La Paracha de cette semaine relate l’épisode tragique d’un peuple souffrant pendant des décades sous l’emprise d’un empire cruel et brutal. Les garçons nouveau-nés sont jetés dans le Nil, les femmes et les hommes juifs sont soumis aux travaux forcés, battus et torturés sans merci. La vie juive n’a plus de valeur.
«Un long moment est passé et le roi égyptien est mort», déclare la Bible. «Le Peuple Juif gémit à cause de son esclavage et ils pleurèrent». La tradition midrachique explique que ce verset signifie que le chef égyptien fut envahi par une lèpre, comparable à la mort, et que ses médecins lui affirmèrent que le seul moyen d’en guérir était d’exécuter des enfants hébreux, cent cinquante le matin et cent cinquante le soir, et de se baigner, deux fois par jour, dans leur sang. La douleur du Peuple Juif devint alors insupportable.
C’est à ce point que «leur cri monta vers D.ieu ; D.ieu entendit leurs gémissements». Dans un coin reculé du désert de Sinaï, D.ieu persuada Moché d’abandonner sa vie solitaire et introvertie de berger et d’entrer dans la gueule du loup pour libérer de l’esclavage son peuple brisé.
Dans un dialogue d’une puissance inégalée entre Moché et le Tout Puissant, Moché dit à D.ieu : «Voici, je me rendrai auprès des Enfants d’Israël et je leur dirai : ‘Le D.ieu de vos Pères m’a envoyé à vous’ et ils diront : ‘quel est Son nom ?’, que leur répondrai-je ?».
‘Je serai tout comme Je serai’ répondit D.ieu à Moché, ‘dis aux Enfants d’Israël : ‘ «Je serai» m’a envoyé à vous’».

D.ieu en exil
La signification de cette réponse nous échappe. Moché demande à D.ieu Son Nom et la réponse en est : «Je serai tout comme Je serai». Quel sens se cache-t-il derrière ces mots curieux ?
Le grand commentateur biblique, Rachi, s’appuyant sur la tradition talmudique, complète les mots manquants : «Je serai [avec vous dans votre détresse présente] tout comme Je serai [avec vous dans vos persécutions et vos exils futurs]».
Mais cette explication paraît également elliptique. Moché demande à D.ieu un nom, un moyen d’identification qu’il pourra alors communiquer au Peuple Juif. Et en réponse, D.ieu lui présente un verbe plutôt qu’un nom précis : une activité plutôt qu’une description.

Une question étrange
Pour apprécier la réponse de D.ieu, il nous faut au préalable comprendre la question de Moché.
Moché dit à D.ieu : «Voici, je me rendrai auprès des Enfants d’Israël et je leur dirai : le D.ieu de vos Pères m’a envoyé à vous’ et ils diront : quel est Son nom ? Que leur répondrai-je ?
Maïmonide, dans son «Guide des Egarés», soulève une question : Pourquoi Moché était-il convaincu que le Peuple Juif voudrait savoir le Nom du D.ieu qui l’avait envoyé en mission pour les libérer de l’esclavage ? Il semblerait qu’en montrant qu’il connaissait le nom de D.ieu, il authentifierait, dans une certaine mesure, sa présence en tant que messager divin pour sauver les Hébreux d’Egypte. Mais pourquoi ? S’ils avaient entendu le Nom de D.ieu avant la venue de Moché, il est facile d’imaginer que Moché Le détenait de la même source qu’eux et pas nécessairement de D.ieu. Et si par contre, ils ne l’avaient jamais entendu, comment ce nouveau nom, qu’ils entendraient de la bouche de Moché, pourrait-il les persuader de lui faire confiance ?
Plus encore, Moché fait précéder sa question des mots : «Voici, je me rendrai auprès des Enfants d’Israël et je leur dirai : ‘le D.ieu de vos Pères m’a envoyé à vous’ et ils diront : ‘quel est Son nom ?’». Moché parlera avec eux du D.ieu de leurs Pères, un D.ieu dont ils ont entendu parler par leurs pères. Ces derniers n’avaient-ils donc jamais partagé avec eux le Nom de ce D.ieu ? Comment se pouvaient-ils qu’ils parlent de ce D.ieu et Le prient sans Lui donner de nom ou de description ?

