Un maamar (dissertation hassidique) de Rabbi Yossef Its'hak, le Rabbi Précédent.

CHAPITRE 1

Ye'hezkel(') nous transmit, à nous, juifs de l'exil, la prophétie que D.ieu entendait faire connaître à Son peuple. Après que nous ayons expié notre faute, pendant cet âpre exil, D.ieu nous rassemblera de toutes les contrées de notre dispersion et Il nous conduira, guidés par notre juste libérateur, en Erets Israël. Alors, pas un seul juif, homme ou femme, ne restera dans ces pays de l'exil et l'Eternel reconstruira le Temple.


    Le prophète Ye'hezkel décrit la reconstruction du Temple, d'après la vision que D.ieu lui en donna. Lorsqu'il évoque le Sanctuaire, il parle également de l'autel intérieur, fait de bois recouvert d'or et de la table sur laquelle étaient posés les pains de propitiation. La Guemara (Bera'hot 55A) s'interroge à ce propos: "Pourquoi le verset parle-t-il d'abord de l'autel et ensuite de la table?". Rabbi Yo'hanan et Rabbi Eléazar proposent, à ce propos, une même explication. A l'époque du Temple, les sacrifices, offerts sur l'autel, assuraient l'expiation des fautes. A l'heure actuelle, pendant le temps de l'exil, Ç'est la table de l'homme qui remplit cette fonction.

    Il nous faut comprendre le sens de cette comparaison, introduite par Rabbi Yo'hanan et Rabbi Eléazar, entre la table de l'homme, c'est-à-dire les invités qu'il reçoit, et l'autel extérieur, sur lequel étaient offerts les sacrifices animaux ou bien l'autel intérieur, qui se trouvait dans le Sanctuaire, où était effectué le sacrifice des encens. Comment comparer la nourriture de l'homme et les offrandes de l'autel? La première est avant tout matérielle, alors que ces dernières ont une valeur spirituelle. Or, la comparaison faite ici porte sur le résultat le plus important qui puisse être obtenu, l'expiation de l'homme. Ainsi, tout comme, à l'époque du Temple, les sacrifices apportaient le pardon, la table de l'homme peut avoir le même effet, pendant le temps de l'exil. Par ailleurs, nous avons cité les termes de la Guemara selon lesquels "Rabbi Yo'hanan et Rabbi Eléazar disent: la table de l'homme lui apporte le rachat de la faute". A ce propos, il nous faut comprendre pourquoi ils parlent de "la table" et non du "repas" ou de "la nourriture". On ne peut en aucune façon ne voir là que le fait du hasard.

    Il est clair que chaque mot utilisé par nos Sages délivre un enseignement, au moins de manière allusive, introduit une notion plus profonde, une idée divine. Cet enseignement constitue la partie cachée de la Torah, l'âme de chacun de ses passages, de chacune de ses affirmations. Tout comme le corps physique reçoit la vie de l'âme qui l'habite, la Torah possède également un corps et une âme. Son aspect législatif, son corps, tire sa vitalité de son enseignement profond, de son âme. Il en est ainsi pour chaque Hala'ha, pour chaque commentaire, en particulier pour la Aggada(2), à propos de laquelle nos Sages disent que son Pchat (3) est intrinsèquement un Remez (4). Ainsi, même l'explication la plus simple doit être perçue dans toute sa portée allusive et l'interprétation homilétique de la Aggada est, à proprement parler, un des secrets de la Torah(5).

    Le Rabbi(6) dit, dans Igueret Hakodech (7), au chapitre 23, que la plupart des secrets de la Torah se trouvent dans la Aggada. Aussi, lorsqu'on l'étudie, dans le Eïn Yaakov (8)l, en présence de dix Juifs (9), on peut en tirer le pardon de ses fautes. Par ailleurs, la Guemara (Bera'hot 54B) parle de "celui qui passe longtemps à table" et non "celui qui prolonge son repas" ou "celui qui mange longtemps". Le choix de ce terme est donc particulièrement précis.

