Lettre n° 1564

Par la grâce de D.ieu,
11 Iyar 5712,
Brooklyn,

Au Rav, distingué ‘Hassid qui craint D.ieu
et se consacre aux besoins communautaires,
le Rav Nissan(1),

Je vous salue et vous bénis,

A) Comme vous me l’avez demandé et pour le respect du bon ordre, je vous confirme encore une fois que j’ai bien reçu toutes vos lettres envoyées après les fêtes de Tichri, soit le 28 Tichri, les 8, 13 et 17 Kislev, le 2 et le 29 Tévet, les 5, 16 et 19 Chevat, le 20 et le 27 Adar, le 7 Iyar, de même que les listes(2) et les demandes de bénédiction qui leur étaient jointes et qui ont été lues, en un moment propice, près du tombeau de mon beau-père, le Rabbi.

B) J’ai reçu, avec un plaisir particulier, la liste des ‘Hassidim qui se trouvent en Russie. Celle-ci met en évidence deux points essentiels :
1. Il y a, entre vous et nos frères qui se trouvent en Russie, un amour du prochain et un lien qui ne se rompt pas.
2. Il est à peu près certain que le maintien des relations avec eux, ne serait-ce que par la pensée, renforce la responsabilité collective et la fraternité entre tous.

Ainsi, tout comme les difficultés et les voiles inhérents à ce pays n’affectent pas ceux qui n’y vivent pas, le lien avec ceux qui s’y trouvent encore leur apporte la force de se ressaisir et de tenir bon, malgré la situation à laquelle ils sont confrontés. L’emprise que peuvent avoir sur eux ceux qui cherchent à les persécuter est réduite d’autant.

Par exemple, lorsqu’une partie du corps se trouve dans un endroit ou l’air est saint et pur, l’autre partie, qui est dans une cave étouffante, en est vivifiée. Mais, il en est ainsi uniquement dans la mesure où il s’agit d’un corps unique. C’est précisément ce que la pensée et en particulier l’imagination peuvent accomplir, comme l’expliquent différentes causeries de mon beau-père, le Rabbi. Car, dans ce domaine, le temps et l’espace n’ont aucune incidence.

Vous consulterez également la causerie de mon beau-père, le Rabbi, prononcée le soir de Chemini Atséret 5693(3), dans la Soukka. Il y est question d’un chef du peuple juif, mais l’on peut en trouver l’équivalent chez tous ceux qui sont attachés à lui. Bien plus, il s’agit en l’occurrence d’une communauté et il est dit que "il est un D.ieu grand et ne se détourne pas(4)".

A l’avenir, vous maintiendrez sûrement cet attachement. A n’en pas douter, cela sera très utile à ceux qui se trouvent là-bas et également à ceux qui sont ici. Mon beau-père, le Rabbi, dit, en effet, que "le Saint béni soit-Il ne reste pas en dette".

C) Vous me dites que les élèves n’ont pas trouvé le calme d’esprit qui leur permettrait d’étudier comme il convient. En effet, ils sont troublés par les voyages. Je vois joins donc une courte lettre qui leur est adressée(5). Vous la leur commenterez sûrement, de la manière qui convient.

D) J’ai pris connaissance avec satisfaction du programme des études et surtout du fait que vous avez maintenu, pour ceux qui mènent des études rabbiniques et apprennent le Yoré Déa(6), quelques heures de Guemara, chaque jour. Pour ce qui est de la ‘Hassidout, il est bon également d’avoir fixé que l’on en apprenne les textes par cœur.

En la matière, il faut tenir compte de la compréhension et de la mémoire de chacun. Ceux qui ont du mal à apprendre par cœur et doivent consacrer beaucoup de temps à cette activité ne peuvent en être totalement dispensés, mais, pour autant, il ne faut pas que ceci soit trop pénible pour eux, en leur imposant la même cadence que ceux qui retiennent facilement.

En la matière, il appartient au guide spirituel de prendre la décision sur place et de déterminer ce que chacun peut apprendre. En tout état de cause, tous doivent adopter cette pratique, au moins de façon minimale.

E) Un autre point doit être précisé, concernant l’étude de la ‘Hassidout par cœur. Parmi les discours que l’on récite par cœur, certains doivent être faciles à comprendre pour ceux qui ne se consacrent pas à l’étude et pour les jeunes gens qui n’ont pas une bonne connaissance de la ‘Hassidout ‘Habad.