La question des questions
Dans ces paroles de Moché, il ne cherche pas l’identité de D.ieu ou Son titre. Il Lui adresse La question qui assaille le cœur, la question des questions, celle qui sera, avec certitude, formulée par les Hébreux vers lesquels il est envoyé.
«Quel est Son nom ?» crieront les esclaves juifs à Moché. Pendant plus de huit décades, nous avons suffoqué sous le joug d’une tyrannie brutale. Des milliers et des milliers de nos enfants ont été abattus pour que le Pharaon puisse se baigner quotidiennement dans le sang juif : des bébés ont été arrachés du giron de leur mère et jetés dans la rivière. Nous avons été battus, humiliés, torturés, tués. Les Egyptiens ont fait de notre vie un cauchemar infernal et ont transformé notre dignité en une sous-humanité. Et soudain, le grand et puissant D.ieu des cieux et de la terre, Qui crée et gouverne le monde entier, décide de ressentir notre douleur ?
«Quel est Son nom ?» tonneront les esclaves. Toi, Moché, tu dis que D.ieu «a vu la souffrance de Son peuple en Egypte» et c’est la raison pour laquelle Il t’envoie nous sauver. Mais où était-Il jusqu’à aujourd’hui ? Quel est Son nom, quel est le caractère de D.ieu Qui peut rester dans les cieux, insensible alors que des bébés sont arrachés aux bras de leur mère et jetés dans le Nil pour que Pharaon se baigne dans leur sang ? Où était-Il pendant les quatre-vingt-six ans où nous avons été massacrés sous les fouets mortels des chefs égyptiens ? Est-ce ce D.ieu que nous devons accepter et suivre ? Est-ce le D.ieu en Qui nous devons avoir confiance ? Et est-ce D.ieu envers Lequel nous devons exprimer notre gratitude ? Un D.ieu Qui a été indifférent aux larmes et aux gémissements de l’humanité ?

La réponse
Jamais dans l’histoire, D.ieu n’a répondu à cette question, la plus grave de toutes les questions. Le livre de Job, dédié à la question de la souffrance des innocents, se conclut avec une révélation de D.ieu à Job, lui disant en substance qu’il n’existe aucun moyen pour l’esprit humain de créer les constructions logiques dans lesquelles peut s’inscrire le comportement de D.ieu. Le fini et l’infini ne peuvent tout simplement pas se rencontrer.
D.ieu ne donna pas non plus la réponse à Moché. C’est la raison pour laquelle, à la fin de la Paracha de cette semaine, Moché s’adresse à D.ieu avec des paroles extrêmement dures : «Mon Seigneur ! Pourquoi as-Tu fait du mal à ce peuple ? Pourquoi m’as-Tu envoyé ? Depuis le moment où je me suis rendu chez Pharaon pour parler en Ton nom, il a fait du mal à ce peuple, mais Tu n’as pas sauvé Ton peuple !»
Et que transmet D.ieu au Peuple Juif à travers Moché, «Je serai tout comme Je serai» ! Comme nous l’avons souligné, les Sages du Talmud et Rachi expliquent ces mots ainsi : «Je serai avec vous dans votre détresse présente tout comme Je le serai dans vos exils et vos persécutions futurs».

Quel message se cache derrière ces mots ?
Je suis un mystère, confesse D.ieu. Je suis étrange, infiniment étrange. Mon écriture de l’histoire est tout à fait illisible pour l’esprit et le cœur humains. Et pourtant, vous devez savoir une chose : Je ne suis pas un D.ieu indifférent, résidant dans les Cieux et gouvernant théoriquement la destinée de chaque être humain selon le sens que Je définis. Je suis présent dans votre angoisse. Je suis dans les lamentations des esclaves battus, dans les gémissements de la mère à qui l’on a arraché son enfant, dans le sang répandu d’un enfant assassiné. Vous pleurez ? Je pleure avec vous. Vous êtes écrasés ? Je suis écrasé avec vous. Quelle que soit la profondeur de l’obscurité dans laquelle vous vous trouvez, J’y suis encore plus profondément. Je n’orchestre pas la souffrance humaine depuis une planète distante, éloignée de votre détresse existentielle. Je suis là avec vous, souffrant avec vous, sanglotant avec vous, priant pour la rédemption avec vous.
Il se peut que l’homme ne comprenne jamais l’ «esprit» de D.ieu. Mais ne laisse pas penser, dit D.ieu à Moché, que D.ieu Qui comprend le dessein de la souffrance, se permette le luxe de ne pas ressentir l’intensité de l’obscurité. Chaque larme que vous versez devient Sa larme. Il se peut qu’Il ne les essuie pas, mais Il les fait siennes.

Basé sur un discours du Rabbi, Chabbat Chemot 5743. Likouté Si’hot Vol.26


NB : Quand le Rabbi prononça ce discours, il pleura amèrement. C’était une scène d’une émotion inoubliable. Ceux qui étaient présents sentirent leur cœur se déchirer devant les larmes incontrôlables du Rabbi alors qu’il décrivait la question des Juifs et la réponse de D.ieu.