Lettre n° 1775
Par la grâce de D.ieu,
13 Mena’hem Av 5712,
Brooklyn,
Au Rav, grand érudit, distingué ‘Hassid qui craint D.ieu,
le Rav Moché Aryé Leïb(1),
Je vous salue et vous bénis,
Je fais réponse à votre lettre du 13 Tamouz et je suis surpris que vous ne fassiez pas référence au caractère propice de cette date, jour de la libération de mon beau-père, le Rabbi, d’autant que ce fut également une délivrance collective, comme l’explique la lettre de mon beau-père, le Rabbi(2). Il semble que je n’ai pas répondu(3) assez clairement à vos remarques et à vos questions sur le Tanya. Je rappellerai donc, au moins brièvement, cette explication.
A) Il est dit que "on le fait jurer d’être un Juste" et "même si le monde entier te dit que tu es un Juste, considère-toi comme un impie". Vous demandez quelle relation établir entre la satiété(4) et cette dernière expression. A ce propos, je vous donnais deux réponses :
1. Les termes du serment sont essentiellement les suivants : "Sois un Juste et ne sois pas un impie". Tout le reste n’est qu’une entrée en matière pour le mettre en pratique. C’est en ce sens qu’il est dit ensuite : "Et sache que le Saint béni soit-Il est pur", point sur lequel il est bien clair qu’un serment n’a pas de sens.
2. Si le serment porte également sur l’affirmation selon laquelle "si le monde entier te dit que tu es un Juste, considère-toi comme un impie", c’est, le plus généralement, du fait de l’implication que cette affirmation peut avoir pour le service de D.ieu. En effet, celui qui n’est pas encore parvenu à être un Juste ne doit pas se tromper lui-même, sur cette question.
Bien évidemment, l’explication rapportée au paragraphe 1 est la plus importante et ce qui vient d’être dit ne fait pas partie du serment. C’est uniquement un moyen de le mettre en pratique.
B) Vous demandez en quoi il serait dommageable qu’un Juste parfait ait conscience de son état. Du reste, on peut se demander pourquoi vous évoquez un "Juste parfait", car on pourrait poser la même question à propos du "Juste imparfait".
La réponse à cette question est la suivante. De fait, rien de mal n’en résulterait et il importe uniquement que celui qui n’est pas un Juste n’imagine pas en être un, comme je le soulignais dans ma précédente lettre et comme l’explique le Tanya, au chapitre 13.
C’est essentiellement ainsi que l’on doit interpréter la mise en garde qui est faite ici de ne pas tenir compte de ce que dit "le monde entier".
C) Vous objectez que de nombreux Justes ont eux-mêmes porté témoignage de leur condition. Cela ne soulève aucune difficulté, comme je l’ai dit. Ils avaient conscience d’être des Justes, non pas parce que "le monde entier" le disait, mais du fait d’autres preuves dont ils disposaient pour connaître leur état.
En pareil cas, cette conscience ne peut pas causer de tort, bien au contraire, comme l’établissent différents textes de ‘Hassidout, soulignant que l’on doit avoir connaissance de ses propres qualités, tout comme on connaît ses défauts.
D) Vous répétez encore une fois que la différence entre la limite et l’infini est également qualitative. Vous le déduisez du fait que ces deux éléments n’ont aucune commune mesure. Les créatures ne peuvent donc pas avoir la perception de l’infini.
Vous vous basez sur l’affirmation figurant dans différents textes de ‘Hassidout, selon laquelle les chiffres un, des millions et des milliards sont tous identiques, par rapport à l’infini. Mais, vous pouvez vérifier empiriquement qu’il n’en est pas ainsi.
En effet, chaque homme possède la perception de ce monde matériel et grossier. Or, il existe une infinité de mondes spirituels, qui portent aussi le nom de mondes. Il y a donc bien un point commun entre eux. On peut aussi trouver une preuve de tout cela dans une affirmation de nos Sages, figurant au traité ‘Haguiga. Le chapitre 46 du Tanya traite également de la limite et de l’infini. Il dit que chaque armée(5) compte des millions(6). Il en résulte bien que l’infini est l’addition d’éléments finis.
Cela ne contredit pas l’affirmation de différents textes, selon laquelle l’infini ne peut pas être constitué par la limite. En effet, il n’en est ainsi que pour les êtres créés. A l’opposé, lorsque la force du Créateur se révèle et qu’elle peut agir, il devient possible qu’il en soit ainsi, précisément par le fait de D.ieu.
Il y a bien là une preuve de l’intervention du Créateur auprès des créatures(7). Les termes de limite et d’infini ont donc une connotation quantitative. Selon la terminologie des philosophes, ils répondent à la question "combien" et non à la question "comment".
J’ai bon espoir que tout cela est enfin clair pour vous et je conclus en vous adressant ma bénédiction,
Notes
(1) Le Rav M. A. L. Shapiro. Voir, à son propos, la lettre n°1587.
(2) Qu’il écrivit pour le premier anniversaire de sa libération. Voir ses lettres, tome 2, lettre n°386.
(3) Dans la lettre n°1587.
(4) "On le fait jurer d’être un Juste" peut aussi être lu "on le rassasie de forces pour être un Juste".
(5) Céleste, constituée par les anges.
(6) D’anges.
(7) Le Rabbi note, en bas de page : "Vous consulterez le Dére’h Emouna, tome 1, chapitre 3, qui, semble-t-il, revient quelque peu sur ce que dit le chapitre 2. Cette question ne sera pas traitée ici."
