Lettre n° 2648
[13 Iyar 5714(1)]
Concernant les lettres de la Gueniza, je vous apporterai quelques réponses, bien que le temps ne me permette pas d’approfondir et de détailler l’analyse, autant que cela aurait été nécessaire.
La plus grande partie des lettres et des manuscrits de la Gueniza sont rédigés sur du parchemin et non sur du papier. Je dis bien la plus grande partie, c’est-à-dire non pas un peu plus de la moitié, mais beaucoup plus que les trois quarts.
Pour ce qui est des lettres imprimées dans le recueil Hatamim, vous comprendrez que celui qui en a fait la mise en page disposait non pas des lettres originales de la Gueniza, mais de leur copie, qui était prête depuis plusieurs années. Cette copie avait été faite par le jeune D. I, de Riga, que D.ieu venge son sang(2). Celui-ci était animé par la crainte de D.ieu, mais il manquait de rigueur, en particulier pour les détails auxquels les ‘Hassidim accordait moins d’importance, par exemple les dates.
Concernant le style de ces lettres, il est surprenant que l’on ait pu affirmer : “ Toutes ces lettres sont rédigées avec un style strictement identique ”. Cette allégation n’a pas de sens. En effet, on trouve, dans ces écrits, des récits, des testaments, des demandes de bénédiction, des accusés de réception. Il est impossible que tout cela soit rédigé selon un même style. Et, comment dire, à ce propos, le mot “ strictement ” ?
Peut-être est-il fait allusion aux lettres proprement dites qui figurent dans le lot. Mais, là encore, cette affirmation est fausse. Certaines lettres ont été imprimées plusieurs dizaines d’années avant la découverte de la Gueniza, mais elles y figurent également. Or, selon ceux qui prétendent qu’il s’agit d’une falsification, il n’est pas possible que l’on retrouve un même style dans ces lettres imprimées, dont la véracité n’est pas en cause et dans celles qui, d’après eux, sont des faux, aussi bien par leur contenu que par leur formulation.
Il est clair qu’il existe une proximité entre ces textes, surtout ceux que les ‘Hassidim adressent à leurs maîtres. Car, les ‘Hassidim s’efforcent, dans leur manière d’écrire et, plus généralement, dans leur comportement, de ressembler à leurs maîtres. Et, de manière plaisante, l’explication suivante a été donnée à ce sujet, basée sur le traité Sotta 11a : “ Vous suivrez l’Eternel votre D.ieu. Un homme peut-il suivre la Présence divine ? Un disciple, en revanche, peut suivre son maître. ”
Une illustration significative de ce principe peut être trouvée dans le fait qu’à chaque époque, ceux qui recopient les manuscrits et les discours ‘hassidiques, s’efforcent d’imiter l’écriture de leur maître. Souvent, il suffit d’observer une écriture, sans même prendre connaissance du discours ‘hassidique, pour déterminer si celui qui a copié ce texte vivait à l’époque de l’Admour Haémtsahi ou du Tséma’h Tsédek.
On a souligné qu’il y a, dans ces textes, de nombreuses erreurs. J’ai déjà écrit, en Adar Richon 5714(3), que l’on peut envisager l’hypothèse suivante. Ces lettres ont pu été recopiées, à partir de l’original, pour le gouvernement du tsar. Une telle recopie a donc été réalisée à la hâte et elle n’a pas nécessairement été le fait des plus grands spécialistes. De plus, comme je l’ai dit, les ‘Hassidim n’ont jamais réellement prêté attention aux dates. Ceci permet d’expliquer la majeure partie des erreurs qui ont été constatées.
A l’heure actuelle, celui qui recopie un manuscrit commet de nombreuses erreurs, qui sont découvertes lors de la relecture. Combien plus est-ce le cas si l’écriture est, en outre, difficile à déchiffrer, les lettres en étant entremêlées. C’est encore plus clairement le cas si celui qui recopie décide d’interpréter les abréviations et le fait rapidement. Tout ceci augmentera non seulement le nombre, mais aussi la nature de ces erreurs.
Donnez donc un manuscrit de l’époque à quelqu’un qui n’est pas particulièrement un spécialiste, en la matière et demandez lui de le recopier rapidement. Choisissez, par exemple, l’une des lettres du Baal Chem Tov ou de Rabbi Mena’hem Mendel de Horodok, imprimées dans les premier et second tomes de Hatamim. Vous verrez le nombre d’erreur qui seront faites.
Bien plus, si l’on suppose ce qui a été dit auparavant(4), il est clair que la recopie n’avait nul besoin d’être précise.
Si l’on admet que la copie a été faite, à partir de l’original, pour les membres du gouvernement, dans le but de les abuser et de leur faire croire qu’il s’agissait du manuscrit proprement dit, on peut comprendre pourquoi ces documents devaient avoir la même apparence que les lettres originales. De fait, au verso de chaque document, apparaît, en russe, l’adresse du fonctionnaire concerné.
