Samedi, 9 mars 2024

  • Vayakhel
Editorial

 Un merveilleux rêve d’homme

L’homme est assis dans sa maison et rêve. Il imagine le monde comme il voudrait qu’il soit. Il voit alors un monde en paix, où les rumeurs qui montent au-dehors ne sont que celles du bonheur, où le fracas des armes, les menaces de mort ne sont que les souvenirs cauchemardesques d’un passé depuis longtemps disparu. Mais inévitablement l’homme revient à la réalité : la violence des choses s’impose comme d’elle-même, ce n’était décidément qu’un songe merveilleux et fragile.

Nous vivons une période où les notions de paix et de guerre semblent se disputer le quotidien des hommes sans jamais que l’on sache de quel côté penchera la balance, ni même parfois que l’on perçoive avec une clarté suffisante de quel côté il faudrait qu’elle penche. C’est qu’il existe des paix et des guerres de toutes sortes. Les déserts stériles et les villes mortes connaissent, à n’en pas douter, une forme de paix mais celle-ci ne correspond pas à la vie. Quant aux guerres, plus personne ne croit, sauf quelques dictateurs encore au pouvoir, qu’elles puissent être « fraîches et joyeuses ». La paix à laquelle chacun aspire est celle de tous les instants, apte à faire surgir la grande allégresse des hommes. Cette paix est parfois très difficile à conquérir et ses chemins souvent détournés. Elle est cependant le but ultime de tous.

Alors que la période est celle du mois hébraïque d’Adar, double cette année, qui évoque déjà l’histoire de Pourim, de telles notions nous frappent par leurs accents de « déjà-vu ». Souvenons-nous, il y a plus de vingt-cinq siècles, un homme était parvenu au pouvoir dans l’empire perse. Il s’appelait Haman et n’avait qu’un désir : détruire le peuple juif. Si on l’avait interrogé en son temps, il aurait probablement su expliquer, peut-être même avec séduction, qu’il ne recherchait ainsi que la paix. Les Juifs ont toujours connu la valeur et la portée des mots et des actes. Ils se rassemblèrent et, par l’étude de la Torah et la pratique de ses commandements, se lièrent à Dieu. C’était sans doute là également une autre vision de la paix. Puis vint le temps du combat, car cette paix-là devait être défendue, et Haman et ses faiseurs de mort furent détruits. La paix fut rétablie, et d’abord dans le cœur des hommes.

Cette ancienne histoire ne résonne-t-elle pas étrangement ? Elle rappelle à notre temps trop souvent oublieux que la paix commence en chacun, qu’elle peut s’étendre à tous et que, parfois, elle attend qu’on lutte pour elle, spirituellement et matériellement, jusqu’à ce temps où tout mal aura été chassé de l’univers, celui de Machia’h.

Etincelles de Machiah

 Plus élevé que Moïse

Machia’h a une certaine supériorité même sur Moïse. Commentant la phrase du début de la Torah (Gen. 1: 2) « et l’esprit de D.ieu planait… », les Sages enseignent (Béréchit Rabba 2: 4) : « Cela fait référence à l’esprit de Machia’h ». Le verset poursuit : « …sur la surface des eaux » ; cela représente un degré supérieur à celui de Moïse, ainsi nommé (Ex. 2: 10) « parce que je t’ai tiré des eaux ».

C’est pourquoi cet exil est si long – pour permettre de parvenir à cette élévation.

(d’après les Maamarim de l’Admour Hazakène sur les Parchyot, p.237)

Vivre avec la Paracha

 Vayakhel

Moché réunit le peuple d’Israël et réitère le commandement d’observer le Chabbat. Il transmet alors les instructions de D.ieu concernant la construction du Michkane (le Tabernacle). Le peuple fait don, en abondance, des matériaux requis, apportant de l’or, de l’argent et du cuivre, de la laine teinte en bleu, violet et pourpre, des poils de chèvre, du lin tissé, des peaux de bête, de la laine, du bois, de l’huile d’olive, des herbes et des pierres précieuses. Moché doit leur demander de cesser leurs dons.

Une équipe d’artisans au cœur sage construit le Michkane et son mobilier (comme cela a été décrit dans les Parachiot précédentes : Terouma, Tetsavé et Ki Tissa) : trois couches pour les couvertures du toit, 48 panneaux muraux plaqués d’or et 100 socles d’argent pour les fondations, le Paro’hèt (voile) qui sépare les deux chambres du Sanctuaire et le Massa’h (écran) pour le devant, l’Arche et son couvercle avec les Chérubins, la Table et ses Pains de Proposition, la Menorah à sept branches avec son huile tout spécialement préparée, l’autel d’or et les encens qui y sont brûlés, l’huile d’onction, l’autel extérieur pour les offrandes que l’on doit brûler et tout son équipement, les cintres, les poteaux, et les socles de fondation pour la cour et enfin le bassin et son piédestal, fait de miroirs de cuivre.