Ces discours ne seront donc pas liés à une fête ou à un Chabbat particulier, mais à un thème que l’on peut évoquer tout au long de l’année. Ainsi, on pourra les réciter chaque fois que cela sera nécessaire, quand il faudra répéter de la ‘Hassidout à l’extérieur de la Yechiva ou de la proximité des ‘Hassidim.

F) Les grandes vacances des écoles communales françaises approchent. Il faut donc tout faire pour recevoir, pendant ces vacances, des jeunes qui, pour l’heure, n’appartiennent pas à notre milieu. Ceux-ci passeront quelques semaines sous votre influence et, de la sorte, il y a bon espoir qu’ils changent leur comportement, se rapprochent de la Torah de D.ieu et de ses Mitsvot.

Bien plus, peut-être sera-t-il possible de les conduire à poursuivre leurs études dans un bon Talmud Torah, après les vacances, de prendre part à des cours publics ou même d’entrer à la Yechiva Loubavitch.

G) Vous m’avez demandé si vous devez quitter la France pour venir vous installer ici. J’ai évité de répondre à cette question, pensant que vous interpréteriez vous-même ce silence comme une réponse. J’ai, en outre, exprimé clairement mon avis à ceux qui m’ont interrogé oralement, par exemple le Rav et ‘Hassid... Néanmoins, vous répétez cette question dans chaque lettre, y compris dans les dernières. J’aborderai donc ce sujet, de manière brève et concise.

Chaque fois que se pose une telle question, "je me déplacerai d’ici pour m’approcher de là-bas"(7), il faut raisonner en prenant en compte les deux endroits, "ici" et "là-bas". Vous êtes, en l’occurrence, une personnalité qui a une dimension publique. Nos Sages font remarquer que "le préposé au puits est nommé par D.ieu"(8). Combien plus est-ce le cas pour celui dont les élèves sont des érudits de la Torah et surtout de son enseignement profond.

Il faut donc, en premier lieu, prendre en compte vos disciples. Considérez donc votre situation à Paris et en France. D.ieu vous a donné le mérite d’être à la tête d’une institution fondée par nos maîtres, la Yechiva Loubavitch, dans laquelle on étudie la Torah en se pénétrant de crainte de D.ieu, en se coupant de ce monde matériel et grossier et donc en ayant des préoccupations plus raffinées et plus élevées.

Durant les années que vous avez passées là, on a effectivement pu constater que vous avez multiplié le nombre des élèves, y compris dans les plus grandes classes de cette institution et, combien plus, dans les classes les plus basses et les Talmud Torah qui lui sont rattachés. Votre influence s’étend également sur ceux qui visitent les familles pour apporter "la bougie (qui) est une Mitsva et la Torah (qui) est une lumière" dans les foyers juifs de France n’ayant pas encore pris conscience, afin qu’ils puissent se rendre, de leur maison, vers un lieu de Torah et de Mitsvot.

On a pu constater tout cela, bien qu’aucun effort n’ait été fait pour élargir et augmenter le nombre des élèves. On peut donc imaginer ce que la situation aurait été si un tel effort avait effectivement été réalisé. Certes, il y a plusieurs responsables et plusieurs dirigeants, qui exercent leur influence au sein de la Yechiva. Mais, comme c’est généralement le cas dans de telles institutions, tout repose sur un seul homme, qui doit donner le ton et maintenir l’esprit des différentes composantes de cette institution.

On m’a raconté ce qui se passe à Paris, ce qui se déroulait à Poking(9) et la situation qui prévalait en Russie. Tout cela permet d’établir que vous êtes cet homme. C’est vous qui avez renforcé et vivifié toutes les parties de la Yechiva et les cercles de ‘Hassidim qui gravitent autour d’elle.

Ainsi, plusieurs ‘Hassidim ont quitté la France et, à mon avis, ils ont fait une sottise, à l’exception de quelques uns d’entre eux. Je voudrais donc répéter encore une fois qu’il y a beaucoup à faire pour augmenter le nombre des élèves de la Yechiva et des ‘Héders qui lui sont rattachés. Vous devez aussi en développer la dimension qualitative. Néanmoins, il y a une condition à cela, comme à tout ce qui est lié à la Torah et aux Mitsvot. Il faut agir et le faire sincèrement, vouloir réussir et ne pas se contenter de s’acquitter de son obligation.