13 Mena’hem Av 5712,
Brooklyn,
Au Rav, grand érudit, distingué ‘Hassid qui craint D.ieu,
le Rav Moché Aryé Leïb(1),
Je vous salue et vous bénis,
Je fais réponse à votre lettre du 13 Tamouz et je suis surpris que vous ne fassiez pas référence au caractère propice de cette date, jour de la libération de mon beau-père, le Rabbi, d’autant que ce fut également une délivrance collective, comme l’explique la lettre de mon beau-père, le Rabbi(2). Il semble que je n’ai pas répondu(3) assez clairement à vos remarques et à vos questions sur le Tanya. Je rappellerai donc, au moins brièvement, cette explication.
A) Il est dit que "on le fait jurer d’être un Juste" et "même si le monde entier te dit que tu es un Juste, considère-toi comme un impie". Vous demandez quelle relation établir entre la satiété(4) et cette dernière expression. A ce propos, je vous donnais deux réponses :
1. Les termes du serment sont essentiellement les suivants : "Sois un Juste et ne sois pas un impie". Tout le reste n’est qu’une entrée en matière pour le mettre en pratique. C’est en ce sens qu’il est dit ensuite : "Et sache que le Saint béni soit-Il est pur", point sur lequel il est bien clair qu’un serment n’a pas de sens.
2. Si le serment porte également sur l’affirmation selon laquelle "si le monde entier te dit que tu es un Juste, considère-toi comme un impie", c’est, le plus généralement, du fait de l’implication que cette affirmation peut avoir pour le service de D.ieu. En effet, celui qui n’est pas encore parvenu à être un Juste ne doit pas se tromper lui-même, sur cette question.
Bien évidemment, l’explication rapportée au paragraphe 1 est la plus importante et ce qui vient d’être dit ne fait pas partie du serment. C’est uniquement un moyen de le mettre en pratique.
B) Vous demandez en quoi il serait dommageable qu’un Juste parfait ait conscience de son état. Du reste, on peut se demander pourquoi vous évoquez un "Juste parfait", car on pourrait poser la même question à propos du "Juste imparfait".
La réponse à cette question est la suivante. De fait, rien de mal n’en résulterait et il importe uniquement que celui qui n’est pas un Juste n’imagine pas en être un, comme je le soulignais dans ma précédente lettre et comme l’explique le Tanya, au chapitre 13.
C’est essentiellement ainsi que l’on doit interpréter la mise en garde qui est faite ici de ne pas tenir compte de ce que dit "le monde entier".
C) Vous objectez que de nombreux Justes ont eux-mêmes porté témoignage de leur condition. Cela ne soulève aucune difficulté, comme je l’ai dit. Ils avaient conscience d’être des Justes, non pas parce que "le monde entier" le disait, mais du fait d’autres preuves dont ils disposaient pour connaître leur état.
En pareil cas, cette conscience ne peut pas causer de tort, bien au contraire, comme l’établissent différents textes de ‘Hassidout, soulignant que l’on doit avoir connaissance de ses propres qualités, tout comme on connaît ses défauts.
D) Vous répétez encore une fois que la différence entre la limite et l’infini est également qualitative. Vous le déduisez du fait que ces deux éléments n’ont aucune commune mesure. Les créatures ne peuvent donc pas avoir la perception de l’infini.
Vous vous basez sur l’affirmation figurant dans différents textes de ‘Hassidout, selon laquelle les chiffres un, des millions et des milliards sont tous identiques, par rapport à l’infini. Mais, vous pouvez vérifier empiriquement qu’il n’en est pas ainsi.
En effet, chaque homme possède la perception de ce monde matériel et grossier. Or, il existe une infinité de mondes spirituels, qui portent aussi le nom de mondes. Il y a donc bien un point commun entre eux. On peut aussi trouver une preuve de tout cela dans une affirmation de nos Sages, figurant au traité ‘Haguiga. Le chapitre 46 du Tanya traite également de la limite et de l’infini. Il dit que chaque armée(5) compte des millions(6). Il en résulte bien que l’infini est l’addition d’éléments finis.
Cela ne contredit pas l’affirmation de différents textes, selon laquelle l’infini ne peut pas être constitué par la limite. En effet, il n’en est ainsi que pour les êtres créés. A l’opposé, lorsque la force du Créateur se révèle et qu’elle peut agir, il devient possible qu’il en soit ainsi, précisément par le fait de D.ieu.
Il y a bien là une preuve de l’intervention du Créateur auprès des créatures(7). Les termes de limite et d’infini ont donc une connotation quantitative. Selon la terminologie des philosophes, ils répondent à la question "combien" et non à la question "comment".
J’ai bon espoir que tout cela est enfin clair pour vous et je conclus en vous adressant ma bénédiction,
Notes
(1) Le Rav M. A. L. Shapiro. Voir, à son propos, la lettre n°1587.
(2) Qu’il écrivit pour le premier anniversaire de sa libération. Voir ses lettres, tome 2, lettre n°386.
(3) Dans la lettre n°1587.
(4) "On le fait jurer d’être un Juste" peut aussi être lu "on le rassasie de forces pour être un Juste".
(5) Céleste, constituée par les anges.
(6) D’anges.
(7) Le Rabbi note, en bas de page : "Vous consulterez le Dére’h Emouna, tome 1, chapitre 3, qui, semble-t-il, revient quelque peu sur ce que dit le chapitre 2. Cette question ne sera pas traitée ici."