La Paracha de cette semaine relate l’épisode de la floraison du bâton d’Aharon. Kora’h et sa faction rebelle avaient contesté le droit d’Aharon à la kehounah guedola (grande prêtrise). Pour réitérer Son choix d’Aharon pour Le servir dans le Sanctuaire, en tant que représentant du Peuple juif, D.ieu ordonna à Moché :
«Prends …un bâton de chacun des chefs (de tribus)… chacun écrira son nom sur son bâton… Ecris le nom d’Aharon sur le bâton de Lévi… et l’homme que Je choisirai (verra) son bâton fleurir…»
Moché plaça chaque bâton devant D.ieu dans le Sanctuaire… Le jour suivant… voici que le bâton d’Aharon fleurissait. Il faisait jaillir des fleurs, produisait des fruits et portait des amandes mûres. (Bamidbar 17 : 16-24)

Dans un discours délivré, Chabbat Kora’h 5741 (1991), le Rabbi cite cet épisode comme exemple classique de ce qu’il appelle «un miracle naturel». D.ieu ne fit pas seulement apparaître des amandes sur le bâton d’Aharon, mais Il stimula le processus naturel tout entier, faisant bourgeonner, fleurir, émerger et mûrir le fruit, comme le rapportent les versets cités, signe que toutes les étapes pouvaient être perçues sur le bâton d’Aharon. Ce bâton défiait les lois et les restrictions de la nature tout en se conformant aux phases de la pousse naturelle de l’amande. Il transcendait la nature selon les propres termes de la nature.
En d’autres termes, dit le Rabbi, il existe deux formes de miracles :
a) un miracle «provocateur» qui dépasse et déplace les normes naturelles ; créant une réalité totalement contraire aux lois de la nature.
B) un miracle naturel qui, tout aussi «impossible» selon les standards normaux et manifestant aussi clairement l’intervention de la main de D.ieu, a néanmoins lieu selon des phénomènes et des processus naturels.
Pour comprendre la différence entre ces différents types de miracles, il nous est nécessaire d’observer le but général des miracles.
Le mot hébreu pour «miracle», ness, signifie «en haut» et «élevé». La régularité et la prédictibilité de la nature créent ce que l’on appelle des «lois» : «c’est ainsi que cela se passe» dit l’ordre naturel et vous ne pouvez que vous conformer à cette réalité définie et jalonnée. La vérité, néanmoins, est tout autre. L’homme et son monde ont été imprégnés par leur Créateur du potentiel d’élever leur existence, d’aller au-delà de ce qui est dicté par l’affirmation que «c’est ainsi que cela se passe». Un miracle, avec son expression manifeste de puissance divine, a un effet qui élève ceux qui le vivent. Il les inspire à transcender les limites perçues de leur propre nature et les normes acceptées dans leur société.
A première vue, il semblerait que le «besoin» du miracle naturel de recourir à un processus naturel en fasse un miracle moindre. En réalité, un miracle qui s’opère à travers la nature est encore plus grand, (plus «miraculeux»). Un miracle qui provoque des bouleversements ne transforme pas la nature. Il ne fait que la dépasser. Mais quand un miracle s’intègre dans le processus de la nature elle-même, elle s’en trouve élevée. Il libère ainsi la substance de l’ordre naturel lui-même.

Le jour où le soleil s’immobilisa
On lit habituellement la Paracha de Kora’h au début du mois de Tamouz. Le Chabbat lors duquel le Rabbi parla des miracles concernant le bâton d’Aharon était le 3 Tamouz. Il rapporta deux autres exemples historiques de «miracles naturels» s’étant produits à cette date.
Le 3 Tamouz 2488 (1273 avant l’ère commune), Yehochoua conduisait le Peuple Juif dans l’une de ses batailles pour conquérir la Terre d’Israël. La victoire était imminente mais l’obscurité tombait. «Soleil ! », proclama Yehochoua, « arrête-toi à Givon. Lune, dans la vallée d’Ayalon ! » Les corps célestes s’exécutèrent, arrêtant leur progression dans le ciel jusqu’à ce que les Hébreux mènent leur combat à la victoire.
Nos Sages ont affirmé que «D.ieu n’accomplit pas un miracle en vain». Pourquoi donc ces bouleversements astronomiques effectués à la demande de Yehochoua ? N’aurait-il pas été suffisant d’accomplir un miracle plus limité, comme simplement illuminer le site de la bataille ? Mais un tel prodige suscitant une lumière «artificielle» aurait impliqué que les lois de la nature soient simplement dépassées et non transformées. Pour inspirer le Peuple non seulement à transcender leur moi naturel mais aussi à le transformer et le sublimer, D.ieu voulut que la lumière miraculeuse dont ils bénéficièrent fut la lumière naturelle du soleil, quand bien même cela impliquait de créer un nouvel ordre naturel dans les cieux.

