Le cours de géographie était terminé. Les élèves se dispersaient. Même nous, les élèves juifs avions été obligés de fréquenter les écoles communales d’Ouzbékistan ; cependant, nous restions soudés entre nous et, ce jour-là, nous avions décidé de mettre le cours à profit. Au lieu d’aller en récréation, nous restions penchés sur une grande carte de la Russie et nous cherchions du côté de la Russie blanche, du côté de Smolensk, le village légendaire de Loubavitch. Mais sans succès. Le professeur, flatté de notre soif de connaissances, même au prix de notre récréation, proposa de nous aider dans notre recherche. C’était un pur communiste et nous craignions d’avouer ce que nous recherchions. Finalement, j’eus l’idée d’annoncer que je recherchais la grande ville où mon grand-père était né. Le professeur chercha lui aussi mais en vain. Alors il prit un air mystérieux et suggéra : « Venez dans mon bureau, j’ai un atlas plus complet ! ». Nous l’avons suivi, il prit dans son bureau une loupe et, au bout de quelques minutes, il s’écria triomphalement : « J’ai trouvé ! ». Intrigués, nous avons regardé mais nous étions déçus : le nom Loubavitch était effectivement écrit mais en tout petit ! La capitale de la ‘Hassidout ! Nous en avions tellement entendu parler que nous imaginions que c’était une ville immense ! Ce devait être une erreur ! Le professeur écouta nos protestations, réfléchit puis déclara sous le sceau du secret : « Il existe des grandes villes où fonctionnent des usines secrètes. Afin d’éviter que l’ennemi (ceci se passait pendant la seconde guerre mondiale) s’attaque à ces centres stratégiques vitaux pour notre économie, elles sont à peine signalées sur la carte ! Cela doit apparemment être le cas de votre ville de Loubavitch ! ».

Cela nous semblait plus logique. Mais notre curiosité ne fit qu’augmenter : quelle était cette activité secrète ?

Non loin de chez nous, à Samarkand, habitait un vieux ‘Hassid du nom de Rav Mendel Nadel. Il avait eu le mérite d’étudier dans la Yechiva de Loubavitch avant la première guerre mondiale. Nous avons décidé de mener l’enquête et sommes partis le voir chez lui. C’était un vieillard, à la longue barbe blanche mais en pleine possession de toutes ses facultés. Tout de go, nous lui avons demandé :

- Reb Mendel, vous avez connu la ville de Loubavitch ?

- Oh oui ! soupira-t-il.

- Etiez-vous au courant qu’il y avait là-bas une usine secrète ? Qu’y fabriquait-on ?

- Les enfants ! (Reb Mendel était intelligent et mesurait ses mots. Il nous regarda avec une grande affection et murmura) : oui, c’était une usine où on polissait des diamants !

- Oh… !!! (Nous étions interloqués par cette découverte. Par ailleurs, la simplicité de la baraque de Reb Mendel indiquait clairement qu’il était très pauvre ! Nous n’avons pas pu nous retenir) : Reb Mendel ! Si déjà vous connaissiez cette usine de polissage de diamants, pourquoi n’en avez-vous pas ramassé quelques-uns ? Vous auriez pu vivre dans la largesse toute votre vie !

Reb Mendel nous regardait et avait les larmes aux yeux. Il se reprit et soupira :

- Vous comprenez les enfants… j’étais jeune et je n’ai même pas imaginé combien ces diamants avaient de la valeur…

Mais, en même temps, Reb Mendel était heureux de constater que nous, les enfants qui n’avions jamais vécu à Loubavitch, nous étions attachés à ce village et aux valeurs qu’il représentait. Par ses larmes, il nous fit comprendre combien nous devions profiter de chaque instant de notre éducation ‘hassidique, pour polir les « diamants » de notre âme juive.

Telle était l’anecdote que mon père nous répétait si souvent pour nous faire prendre conscience de l’importance de chaque instant.

Bien des années plus tard, alors que j’enseignais à de jeunes élèves, je leur racontai cet épisode. Un de mes élèves me montra une « surprise » : il sortit de son cartable un grand atlas russe, moderne, destiné aux enfants. Sur les cartes, les géographes avaient indiqué avec des couleurs vives les spécialités de chaque région et de chaque ville. Il le feuilleta rapidement devant moi et parvint à la carte de Smolensk. Je me frottai les yeux de stupéfaction !

Sur le côté gauche de la carte était dessiné… le visage du Rabbi ! Avec la légende suivante : « Mena’hem Mendel Schneerson, Rabbi de Loubavitch, un des dirigeants juifs les plus en vue du 20ème siècle ». On avait aussi représenté la maison des Rebbeim de Loubavitch dans la cour de la Yechiva du village avec les mots : « Un centre juif de prières pour le mouvement ‘hassidique ».

Et, non loin de là, je remarquai sur la carte le dessin d’un énorme diamant dans la région de Smolensk.

Il s’avère qu’à la fin des années cinquante, donc peu après notre discussion avec Reb Mendel, on découvrit en Russie d’importants gisements de diamants. Ceci amena le gouvernement soviétique à bâtir une gigantesque usine, la plus grande d’Europe, pour polir ces pierres précieuses. Les autorités avaient-elles entendu l’histoire de Reb Mendel ? Même si elles ne l’avaient pas entendu de leurs oreilles, leurs « âmes » avaient dû l’entendre : en effet, comme il est symbolique que le gouvernement soviétique ait choisi, de tout l’immense territoire sous son contrôle, la région de Smolensk pour y édifier le plus grand centre de diamants de son empire, non loin d’une autre « capitale des diamants » du nom de Loubavitch !

J’ai envoyé à mon père une photocopie de cette page d’atlas. Quand il me téléphona, je reconnus au ton de sa voix combien il avait été ému et avait revécu cet instant de son enfance à Samarkand, quand il cherchait désespérément sur la carte la « grande ville de Loubavitch ».

Oui ce sont eux, les enfants d’alors qui, malgré l’éducation hérétique que le pouvoir soviétique tentait de leur imposer, ont vaincu le communisme et sont restés fidèles à la tradition de leurs pères et de leurs Rebbeim.

Mon père et ses amis peuvent rassurer Reb Mendel : « Nous avons trouvé ! Vous pouvez sécher vos larmes ! Même la Russie le reconnaît ! Vos diamants brillent de tous leurs feux ! ».

Rav Yerachmiel Gorelik – Chalia’h de Tioumen (Sibérie) – Kfar Chabad N° 1713

Traduit par Feiga Lubecki