Après un bref séjour dans le Minnesota, mon épouse et moi-même nous apprêtions à reprendre l’avion pour retourner en Israël. Pour nous rendre à l’aéroport, nous avions emprunté un minibus qui nous prit à l’hôtel mais s’arrêta plusieurs fois en cours de route pour prendre d’autres passagers. Le conducteur et moi-même avions eu le temps de lier connaissance et nous avons bavardé. Alors que nous arrivions à la dernière étape, il remarqua : «Monsieur le rabbin ! L’homme que je vais emmener maintenant est juif ! Il a plus de quatre-vingt dix ans et est un vétéran de la seconde guerre mondiale. Le voici ! Comment allez-vous, mon ami ? Regardez, je vous ai même amené un rabbin cette fois-ci !»
Ce vieux Juif était très ouvert. Malgré le froid de ce mois de février, il portait un bermuda et une chemise à manches courtes et… un collier en or avec une grande étoile de David. Il me serra la main et, tout heureux de parler en yiddish, me demanda :
- Ah ! Vos Macht a Yid ? (Comment va un Juif ?)
- Barou’h Hachem, D.ieu soit loué ! répondis-je.
Il se dirigea vers le fond du minibus. Je le suivis tout en prenant mes Téfilines au passage et lui proposai de les mettre.
- Comment moi ? Vous n’y pensez pas ! Non merci !
- Vous êtes juif, n’est-ce pas ?
- Bien sûr ! affirma-t-il d’une voix forte.
- Alors si vous êtes juif, vous ne pouvez pas être normal, n’est-ce pas ? Je veux dire : si nous, les Juifs, nous étions normaux, il y a longtemps que nous aurions disparu ! D’accord ?
- Exact ! reconnut-il, intrigué.
- Alors faites ce que les Juifs ont fait depuis plus de 3300 ans ! Mettez les Téfilines ! A votre âge, pourquoi vous inquiéter de ce que diront les autres ?
- C’est vrai ! reconnut-il. Il releva sa manche gauche, répéta la bénédiction après moi et je lui mis les Téfilines sur le bras et la tête ; il récita le «Chema Israël» puis enleva les Téfilines. Le tout avait pris moins de cinq minutes mais cela avait suffi à attirer l’attention de tous les passagers qui avaient regardé, s’étaient regardés les uns les autres, avaient haussé les épaules et s’étaient remis à observer le paysage.
Nous nous sommes serrés la main et je suis retourné à mon siège. L’homme assis derrière moi me demanda ce que représentaient ces boîtiers noirs ; je lui expliquai la signification des Téfilines puis il me demanda si je connaissais «la vérité» des évangiles etc. et ce que j’en pensais. Je répondis que si les Juifs les avaient acceptés, ils cesseraient de faire justement ce que ce vieil homme venait de faire – ce qu’il admit comme étant vraiment impressionnant – ainsi que les autres commandements de la Torah.
Il sourit et résuma : «Je suppose que nous n’avons gardé que le côté spirituel et non les rites concrets, n’est-ce pas ?»
Il réfléchit puis demanda: «Et que se passe-t-il quand un non-Juif épouse une femme juive ? Parce que c’est ce que j’ai fait…»
Je répondis comme il le savait déjà : les enfants sont juifs. Puis je lui demandais s’il désirait savoir en quoi croient les Juifs : «Nous croyons que D.ieu est infini, qu’Il crée l’univers constamment et qu’Il le fait par amour, tout simplement. Il est infiniment proche de nous et écoute toutes nos prières. Alors il n’est pas nécessaire de prier à des esprits, des fantômes ou même à d’autres Juifs, ceux que la Bible appelle «les enfants uniques de D.ieu».
Il me remercia, nous nous serrâmes la main et, deux minutes plus tard, un jeune homme assis à côté de moi déclara qu’il avait écouté notre conversation : « Vous avez affirmé que D.ieu est infini, n’est-ce pas ? Donc cela signifie qu’Il est infiniment strict. Donc quand Adam pêcha avec l’arbre de la connaissance, il provoqua une tache indélébile ! Alors comment pouvons-nous obtenir le pardon pour un pêché infini alors que nous sommes des êtres finis ? »
J’étais un peu surpris par la question qui semblait très circonstanciée. Il commença à répondre lui-même avec les dogmes chrétiens : «C’est pourquoi D.ieu envoya Son fils unique…» mais je l’interrompis et continuai : « C’est pourquoi D.ieu envoya Avraham pour nous montrer comment réparer le péché d’Adam ! »
Ceci le déstabilisa complètement, il n’avait jamais entendu une telle réponse. Je continuai : «Ce que vous dites à propos de la sévérité infinie de D.ieu est certainement vrai. Mais vous devez aussi admettre qu’Il est infiniment bon, n’est-ce pas ?»
- Oui, je suppose…
- Alors, à votre avis, qu’est-ce qui est plus fort : Sa bonté ou Sa sévérité ?
Il haussa les épaules et je lui prouvais que la bonté de D.ieu était plus grande : «Considérez que D.ieu a créé des trillions et des trillions d’animaux, de poissons, d’oiseaux, d’insectes, de protozoaires… Chacun avec un système respiratoire, digestif, nerveux etc. : le plus petit disfonctionnement dans seulement l’un de ces systèmes peut être fatal ! Ce qui prouve l’infinie sévérité de D.ieu ! Mais par ailleurs, D.ieu continue de créer tous ces êtres ! Ce qui prouve bien que la bonté de D.ieu est infiniment plus grande que Sa sévérité ! Tel est le message d’Avraham, concluais-je et voici la mission pour laquelle les Juifs ont été «choisis», c’est-à-dire pour enseigner au monde combien D.ieu est bon et proche de chacun d’entre nous !»
Je tiens à faire remarquer que toute cette conversation s’était tenue sur un ton amical, loin de toute polémique ou agressivité. Ce qui permit à mon interlocuteur de réfléchir sereinement aux idées que j’avais exposées et qui allaient à l’évidence à l’encontre de tout ce qu’il avait entendu jusqu’à présent.
« Savez-vous pourquoi tout ceci vous perturbe ? » continuai-je, « c’est parce que vous pensez trop à vous-même et à la mort ! Pensez à la vie ! Pensez à votre Créateur ! Alors votre vie prendra un autre sens ! Ceci effacera le péché d’Adam. »
Il me serra la main d’un air entendu.
Nous étions arrivés à l’aéroport, à son terminal et il devait descendre. Alors qu’il attrapait sa valise, je l’entendis interpeller l’homme qui m’avait parlé auparavant : «Papa ! C’est bien ta valise ?»
Ce n’est que deux heures plus tard, alors que ma femme et moi-même étions déjà dans notre avion que je réalisai que ce jeune homme était le fils de ce non-Juif qui m’avait parlé auparavant. Il était Juif et je n’avais pas profité de l’occasion pour lui mettre les Téfilines ! J’espère qu’un autre Loubavitch plus intelligent que moi réussira à le faire très bientôt et qui sait ? Qui peut connaître la suite de l’histoire ?

Rav Tuvia Bolton
www.ohrtmimim.org
traduit par Feiga Lubecki