Lettre n° 1742
Par la grâce de D.ieu,
Roch ‘Hodech Mena’hem Av 5712,
Brooklyn,
Je vous salue et vous bénis,
Je fais réponse à votre lettre du 2 Tamouz, dans laquelle vous m’interrogez sur la Boraïta suivante du Yerouchalmi, au début du traité Horayot : "Je pourrais penser que je dois les(1) suivre lorsqu’ils définissent la droite comme étant la gauche. Mais le verset dit ‘en allant à droite et à gauche’. Il fait donc allusion au cas où l’on définit bien la droite comme telle".
Vous donnez, de ce texte, l’interprétation suivante :
A) Il est ici fait allusion au verset Devarim 28, 14 : "Tu ne t’écarteras pas de toutes les Paroles que Je vous ordonne aujourd’hui, à droite ou à gauche, pour suivre des dieux étrangers et les servir". Le Yerouchalmi inverserait donc l’ordre de ce verset, en fonction de l’affirmation des Tossafot, au traité Chabbat 128a, selon laquelle le Talmud a l’habitude de raccourcir et de reformuler(2).
A mon humble avis, il n’est pas possible de faire une telle supposition, car :
1. ce verset a pour objet d’écarter l’éventualité de "suivre(3)" et il interdit donc de le faire, alors que le Yerouchalmi présente le verbe "suivre" comme un impératif,
2. ce verset rapporte une Injonction de D.ieu et non du tribunal(4),
3. ce verset, de même que tout son contexte, énonce une promesse faite à Israël. Il s’agit d’un récit et non d’une Injonction.
Il me semble que l’on peut avancer une explication simple, qui est également celle du Maré Panim sur le Yerouchalmi et du Torah Temima. Le Yerouchalmi, au même titre que le Sifri, fait référence au verset Devarim 17, 11 : "Tu feras en fonction de leur enseignement, tu ne t’écarteras pas de ce qu’ils(1) te diront, à droite ou à gauche", en appliquant la règle des Tossafot précédemment citée selon laquelle le Talmud peut raccourcir ou reformuler(2).
Le Yerouchalmi prend la précaution d’ajouter le mot "suivre", car de lui dépend l’explication qu’il introduit. En effet, il est trois façons de comprendre l’expression "à droite ou à gauche" qui figure dans ce verset :
1. Tu ne t’écarteras ni à droite ni à gauche de ce qu’ils te diront. On retrouve une même affirmation dans beaucoup d’autres versets, comme Devarim 5, 29 et 17, 20. Vous consulterez, à ce propos, le Torah Temima.
2. Ils te disent qu’il s’agit de la droite ou de la gauche et cela contredit ton avis. C’est ce que dit le Sifri.
3. Tu feras en fonction de leur enseignement et tu ne t’écarteras pas, pour aller plutôt vers la droite ou vers le gauche.
En ce sens, l’expression "tu ne t’écarteras pas de ce qu’ils te diront, à droite ou à gauche" doit être interprétée comme une parenthèse, comme si le verset disait seulement "suivre".
Pourquoi le Yerouchalmi n’adopte-t-il pas la première interprétation? Car, selon lui, il faudrait, si elle était la bonne, formuler le verset de la manière suivante : "tu ne t’écarteras pas à droite et à gauche"(5), car telle est l’expression que l’on rencontre le plus fréquemment, même si ce n’est pas systématiquement le cas. En effet, le verset Devarim 28, 14, par exemple, fait exception à cette règle. Néanmoins, celui-ci ne peut pas prêter à confusion, ce qui n’est pas le cas pour le nôtre.
Le Yerouchalmi ne peut pas non plus opter pour la seconde interprétation, qui est à la base de l’explication du Yerouchalmi, "même s’ils te disent que la droite est, en fait, la gauche", car, si telle avait été le cas, il aurait suffi de dire "tu ne t’écarteras pas de ce qu’ils te diront". Car, à l’évidence, pourquoi limiter cette Injonction(6)?
B) Vous considérez qu’il n’y a pas de controverse entre le Yerouchalmi et le Sifra. Le premier avance uniquement que l’on n’est pas tenu d’accepter l’avis du tribunal sans le questionner, bien au contraire. Néanmoins, si, à l’issue de cette consultation, on se trouve en minorité par rapport à ses amis(7), on doit malgré tout "ne pas s’écarter"(8), même si la position adoptée définit la gauche comme étant la droite(9).
Vous consulterez, à ce propos, le ‘Hinou’h, à la fin de la Mitsva 496, le Ramban, dans ses notes sur le Séfer Hamitsvot, premier Chorech, les Tossafot Haroch, le Beer Cheva, le Rachach, le Maharats ‘Hayot et le Yefé Enaïm sur le traité Horayot 2b, les commentateurs de Rachi, sur le verset Devarim 17, 11 et d’autres références encore.