Un miracle par étapes
Le second «miracle naturel» associé au 3 Tamouz se produisit 3199 ans plus tard, cette fois en termes encore plus naturels (et donc plus miraculeux). Le 3 Tamouz 5687 (1927), le sixième Rabbi, Rabbi Yossef Its’hak Schneersohn fut libéré de la prison de Spolerne, à Leningrad (aujourd’hui Petersbourg).
Rabbi Yossef Its’hak avait été arrêté par les agents de la GPU (police secrète soviétique, précurseur du KGB) à cause de ses efforts pour soutenir la vie juive sous le régime communiste. Il avait été condamné à mort, à D.ieu ne plaise, mais la pression internationale avait obligé le régime soviétique à commuer cette condamnation en une sentence de dix ans de travaux forcés en Sibérie. Le 3 Tamouz, il fut libéré de prison et envoyé en exil.
Neuf jours plus tard, le 12 Tamouz, une nouvelle phase de la libération du Rabbi se produisit : un ordre le libérant et l’autorisant à retourner chez lui à Leningrad. Au bout de quelques mois, il put quitter le pays. D’au-delà des frontières d’URSS, le Rabbi continua à diriger son réseau clandestin d’émissaires et d’activités, d’aide matérielle et spirituelle aux Juifs des quatre coins de « l’empire soviétique ».
Dans une lettre écrite à l’occasion du premier anniversaire de sa libération, Rabbi Yossef Its’hak écrit : «Ce n’est pas que moi qu’a sauvé D.ieu en ce jour… mais aussi chacun ce ceux qui portent le nom «Israël». Rabbi Yossef Its’hak l’avait emporté sur ceux qui cherchaient à détruire la vie juive en Union soviétique. Eux-mêmes avaient dû concéder qu’ils n’avaient aucun droit d’empêcher la pratique juive de sa foi. Maintenant, conclut le Rabbi dans son discours de 1991, après plus de 60 ans, nous avons eu le privilège d’être les témoins d’une autre réalisation de la victoire du Rabbi et du Judaïsme russe. La transformation miraculeuse qui a lieu dans ce pays est la suite du miracle auquel nous avons assisté le 3 Tamouz 1927 !
Nous avons ici un «miracle naturel» du plus grand ordre. D’une part, c’est une chaîne d’événements qui transcendent toutes les lois et les normes naturelles. Suggérer, dans les années les plus sombres du stalinisme, qu’un individu seul puisse contester le «droit» du tout puissant parti à déraciner le Judaïsme en Union soviétique et persévérer, suggérer que l’oppression de centaines de millions d’âmes se relâcherait, en d’autres termes, prédire 1991 en 1927, aurait été aussi incroyable que dire que le soleil changerait son cours.
Mais en même temps, c’était un «miracle naturel» comme l’accentue le fait que tout d‘abord la libération du Rabbi impliquait l’acceptation de ceux qui l’avaient arrêté puis condamné et d’autre part que la victoire ne fut pas immédiate ni complète mais vint par étapes qui se déroulèrent pendant un certain nombre d’années.
C’est là la leçon du 3 Tamouz, dit le Rabbi : ne pas être intimidé par les limites des normes naturelles, pas plus que les désavouer. Nous devons travailler en leur sein pour les élargir et les étendre, faire que la nature de la vie elle-même soit miraculeuse.