    L'explication est donc la suivante. Les sacrifices, "aliments de l'autel", ont une importance intrinsèque. Ainsi, il est dit que "toute la graisse (10) sera pour l'Eternel". Le sacrifice doit être l'animal le meilleur et le plus gras. Lorsqu'il s'agit du repas de l'homme, en revanche, seule sa longueur importe, mais non la nourriture elle-même. Ainsi, il ne s'agit en aucune façon d'en rechercher le plaisir. Manger est avant tout le moyen de conserver la vie et la force physique. Nos Sages disent: "telle est la voie de la Torah. Tu mangeras du pain et du sel"(11). La Torah n'enseigne pas uniquement ce qui est permis et ce qui est interdit. Elle indique également comment un Juif doit manger (12). Il est, en effet, par nature, à la fois un fils et un serviteur de D.ieu (13).


RÉSUME:
La prophétie divine explique ce que sera la Temple, quand le Machia'h viendra. Un même verset parle de l'autel des encens et de la table intérieure. La Guemara explique, à ce propos, que, si l'autel apportait l'expiation, à l'époque du Temple, la table de l'homme remplit cette même fonction, pendant la période de l'exil. Or, comment comparer la table de l'homme à l'autel? Et que signifie "la table de l'homme"? Pourquoi parler de la table plutôt que du repas ou de la nourriture? Le Pchat de l'Aggada est, en soi, un Remez. La Torah indique de quelle façon il convient de manger.

CHAPITRE 2

    Avant de manger, on doit se laver les mains. Or, il est deux façons de le faire. La première est celle du matin, lorsqu'on se lève. La seconde précède le repas. Dans les deux cas, la façon de laver reste identique. L'eau doit être propre à la consommation, ne peut avoir déjà servi à d'autres usages. La même bénédiction est récitée dans les deux situations. L'eau doit recouvrir la main, de manière similaire.

    Néanmoins, des différences existent également. La première est la façon de verser l'eau. Le matin, au lever, on se lave trois fois chaque main, en alternance. On prend le récipient de la main droite, on le fait passer dans la main gauche, on verse de l'eau sur la main droite, puis sur la gauche. On refait, au total, trois fois ce même geste. Avant le repas, on lave aussi trois fois chaque main, mais sans alternance. On prend alors le récipient dans la main droite, on le passe dans la main gauche, on lave la main droite trois fois de suite, puis trois fois la gauche. Pendant que les mains sont encore mouillées, l'une est frottée contre l'autre. Enfin, on lève les deux mains et l'on dit la bénédiction.

    Il nous faut définir le sens du lavage des mains, le matin, au lever, lorsque l'on quitte un endroit impur ou avant le repas. Pourquoi, dans ce dernier cas seulement, le lavage estil dans l'ordre? Pourquoi le récipient est-il toujours pris dans la main droite? Pourquoi laver systématiquement la main droite avant la gauche? Par ailleurs, ce lavage s'appelle, en Hébreu, Netila, qui signifie prise. Pourquoi ne pas tout simplement parler de lavage ou de rinçage, termes en apparence beaucoup plus appropriés? En effet, le mot Netila a d'autres usages par ailleurs et n'est pas spécifique au lavage des mains.

    Netila signifie, de façon générale, prendre ou élever. En Araméen, ce terme est de la même racine que le terme désignant le récipient dont il est fait usage pour ce lavage. Or, ces trois mots, prise, élévation et récipient ne décrivent qu'imprécisément l'action de se laver les mains. Parler de lavage ou de rinçage eut été beaucoup plus précis.


     C'est pourtant bien ce terme de Netila qui figure dans le texte de la bénédiction. Il faut en déduire que le but de cette action n'est pas uniquement de laver ou de rincer, mais aussi de prendre et d'élever. De plus, ce lavage doit être réalisé au moyen d'un ustensile non ébréché et creux, duquel l'eau se déverse par la force de l'homme, par l'intervention d'un être doué de discernement.

RÉSUME:

Il est deux façons de se laver les mains, celle du matin, au lever et celle qui précède le repas. La différence principale qui existe entre elles est la façon de le faire, par alternance le matin, dans l'ordre avant le repas. Netila signifie prise, élévation et ustensile. Pourquoi, dans la bénédiction, employer ce terme plutôt que celui de lavage ou de rinçage? Pourquoi l'ustensile doit-il être entier et creux? Pourquoi le lavage doitil être réalisé par un homme, en pleine possession de ses moyens intellectuels?

