Quand nous avons décidé de nous marier, en 1990, nous avons rencontré des obstacles de taille. Barou’h, mon futur mari, avait perdu sa citoyenneté soviétique car il avait exprimé le désir de quitter le pays et il nous était donc impossible de célébrer un mariage civil. Or j’avais besoin d’être légalement sa femme pour pouvoir quitter le « paradis soviétique » avec lui qui avait déjà acheté son billet pour Israël. Le « rideau de fer » s’était entrouvert mais pouvait tout aussi bien se refermer à n’importe quel moment. Quand aurions-nous une deuxième chance ? Un ami nous conseilla de nous rendre à Moscou : Israël n’y possédait pas d’ambassade mais ses représentants travaillaient dans les locaux de l’ambassade de Hollande. Nous étions en plein hiver mais à six heures du matin, nous avons pris place dans la longue queue devant l’ambassade qui n’ouvrit qu’à huit heures. La foule se précipita à l’intérieur et nous avons encore patienté jusqu’à ce qu’on annonce, devant nous, qu’aucun autre visiteur ne serait plus admis !

Résignés, les gens quittèrent les lieux mais nous étions trop choqués pour bouger. Un fonctionnaire sortit le nez d’une porte et nous demanda :

- Vous venez pour une affaire personnelle ?

- Oh oui !

- Très personnelle ? insista-t-il.

- Oui, très, très personnelle !

- Entrez !

Il écouta notre histoire puis conseilla : « Procédez à une ‘Houppa ! La prochaine fois que vous venez au consulat, apportez votre Ketouba ! En Israël, c’est considéré comme un document officiel et vous serez enregistrés comme un couple marié. La prochaine fois, brandissez juste votre Ketouba au-dessus de vos têtes et vous n’aurez pas besoin d’attendre votre tour ! ».

Ni Barou’h ni moi-même ne savions ce qu’étaient une ‘Houppa ou une Ketouba. Que devions-nous faire ? Est-ce que cela faisait mal ? Nous ignorions absolument tout du judaïsme, nous étions ces ossements desséchés qui espéraient revivre. L’homme du consulat nous conseilla de contacter une synagogue où on nous expliquerait tout cela. Nous avons appelé celle d’Odessa puis celle de Kiev. Mais on nous répondit unanimement : « Nous n’organisons de ‘Houppa que pour les couples mariés civilement ! ». Bref nous tournions en rond. Finalement quelqu’un nous conseilla : « N’allez surtout pas dans une synagogue officielle ! Allez à Marina Rochtsa ! ».

Ce fut donc la première synagogue dans laquelle nous sommes entrés, plutôt une baraque en bois datant d’il y a au moins deux siècles. Quelques vieillards aux barbes grises et blanches y étaient penchés sur de vieux livres ; leurs vêtements étaient usés jusqu’à la corde, les bancs craquaient de partout. On aurait dit des mendiants attendant la distribution d’une soupe populaire.

Le rabbin David Karpov écouta notre histoire, posa quelques questions puis déclara qu’il était prêt à nous marier même si c’était contraire à la loi : « Un mariage juif est très important ! C’est la volonté de D.ieu ! ». Nous, qui n’avions pas la force de prononcer le mot juif sans baisser la voix, nous avons été stupéfaits de l’entendre parler ainsi. Nous vivions encore sous le régime communiste mais lui parlait librement de D.ieu, de ce qu’Il exige de nous ! Et il n’avait pas peur ! Il me tendit un paquet enveloppé d’un élastique. Non, ce n’était pas des photos, c’était un livre sur la Pureté Familiale. A cette époque, tout livre religieux était interdit en Union Soviétique ; même les photocopieuses étaient surveillées, bien qu’on fût en 1990 : le gouvernement parlait de changement et de démocratie mais les fonctionnaires étaient encore en place et on ne change pas si facilement les mentalités. Rav Karpov me recommanda de faire très attention à ce livre : si j’en perdais une seule page, de nombreuses personnes connaîtraient des ennuis. Si j’acceptais de me conformer à tout ce qui était écrit dans ce livre, nous pourrions fixer la date du mariage. Bien que les concepts évoqués dans ce livre me semblaient d’un autre âge, je le lus jusqu’au bout, en acceptai les conditions et le mariage fut fixé pour le 4 février.

La ‘Houppa fut dressée dans la cour arrière de Marina Rochtsa, entre des congères de neige. Il faisait si froid que j’avais revêtu d’épaisses bottes et une pelisse de mouton peu élégante sur ma robe de mariée. Nous étions entourés de gens que nous ne connaissions pas : pour eux aussi, c’était la première fois qu’ils assistaient à un mariage ‘hassidique ! Tous tenaient des bougies allumées, les étoiles scintillaient dans le ciel et nos cœurs scintillaient sous la ‘Houppa.

Vingt-cinq ans plus tard, nous avons rencontré à nouveau Rav Karpov, à San Francisco. Nous avons été si fiers de lui présenter nos fils portant la Kippa et nos filles habillées de façon pudique, tous fréquentant des écoles juives. Nous lui avons montré une photo du mariage de notre fille aînée qui s’était déroulé devant le 770 Eastern Parkway, la synagogue du Rabbi. L’arrière-grand-père de son mari avait contribué à la construction de la petite synagogue en bois Marina Rochtsa et avait donné sa vie pour maintenir vivante la flamme du judaïsme russe.

Je tendis à Rav Karpov un livre sur la Pureté Familiale, imprimé en toute légalité, que j’avais écrit en russe et qui a depuis été traduit en hébreu et en anglais : « Entre vous et moi… ».

La boucle était bouclée.

Luba Ahuva Perlov – N’shei Chabad Newsletter N° 7805

Traduite par Feiga Lubecki