Une lumière douce

La Menorah (le Candélabre) que l’on trouvait dans le Beth Hamikdach (le Temple) est décrit dans la Torah de plusieurs manières. Dans certains cas, on parle de Menorah Hatehorah : « la pure Menorah », parce qu’elle devait être fabriquée en or pur.

Dans la Paracha de cette semaine, où la Torah relate comment Moché transmit le commandement de construire le Michkane (le Sanctuaire) et tous ses récipients, la Menorah est introduite par un titre nouveau et unique : Menorat Hamaor : « la Menorah pour illuminer ».

Plusieurs questions peuvent se soulever ici.

Tout d’abord, pourquoi la Torah ajoute-t-elle les mots « pour illuminer » ? N’était-il pas évident que la fonction de la Menorah était d’être allumée ?

D’autre part, dans la Torah il n’y a qu’une seule autre occurrence de cette caractérisation de la Menorah. Si elle est si cruciale pour notre compréhension, pourquoi cette qualification n’est pratiquement jamais mentionnée quand il s’agit de la Menorah ?

Enfin, dans notre Paracha, tous les autres ustensiles du Michkane sont évoqués mais ils sont présentés sans leur fonction. L’Arche et la Table sont citées mais sans que soit ajouté : « l’Arche pour les Tables de la Loi » ou « la Table pour les Pains de Proposition ». Seuls les autels sont décrits comme « l’Autel des Sacrifices » et « l’Autel des Encens », pour les distinguer l’un de l’autre.

Pourquoi donc la Menorah est-elle ici distinguée et décrite comme « la Menorah pour illuminer » ?

La communication de Moché

Pour pouvoir répondre à ces questions, il nous faut comprendre ce qui distingue la mention du Michkane et de ses ustensiles dans cette Paracha, par rapport aux autres références. Ici, Moché transmet, pour la première fois, au Peuple juif, le commandement de construire le Michkane et ses ustensiles. Toutes les autres occurrences sont soit la communication de D.ieu à Moché soit la construction effective du Michkane.

Il s’ensuit donc que s’il n’était pas crucial que D.ieu dise à Moché que la Menorah devait illuminer, il était, par contre, impératif que cela soit articulé sans ambigüité au Peuple juif.

La fonction primordiale de la Menorah

Une Menorah, et tout particulièrement lorsqu’elle est fabriquée en or pur, est une exquise œuvre d’art. La Menorah était clairement l’objet le plus décoré du Michkane. Elle possédait sept branches, de multiples coupoles décoratives, des sphères et des fleurs. Le fait qu’elle était en or pur ne faisait qu’ajouter à sa valeur esthétique et monétaire. Cette valeur augmente encore quand nous lisons dans la tradition midrachique que Moché se trouvant incapable de la fabriquer, D.ieu lui dit de jeter l’or dans le feu d’où sortit une Menorah parfaite.

Tous ces détails semblent indiquer que le rôle central de la Menorah n’était pas d’être une source de lumière mais une superbe expression du talent artistique divin. Pour renforcer cet argument, l’on peut rappeler que la Cabale explique que les sept branches de la Menorah représentent les sept attributs divins.

Ainsi, est-il aisé de conclure que le fait de placer la Menorah dans le Temple avait pour but de permettre aux gens de jeter un coup d’œil sur le Divin, en admirant sa beauté incomparable.

Pour rejeter cette idée qui aurait pu pénétrer dans l’esprit des Juifs quand ils entendirent parler de la Menorah et de sa conception complexe, la Torah met l’accent sur le fait que la fonction primordiale de la Menorah était d’illuminer. Ce n’était pas d’être une œuvre spirituelle de musée, devant laquelle l’on se serait émerveillé et d’où l’on aurait tiré de l’inspiration, mais d’apporter au monde la lumière de D.ieu.

Et en fait, parmi les miracles qui se produisaient sur une base quotidienne durant toute la période du premier Temple, on observait le « Ner Hamaaravi », « la lumière occidentale » de la Menorah, qui ne s’éteignait jamais d’elle-même. C’est à partir de celle-là que le Cohen allumait toutes les autres flammes. Cette lumière miraculeuse, déclare le Talmud, servait de témoignage de la présence de D.ieu en Israël.