CHAPITRE 3

    Le principe du lavage des mains est clairement défini par la partie législative de la Torah, mais chacun de ses détails reçoit également une signification dans le service de D.ieu, qui est l'enseignement profond et "l'âme" de chaque Hala'ha. Ainsi, l'enseignement législatif de la Torah établit que "l'homme est toujours responsable de ses actes, qu'il agisse délibérément ou inconsciemment, qu'il soit réveillé ou endormi" et que "les mains, de façon générale, ne restent pas immobiles (14) ". Le premier principe souligne que le niveau qui peut être qualifié d' "homme", dans la personnalité de chacun, agit toujours de manière responsable, quelle que soit la situation. Le second principe montre que la nature des mains est de toucher chaque chose. Au bout des doigts se trouvent des ongles, sous lesquels s'accumulent des dépôts malpropres.

    Le Zohar souligne que les forces du mal ont une emprise sur les ongles. Le lavage des mains a donc précisément pour but de retirer cette emprise. La vitalité des ongles est très limitée((15). C'est, du reste, pour cela que les forces du mal peuvent en prendre possession, surtout lorsque ces ongles sont très sales. Le lavage des mains est alors impossible. Lorsque l'on se lève ou bien avant un repas, on ne peut les laver que dans la mesure où les ongles sont propres.

    On peut donner de tout cela l'explication suivante. Les mains font allusion aux sentiments, qui possèdent des "ongles"(16). En effet, une différence existe entre l'intellect et les sentiments. Le premier a une démarche logique, procède par étapes successives. Les secondes sont directes, extrêmes. Une émotion, qu'elle relève de l'amour ou de la crainte, est toujours brutale, passionnée. Laver les mains consiste à verser de l'eau sur elles, c'est-à-dire à introduire l'intellect dans les sentiments (Voir à ce propos Michlé 18,4) afin de les purifier, de leur retirer leur caractère agressif et enflammé et, en un mot, de les maîtriser.

    L'élévation des sentiments est possible de deux façons. La première, le lavage des mains du matin, a pour but de se défaire de l'esprit d'impureté qui découle de l'obscurité, inhérente aux comportements du monde. Les mains sont alors lavées par alternance, étape par étape. L'élévation est progressive et concerne, tour à tour, chaque sentiment, jusqu'à ce qu'elles parviennent toutes à la perfection.


    La seconde façon est le lavage des mains qui précède le repas. Celui-ci est réalisé d'un seul trait, car il n'a pas pour but de se libérer du mal, mais plutôt de sanctifier les émotions. L'ordre établi doit alors être respecté. Puis, on frotte les mains l'une contre l'autre, afin de souligner l'interdépendance des sentiments, car, dans le domaine de la sainteté, toutes doivent être parfaitement unies. C'est, par exemple, le cas de l'amour et de la crainte. N'avoir que l'une ou l'autre est insuffisant. Toutes à la fois doivent être gouvernées par la compréhension. Dès lors, elles s'unissent et agissent conjointement pour concourir au meilleur résultat. C'est de cette façon que l'homme parvient à la perfection.

    Notre père Avraham se distingua par son amour de D.ieu. Néanmoins, après l'épreuve que fut pour lui le sacrifice d'Its'hak, D.ieu lui dit: "maintenant, je sais que tu crains D.ieu". Avraham parvint alors à la perfection de la crainte, car la plénitude de l'homme procède à la fois de l'amour et de la crainte. C'est précisément pour cette raison que la bénédiction du lavage des mains fait usage du terme de "Netila", lequel évoque les deux manières de conduire les sentiments
à l'élévation (17).