Il est très difficile d’accepter votre interprétation. Si elle était la bonne, l’essentiel manquerait dans la formulation du Yerouchalmi. De plus, ce qui a été dit auparavant conduirait à introduire ici un fait réellement nouveau, la déduction, d’un même verset, de deux interprétations opposées.
C) Le Sdeï ‘Hémed, principe 30, cite le Peta’h Enaïm, du ‘Hida, sur le traité Roch Hachana 25a, selon lequel on n’est pas tenu de suivre le tribunal(1) quand on a la certitude qu’il s’est trompé. Le Torah Temima considère que tel est le cas envisagé par le Yerouchalmi, alors que le Sifri dit : "s’il te semble"(10).
Bien entendu, cette explication est également difficile à accepter. Car, comment l’établir? Vous consulterez le commentaire du Ramban sur Choftim, à cette même référence. Bien plus, il faut rechercher la raison et, en l’occurrence, ne pas multiplier les controverses parmi nos Sages. Dès lors, que déduire de tout cela?
Et, il est peu crédible de baser son argumentation sur le fait qu’il n’est pas fréquent de rencontrer une controverse entre deux avis radicalement opposés, comme ceux qu’évoquent les Tossafot, au traité Bera’hot 39b. Il n’y a donc pas lieu de craindre qu’une telle situation se présente une seconde fois.
A mon humble avis, il est préférable de s’en tenir au sens simple du Sifri et du Yerouchalmi, dont la controverse a été définie plus haut. C’est également ce que dit le Maré Panim, dans son commentaire du Yerouchalmi.
Notes
(1) Les Sages.
(2) Les versets qu’il cite.
(3) Les dieux étrangers et les servir.
(4) Des hommes, c’est-à-dire des Sages.
(5) En omettant tous les mots qui font une rupture entre "tu ne t’écarteras pas" et "à droite et à gauche".
(6) Au cas où les Sages définissent la droite comme la gauche ou la gauche comme la droite?
(7) Aux autres Sages.
(8) De l’avis majoritaire.
(9) Alors que, selon le Sifra, on n’adopte pas l’avis des Sages si l’on pensent qu’ils se trompent.
(10) Il n’est donc pas nécessaire, selon lui, d’avoir la certitude absolue que les Sages se trompent.
Roch ‘Hodech Mena’hem Av 5712,
Brooklyn,
Je vous salue et vous bénis,
Je fais réponse à votre lettre du 2 Tamouz, dans laquelle vous m’interrogez sur la Boraïta suivante du Yerouchalmi, au début du traité Horayot : "Je pourrais penser que je dois les(1) suivre lorsqu’ils définissent la droite comme étant la gauche. Mais le verset dit ‘en allant à droite et à gauche’. Il fait donc allusion au cas où l’on définit bien la droite comme telle".
Vous donnez, de ce texte, l’interprétation suivante :
A) Il est ici fait allusion au verset Devarim 28, 14 : "Tu ne t’écarteras pas de toutes les Paroles que Je vous ordonne aujourd’hui, à droite ou à gauche, pour suivre des dieux étrangers et les servir". Le Yerouchalmi inverserait donc l’ordre de ce verset, en fonction de l’affirmation des Tossafot, au traité Chabbat 128a, selon laquelle le Talmud a l’habitude de raccourcir et de reformuler(2).
A mon humble avis, il n’est pas possible de faire une telle supposition, car :
1. ce verset a pour objet d’écarter l’éventualité de "suivre(3)" et il interdit donc de le faire, alors que le Yerouchalmi présente le verbe "suivre" comme un impératif,
2. ce verset rapporte une Injonction de D.ieu et non du tribunal(4),
3. ce verset, de même que tout son contexte, énonce une promesse faite à Israël. Il s’agit d’un récit et non d’une Injonction.
Il me semble que l’on peut avancer une explication simple, qui est également celle du Maré Panim sur le Yerouchalmi et du Torah Temima. Le Yerouchalmi, au même titre que le Sifri, fait référence au verset Devarim 17, 11 : "Tu feras en fonction de leur enseignement, tu ne t’écarteras pas de ce qu’ils(1) te diront, à droite ou à gauche", en appliquant la règle des Tossafot précédemment citée selon laquelle le Talmud peut raccourcir ou reformuler(2).
Le Yerouchalmi prend la précaution d’ajouter le mot "suivre", car de lui dépend l’explication qu’il introduit. En effet, il est trois façons de comprendre l’expression "à droite ou à gauche" qui figure dans ce verset :
1. Tu ne t’écarteras ni à droite ni à gauche de ce qu’ils te diront. On retrouve une même affirmation dans beaucoup d’autres versets, comme Devarim 5, 29 et 17, 20. Vous consulterez, à ce propos, le Torah Temima.