Chaque Juif possède une douce lumière occidentale, pleine de couleurs

Chaque juif est missionné pour servir de « lumière occidentale » qui ne s’éteint jamais et qui apporte au monde la conscience de la présence de D.ieu.

Rabbi Elimélè’h de Lizensk, l’un des grands Maîtres ‘hassidiques, explique que le mot « Maaravi » (occidental) peut également se traduire par la « lumière qui est faite de multiples teintes ». En outre, il ajoute que cela peut être rendu par « la lumière douce ».

La leçon pour aujourd’hui est claire :

Alors que nous traversons les derniers vestiges du mal avant l’aube de l’Ère du Machia’h, il ne suffit pas que nous soyons des modèles de beauté spirituelle ou des œuvres d’art spirituelles. Nous devons être des phares dont la lumière dissipe l’obscurité qui nous entoure.

Le Judaïsme n’est pas une religion fade et sans saveur. Il est multicolore et doux. Il contient des composantes intellectuelles, émotionnelles et concrètes. Le Judaïsme est à la fois rationnel et mystique. Le Judaïsme est chaleureux et accueillant mais en même temps ferme et exigeant. Et quand nous illuminons le monde avec la lumière de la Menorah, elle doit refléter toutes ces teintes. Nous devons devenir ces « lumières occidentales », impossibles à éteindre, qui reflètent le spectre entier des couleurs et des lumières.

Mais il y a encore une condition. La lumière doit être douce. Elle ne doit pas seulement refléter la douceur de la connaissance de la Torah et de sa pratique elle-même, mais elle doit aussi être présentée de manière douce et plaisante.

En devenant la Menorah pour illuminer, nous précipiterons la venue du Machia’h, le dirigeant ultime, et le « Ner Hamaaravi » qui renverra au monde le spectre entier de la lumière divine, dans l’esprit d’une paix véritable.

Le Coin de la Halacha

 Qu’est-ce que les « quatre Parachiot » ?

Nos Sages ont institué de lire, en plus de la Sidra hebdomadaire, une « Paracha » supplémentaire durant les semaines qui précèdent Pourim et Pessa’h.

  • La première s’appelle « Chekalim ». Elle rappelle la nécessité pour chacun de donner, chaque année, un demi-chékel pour l’entretien du Temple et l’achat des sacrifices communautaires. Cette Paracha (Exode 30 - 11 à 16) est lue le Chabbat qui précède Roch ‘Hodech Adar (cette année le Chabbat Vayakhel, 9 mars 2024). On sortira donc deux rouleaux de la Torah :

- un pour la Paracha de la semaine : Vayakhel – sept montées) ;

- un pour la Paracha Chekalim (le dernier appelé lira aussi la Haftara : Rois 2, chapitre 11, versets 17 à 20 et chapitre 12, versets 1 à 17)

  • La seconde s’appelle « Zakhor » et rappelle la nécessité de se souvenir d’Amalek (Devarim - Deutéronome 25. 17 à 19). Elle est lue le Chabbat précédant Pourim, cette année le Chabbat Vayikra 23 mars 2024. La Haftara relate le combat du roi Chaoul contre Amalek (Samuel 1 chapitre 15).
  • La troisième s’appelle « Para » (Bamidbar - Nombres 19. 1 à 16) et rappelle la nécessité de se purifier avant la fête de Pessa’h. Elle est lue le Chabbat Tsav 30 mars 2024. La Haftara rappelle la pureté du Temple (Ezékiel chapitre 36, versets 16 à 38).
  • La quatrième s’appelle « Ha’hodech » (Chemot - Exode 12. 1 à 20) et rappelle l’importance du mois de Nissan et le sacrifice pascal. Elle est lue le Chabbat Chemini 6 avril 2024. On lira la Haftara dans Ezékiel chapitre 45, versets 16 à 25 et chapitre 46, versets 1 à 18.
Le Recit de la Semaine

 Deux rabbins à la rescousse

Danny Carson avait décidé avec son épouse que, le moment venu, il se ferait incinérer. Mais c’était sans compter sur une incroyable intervention divine et la détermination de deux Loubavitchs : l’un était son neveu, Rav David Goldstein de Houston et l’autre, Rav Its’hak Mendel Wagner, un rabbin inconnu venu de Krefeld en Allemagne.