    Lorsqu'on se lave les mains, le matin, il s'agit de se libérer de l'esprit d'impureté résultant de l'obscurité qu'imposent les valeurs et les comportements du monde. Cette "Netila" est alors le moyen de se défaire des sentiments naturels et des habitudes imposées par le monde. Lorsqu'on se lave les mains avant le repas, on recherche avant tout l'élévation des sentiments, ainsi qu'il est dit: "élevez vos mains dans la sainteté".
L'eau utilisée pour ce lavage doit être conforme aux exigences de la Torah, placée dans un récipient entier, qui doit être creux, versée sur les mains par la force d'un homme, doué de discernement. En effet, l'intellect qui élève et purifie les émotions doit être divin et parfait, posséder un contenu profond. Concrètement, le service de D.ieu est conditionné par la compréhension divine (18). En conséquence, le lavage qui conduit à la pureté et celui qui donne l'élévation doivent être, l'un comme l'autre, réalisés par la force de l'homme, c'est à dire avec toute la détermination que confère la compréhension divine. Bien plus, celle-ci doit émaner de Daat (19), la troisième force de l'intellect, la plus parfaite.


    C'est pour cela que la table de l'homme a pris, à l'heure actuelle, la place qu'occupait l'autel, à l'époque du Temple. La table fait ici allusion à la perfection de l'intellect (20), qui peut conditionner les sentiments et apporter le rachat de la faute.

RÉSUME:

Chaque détail du lavage des mains reçoit une explication dans le service de D.ieu, qui est l'âme de la Hala'ha, définie dans la partie législative de la Torah. C'est aussi le cas pour les principes selon lesquels "l'homme est toujours responsable de ses actes" et "les mains, de façon générale, ne restent pas immobiles". Les mains font allusion aux émotions. Les ongles sont le lieu sur lequel les forces du mal exercent leur emprise. Les déchets accumulés sous eux apportent la vitalité à ces forces. Le lavage des mains du matin a pour but de se libérer de l'esprit d'impureté découlant des comportements du monde. Le premier est effectué par alternance. Le second, par contre, est exécuté dans l'ordre, car la sanctification est progressive. L'eau fait allusion à l'Intellect divin, provenant de la force intellectuelle de Daat. C'est pour cette raison qu'il est ici fait allusion à la table de l'homme.


(1) Le prophète Ye'hezkel (Ezéchiel) qui est l'auteur de ce verset.
(2) Enseignement allégorique et midrachique de la Torah.
(3) Sens simple de la Torah, stade premier de l'interprétation.
(4) Sens allusif de la Torah, second stade de l'interprétation
(5) Appartenant ainsi au Sod, sens ésotérique de la Torah, quatrième et dernier stade de l'interprétation.
(6) II s'agit de Rabbi Chnéor Zalman, l'Admour Hazaken. (7) Quatrième partie du Tanya.
(8) Recueil des passages aggadiques du Talmud, qui était traditionnellementétudié, chaque jour, dans toutes les communautés, bien souvent entre Min'ha et Arvit.
(9) Lorsque s'ajoute, en outre, le mérite de l'étude publique.
(10) C'est-à-dire ce qui est le plus gras, le plus riche.
(11) II n'est donc pas question de chercher son plaisir dans la nourriture.
(12) La Cacherout de l'aliment n'est donc pas suffisante. Celui-ci doit en outre être mangé de manière juive.
(13) Sa qualité de fils lui donne la proximité de Dieu. Il est aussi un serviteur et peut donc se soumettre totalement à Lui.
(14) C'est la raison pour laquelle il faut les laver, le matin, car, ne pouvant rester sans cesse immobiles, elles ont assurément touché, pendant la nuit, ce qui les conduit à la souillure.
(15) C'est la raison pour laquelle on peut les couper sans éprouver aucune douleur.
(16) La partie de ceux-ci sur laquelle les forces du mal ont une emprise.
(17) C'est ce qui sera montré maintenant
(18) Celui-ci provoque le sentiment qui est à l'origine de l'action concrète.
(19) Daat, troisième force de l'intellect, réalise la synthèse entre l'intellect et
le sujet, en concrétisant la prise de conscience et lui permettant d'aboutir à une conclusion concrète. Elle provoque l'émerveillement, l'attachement,
l'union de l'esprit et du coeur avec le concept étudié.
(20) C'est pour cette raison que l'homme doit faire usage de toute sa
perception pour ne pas voir dans la nourriture le moyen d'assouvir ses passions, mais seulement la source de la force physique qui permettra de servir Dieu.