2. Ils te disent qu’il s’agit de la droite ou de la gauche et cela contredit ton avis. C’est ce que dit le Sifri.
3. Tu feras en fonction de leur enseignement et tu ne t’écarteras pas, pour aller plutôt vers la droite ou vers le gauche.
En ce sens, l’expression "tu ne t’écarteras pas de ce qu’ils te diront, à droite ou à gauche" doit être interprétée comme une parenthèse, comme si le verset disait seulement "suivre".
Pourquoi le Yerouchalmi n’adopte-t-il pas la première interprétation? Car, selon lui, il faudrait, si elle était la bonne, formuler le verset de la manière suivante : "tu ne t’écarteras pas à droite et à gauche"(5), car telle est l’expression que l’on rencontre le plus fréquemment, même si ce n’est pas systématiquement le cas. En effet, le verset Devarim 28, 14, par exemple, fait exception à cette règle. Néanmoins, celui-ci ne peut pas prêter à confusion, ce qui n’est pas le cas pour le nôtre.
Le Yerouchalmi ne peut pas non plus opter pour la seconde interprétation, qui est à la base de l’explication du Yerouchalmi, "même s’ils te disent que la droite est, en fait, la gauche", car, si telle avait été le cas, il aurait suffi de dire "tu ne t’écarteras pas de ce qu’ils te diront". Car, à l’évidence, pourquoi limiter cette Injonction(6)?
B) Vous considérez qu’il n’y a pas de controverse entre le Yerouchalmi et le Sifra. Le premier avance uniquement que l’on n’est pas tenu d’accepter l’avis du tribunal sans le questionner, bien au contraire. Néanmoins, si, à l’issue de cette consultation, on se trouve en minorité par rapport à ses amis(7), on doit malgré tout "ne pas s’écarter"(8), même si la position adoptée définit la gauche comme étant la droite(9).
Vous consulterez, à ce propos, le ‘Hinou’h, à la fin de la Mitsva 496, le Ramban, dans ses notes sur le Séfer Hamitsvot, premier Chorech, les Tossafot Haroch, le Beer Cheva, le Rachach, le Maharats ‘Hayot et le Yefé Enaïm sur le traité Horayot 2b, les commentateurs de Rachi, sur le verset Devarim 17, 11 et d’autres références encore.
Il est très difficile d’accepter votre interprétation. Si elle était la bonne, l’essentiel manquerait dans la formulation du Yerouchalmi. De plus, ce qui a été dit auparavant conduirait à introduire ici un fait réellement nouveau, la déduction, d’un même verset, de deux interprétations opposées.
C) Le Sdeï ‘Hémed, principe 30, cite le Peta’h Enaïm, du ‘Hida, sur le traité Roch Hachana 25a, selon lequel on n’est pas tenu de suivre le tribunal(1) quand on a la certitude qu’il s’est trompé. Le Torah Temima considère que tel est le cas envisagé par le Yerouchalmi, alors que le Sifri dit : "s’il te semble"(10).
Bien entendu, cette explication est également difficile à accepter. Car, comment l’établir? Vous consulterez le commentaire du Ramban sur Choftim, à cette même référence. Bien plus, il faut rechercher la raison et, en l’occurrence, ne pas multiplier les controverses parmi nos Sages. Dès lors, que déduire de tout cela?
Et, il est peu crédible de baser son argumentation sur le fait qu’il n’est pas fréquent de rencontrer une controverse entre deux avis radicalement opposés, comme ceux qu’évoquent les Tossafot, au traité Bera’hot 39b. Il n’y a donc pas lieu de craindre qu’une telle situation se présente une seconde fois.
A mon humble avis, il est préférable de s’en tenir au sens simple du Sifri et du Yerouchalmi, dont la controverse a été définie plus haut. C’est également ce que dit le Maré Panim, dans son commentaire du Yerouchalmi.
Notes
(1) Les Sages.
(2) Les versets qu’il cite.
(3) Les dieux étrangers et les servir.
(4) Des hommes, c’est-à-dire des Sages.
(5) En omettant tous les mots qui font une rupture entre "tu ne t’écarteras pas" et "à droite et à gauche".
(6) Au cas où les Sages définissent la droite comme la gauche ou la gauche comme la droite?
(7) Aux autres Sages.
(8) De l’avis majoritaire.
(9) Alors que, selon le Sifra, on n’adopte pas l’avis des Sages si l’on pensent qu’ils se trompent.
(10) Il n’est donc pas nécessaire, selon lui, d’avoir la certitude absolue que les Sages se trompent.