nos gardiens devenaient nerveux et de plus en plus cruels et imprévisibles.
Cependant, certains d’entre nous tenaient à se souvenir des dates importantes, ils nous informaient qu’aujourd’hui, c’était Chabbat, ou Pessa’h… Ce jour-là, quelqu’un m’avertit que c’était ‘Hanouccah. Mais dans quelles circonstances !
Ce matin-là, je m’étais rendu à l’infirmerie pour tenter de subtiliser de la pommade, n’importe laquelle pour aider à soulager les plaies ouvertes de mon père. Sa maladie – quelle qu’en soit le nom – lui dévorait la peau et chaque fois que je parvenais à me glisser dans sa baraque, je le voyais se gratter et se masser en silence. Je n’avais que onze ans et j’étais terrifié en observant mon père qui se consumait de douleur.
Ce jour-là, quand je pénétrai dans sa baraque, il n’y était plus. L’angoisse me saisit.
Un vieil homme que je ne connaissais pas mais que j’avais déjà vu parler à mon père, s’approcha de moi pour me consoler. Lui aussi ignorait quand mon père avait été emmené et, jusqu’à maintenant, je ne sais pas s’il est mort de sa maladie ou d’une balle tirée par un nazi assez «courageux» pour achever un mourant.
Cet homme m’expliqua qu’à ‘Hanouccah, nous célébrons la victoire des faibles, peu nombreux, sur les forts pourtant très nombreux. Nous allumons des bougies pour affirmer que notre lumière est plus forte que toute obscurité. «Ton père aurait été content de savoir que tu prends le relais pour transmettre la lumière malgré la pénombre autour de nous».
J’étais si ému par ses paroles – et tous les souvenirs de mes années d’enfance à Lodz – que je proposais avec enthousiasme que nous allumions la Menorah ce soir-là. Il ne put s’empêcher de sourire, oui de sourire dans ce camp d’extermination, mais reprit bien vite son air angoissé en expliquant que ce serait trop dangereux. J’insistai et me mis en route pour «organiser», c’est-à-dire subtiliser un peu d’huile de machines dans l’atelier. J’étais si excité que j’en oubliai provisoirement ma peine et mon inquiétude quant au sort de mon père. Effectivement, je parvins à rapporter un trésor : de l’huile utilisée pour graisser les machines. Le déporté ami de mon père avait trouvé de quoi confectionner des mèches, sans doute en détricotant un chiffon ou autre tissu.
Il nous restait à trouver du feu pour allumer notre Menorah rudimentaire. J’avais remarqué non loin de notre baraque un tas de cendres fumantes : nous avons décidé d’attendre jusqu’à ce que la nuit tombe pour aller allumer notre lumière de ‘Hanouccah.
Oh comme nous avons attendu ! Mais quand nous nous sommes approchés des cendres, un nazi nous a remarqués et, après une rapide inspection, saisit l’huile et les mèches que nous tentions de cacher. Il se mit à hurler et à nous abreuver d’injures. Miraculeusement, un de ses supérieurs l’appela justement et aboya un ordre quelconque. Il se précipita pour obéir, en conservant nos trésors.
Mais le miracle fut de courte durée. Tandis que nous nous dirigions vers les cendres, il se retourna vers nous et jura que, dès son retour, il «s’occuperait de nous !»
J’étais terrifié mais le compagnon de mon père restait serein et il murmura des mots qui sont restés gravés dans chaque fibre de mon être jusqu’à aujourd’hui : «Aujourd’hui, nous avons allumé une flamme plus puissante que celle de ‘Hanouccah. Le miracle de ‘Hanouccah consistait à trouver une fiole d’huile qui, miraculeusement, brûla non pas un jour mais huit jours d’affilée. Aujourd’hui, nous avons accompli un miracle encore plus grand, nous avons allumé la neuvième bougie, invisible, même quand nous n’avions plus d’huile!
Ne te méprends pas. Nous avons allumé la Ménorah ce soir. Nous avons tout mis en œuvre pour allumer les flammes et D.ieu est conscient de chaque effort. Il savait que nous étions impuissants face à des forces au-delà de nos capacités. Alors, d’une certaine manière, nous avons allumé la Menorah, nous avons allumé une neuvième flamme – la plus puissante de toutes, si puissante qu’on ne peut même pas l’apercevoir !»
Et, sûr de lui, l’homme me promit : «Tu sortiras vivant d’ici ! Et quand tu sortiras, tu emporteras cette neuvième flamme invisible avec toi. Et tu diras à D.ieu que nous avons allumé une bougie même quand nous n’avions pas d’huile. Raconte au monde que la lumière a jailli même dans l’obscurité la plus noire. Nous n’avions pas d’huile, ni matérielle ni spirituelle. Nous sommes traités d’une façon pire que les animaux. Mais, d’une façon incompréhensible, nous avons créé une Menorah là où elle ne pouvait pas exister – dans le feu d’Auschwitz. Non, nous n’avons pas d’huile. Même pas de l’huile impure. Mais nous avons allumé une flamme, une flamme qui s’est nourrie d’un abîme d’obscurité. Nous n’avons jamais cédé. Que le monde sache que notre neuvième flamme est vivante, qu’elle brille d’un éclat à nul autre pareil ! Raconte à chaque personne désespérée que la flamme du judaïsme ne s’éteint jamais !»
Quand il prononça ces derniers mots, le gardien nazi se saisit de lui et l’entraîna derrière une des baraques. Je ne l’ai plus jamais revu.
Comme il l’avait prophétisé, j’ai survécu. Quelques semaines plus tard, les Russes arrivèrent et nous avons été libérés.
Et c’est ainsi que je suis là pour vous raconter l’histoire de la neuvième flamme.

Elie Stern
Yerachmiel Tilles – kabbalaOnline.org
traduit par Feiga Lubecki