Après avoir réfléchi à tout cela, je ne vois pas comment vous pouvez quitter votre place, à la direction de la Yechiva Loubavitch de France qui est, pour l’heure, la seule d’Europe et qui a su conserver l’esprit de Loubavitch au delà d’autres Yechivot. Je ne sais pas s’il faut citer d’autre preuves ou mentionner d’autres justifications.

Je n’ajouterai donc que les points suivants. Le Tséma’h Tsédek dit(10) que "nous sommes des travailleurs du jour". Notre mission est d’insuffler la clarté et telle est donc notre existence, notre nature profonde. L’Admour Hazaken assure(11) qu’en donnant de la Tsédaka, "on a un cerveau et un cœur mille fois plus affinés". Il est clair que ceci s’applique également à la Tsédaka spirituelle. Les notes sur le discours ‘hassidique du début du Likouteï Torah sur trois Parachyot, dans lequel apparaît cette affirmation, établissent que ce chiffre de mille est tout à fait précis. Il n’est nullement une exagération.

Cela veut dire, au sens le plus littéral, que ce que l’on peut comprendre, d’ordinaire, par un effort de mille heures, est acquis en une heure, grâce à la Tsédaka. Si vous faites le compte de la réussite qui est ainsi introduite dans le temps, vous vous apercevrez qu’elle est, à proprement parler, prodigieuse.

Le point central de tout ce qui vient d’être dit est le suivant. Pourquoi voulez-vous porter le fardeau tout seul, mener à vous seul la guerre à l’extérieur et à l’intérieur à la fois, alors qu’il vous suffit de vous attacher à l’institution fondée et dirigée par nos maîtres, d’en devenir partie intégrante, d’être une part de nos maîtres qui prennent ainsi la responsabilité de votre personne ? En pareil cas, votre mission consiste uniquement à ne rien faire pour empêcher que la bénédiction se révèle, spirituellement et matériellement, que vous puissiez l’intérioriser profondément et la transmettre à tous ceux qui apportent leur concours à vos actions, en général, à celles qui permettent de diffuser les sources(12) à l’extérieur et de maintenir l’objectif assigné, à l’intérieur.

Bien évidemment, je ne veux pas exclure totalement l’éventualité d’un voyage. Nous vivons, en effet, dans la période "du talon du talon du Machia’h", qui peut provoquer de très nombreux changements. Une modification de votre situation reste donc possible. De même, je n’exclus pas un voyage dont l’objet serait une visite(13). A l’opposé, s’il s’agit d’une installation fixe, je ne vois, comme je l’ai dit, aucun argument, aucun raisonnement logique, justifiant que vous abandonniez l’endroit dans lequel vous vous trouvez pour chercher quelque chose de nouveau. Il est inutile d’en dire plus.

Je vous adresse ma bénédiction de réussite dans votre mission sacrée, celle d’insuffler l’enthousiasme, l’attachement, l’unification à D.ieu, à vos élèves en particulier et à votre entourage, en général. Ceci sera le canal et le réceptacle qui vous permettront d’obtenir une bonne santé, morale et physique, pour vous et pour tous les membres de votre famille.

Dans l’attente de vos bonnes nouvelles,

Notes

(1) Le Rav N. Nemanov. Voir, à son propos, les lettres n°1252 et 1799.
(2) Des élèves de la Yechiva et des ‘Hassidim.
(3) 1932.
(4) De tout ce qui est public.
(5) Il s’agit de la lettre précédente.
(6) Le Choul’han Arou’h.
(7) Selon les termes de Rachi, expliquant le déplacement de Moché vers le buisson ardent.
(8) Bien que cette responsabilité publique soit particulièrement modeste.
(9) Le camp de réfugiés, en Allemagne, dans lequel se trouvaient les ‘Hassidim ‘Habad, sous la direction du Rav Nissan Nemanov.
(10) Voir les lettres n°560 et 563.
(11) Voir le début du Torah Or.
(12) De la ‘Hassidout.
(13) Au Rabbi, qui serait donc temporaire.