Rav Goldstein savait que son oncle Danny n’était pas très pratiquant, mais il avait néanmoins tenu à garder le contact même si ses essais pour introduire certaines Mitsvot avaient été le plus souvent poliment repoussés. Quand sa tante téléphona pour annoncer le décès de Danny, Rav Goldstein fut peiné d’apprendre qu’il serait incinéré (ce qui est absolument interdit par la loi juive) mais il sentit qu’il n’y avait rien à discuter, la décision était prise.

C’était sans compter sur la présence de Rav Wagner qui se trouvait précisément à Houston ce jour-là. Dans sa communauté de Krefeld, Rav Wagner avait amassé de nombreuses connaissances sur le judaïsme allemand et la Shoah et il avait été invité à donner une série de conférences à ce sujet dans diverses villes américaines. Quelques mois plus tôt, il avait donc contacté son collègue Loubavitch, Rav Goldstein (qu’il ne connaissait pas) pour parler devant la communauté juive de Houston. Tous deux avaient prévu de mettre au point une conférence et de se rencontrer au Congrès International des émissaires Loubavitch à New York en novembre 2023. Mais comment se reconnaître parmi plus de 6000 ‘Hassidim, avec les mêmes signes distinctifs : costume sombre, barbe, chapeau… ? Mission impossible ?

C’était sans compter sur le coup de pouce « d’en-haut » : le Baal Chem Tov n’a-t-il pas enseigné que même le mouvement d’une feuille morte dans le vent a un but ? Peut-être la feuille est-elle destinée à tomber doucement sur un ver de terre qui sera ainsi protégé des vicissitudes de l’hiver… Chaque tourbillon de cette feuille morte est calculé par D.ieu !

Bref, Rav Wagner arriva au banquet du Congrès où on lui annonça que sa réservation n’avait pas été validée ; il ne put donc pas s’asseoir avec ses amis, comme il l’avait prévu. Et il se retrouva assis – par hasard, comme la feuille morte décrite par le Baal Chem Tov – à côté de Rav Goldstein ! C’est ainsi que les deux purent faire connaissance à New York en live, avant de se retrouver quelques mois plus tard à Houston.

« Quand j’entendis la conversation entre Rav Goldstein et sa tante, je réalisai que ma visite au Texas avait pour but d’empêcher cette incinération. Immédiatement, nous avons établi une liste d’arguments. Ma conférence traitait de la Shoah et de ce que les nazis avaient infligé aux Juifs de leur vivant et même après leur mort. Ils nous ont brûlés. Tout comme le Hamas l’a fait le 7 octobre. Nous ne pouvons pas permettre que nos frères juifs, où qu’ils soient, subissent cette brutalité ! Et c’est cet argument qui a ébranlé la tante de mon nouvel ami. Rav Goldstein envoya un texto à sa tante, expliquant qu’un rabbin venu d’Allemagne se trouvait justement à côté de lui, c’était un spécialiste de la Kristallnacht, la terrible « Nuit de Cristal » qui marqua le début de la Shoah ; il est horrifié chaque fois qu’il apprend qu’un Juif est incinéré. Bouleversée, elle contacta les pompes funèbres, retarda la crémation et demanda qu’on l’aide à organiser un enterrement juif, si possible avec une aide financière de la communauté. Cela prit plusieurs coups de téléphone mais finalement, grâce à la générosité des services d’entraide de Houston, Danny Carson fut enterré dignement ».

Quant à Rav Goldstein, il reconnaît que, sans l’intervention de son collègue, il n’aurait pas eu le courage de contester la décision de sa tante : il avait déjà réussi à empêcher des incinérations dans sa communauté mais, quand il s’agit de la famille, il est difficile d’engager le combat. « A la fin de la cérémonie, raconte-t-il, ma tante est venue vers moi et a reconnu qu’elle était soulagée que nous ayons agi pour elle et que nous l’ayons aidée financièrement. C’est ce que le Rabbi nous a toujours enseigné : nous sommes là au service des autres Juifs depuis le jour de leur naissance et jusqu’à leur mort et au-delà. Nous devons aider la Nechama (l’âme) dans toutes les situations, à tous les âges, à toutes les étapes de la vie et d’après la vie ».

Quant à Rav Wagner, il n’a jamais douté de la raison de sa venue à Houston : « Je savais que je devais réussir puisque D.ieu a guidé mes pas jusque-là. La leçon est claire : si un message vous parvient, vous avez l’obligation d’intervenir et d’agir ».

Noa Amouyal - Chabad.org

traduit par Feiga Lubecki