Pourquoi le pourcentage de lettres ayant un contenu et, en particulier, commentant la Torah, est-il si faible ? Mon beau-père, le Rabbi, dont le mérite nous protégera, répond à cette question dans une lettre qui évoque la Gueniza. Celle-ci est publiée dans le premier tome de Hatamim et, à sa conclusion, il est dit :
“ Certains points traitent de Kabbala pratique, des combinaisons des Noms divins et d’autres notions profondes de la Kabbala, qu’il est impossible de transmettre ainsi(5) ”. Ce passage n’apparaît pas dans le recueil “ Les lettres du Baal Ha Tanya et de ses contemporains ”, qui omet également un extrait essentiel de la lettre de mon beau-père, le Rabbi, dans lequel il rapporte l’avis de son père. Il explique que ce dernier, après avoir analysé :
“ Tous les manuscrits et lu tous les récits, tous les écrits, a fait leur éloge et a exprimé son avis, affirmant que ces textes et ces lettres ne sont que des copies. Leur contenu, en revanche, est exact et, même si l’on y découvre une contradiction, celle-ci est négligeable par rapport à leur valeur intrinsèque. En fait, il s’agit uniquement d’une erreur de la part de ceux qui en ont effectué la copie. ”
Il ne faut donc pas s’étonner qu’il y ait relativement peu de lettres ayant un contenu. Celles qui en ont un, en effet, n’ont pas été publiées dans le Hatamim.
Celui qui possède la moindre connaissance du comportement des maîtres de la ‘Hassidout, à l’époque, sait que ceux-ci ne rédigeaient pas eux-mêmes leur enseignement. Bien au contraire, ils s’efforçaient de ne pas le faire, pour différentes raisons. De manière tout à fait exceptionnelle, lorsqu’ils n’avaient pas la possibilité de répondre oralement, ils le faisaient par écrit, d’une manière extrêmement concise.
Celui qui demande pourquoi il y a, dans les écrits d’un des maîtres de la ‘Hassidout des premières époques, une faible proportion de commentaires de la Torah, fait, en réalité la preuve de sa méconnaissance de leur comportement. Bien plus, on sait que mon beau-père, le Rabbi et son père, le Rabbi Rachab, dont le mérite nous protégera, répondaient aux questions des ‘Hassidim, y compris lorsqu’elles portaient sur la partie révélée de la Torah et la ‘Hassidout, bien plus que leurs prédécesseurs, les maîtres de ‘Habad et, à fortiori, que les maîtres contemporains du Baal Chem Tov et du Maguid(6). Nous possédons les archives de ces courriers et nous savons donc exactement ce qu’ils ont écrit eux-mêmes et ce qui n’est qu’une recopie de leur écriture. Malgré cela, on ne retrouve, dans leur correspondance, qu’une faible proportion de commentaires de la Torah.
Il est dit que “ les besoins de Ton peuple sont multiples ”. Ceux qui posaient des questions matérielles ou demandaient une bénédiction étaient donc plus nombreux que ceux qui sollicitaient une explication de la partie révélée de la Torah ou de la ‘Hassidout. Ces derniers, pour la plupart, posaient leurs questions oralement à leur maître, lorsqu’ils allaient les voir, à l’occasion des fêtes et recevaient une audience auprès d’eux. Ces interrogations n’étaient pas urgentes et une réponse pouvait donc leur être apportée, quelques semaines ou même quelques mois plus tard.
La signature de nombreuses lettres mentionne également le nom de la mère, comme lors d’une demande de bénédiction, et non celui du père. Celui qui connaît la manière dont les ‘Hassidim écrivent à leur maître sait que ceux-ci signent souvent en mentionnant le nom de leur mère, y compris lorsqu’ils ne demandent pas de bénédiction.
On a prétendu également qu’en faisant la preuve qu’une lettre est falsifiée, on pourra considérer qu’il en est de même pour toute la Gueniza. Il est clair qu’une telle affirmation n’a pas de sens. En effet, elle conduirait à penser que nos saints livres sont falsifiés, parce que l’on y trouve des fautes d’imprimerie ou des ajouts ultérieurs. Or, on sait que les Rabbanan Savouraï ont annoté le texte talmudique. Il en est de même pour plusieurs ouvrages ultérieurs.
Bien plus, même si l’on trouve, parmi ces lettres, l’une que nos maîtres se transmettaient confidentiellement, d’une génération à l’autre, cela ne veut pas dire que quelqu’un aurait pu la falsifier après être parvenu à en avoir connaissance. Il faut admettre que ceux qui l’ont recopié avaient connaissance de cette transmission confidentielle, qu’elle porte sur des combinaisons de Noms divins, des idées profondes de la Kabbala, des serments des anges ou les différentes catégories mentionnées par mon beau-père, le Rabbi, dans sa lettre précédemment citée.
Il est également surprenant que le “ falsificateur ” ait disparu, qu’on n’ait pu l’identifier. Cela me semble particulièrement étonnant. Pour falsifier ces lettres, celles qui ont été publiées et, à fortiori, celles qui ne l’ont pas été, mais que le Rabbi Rachab a étudié de nombreuses fois, comme en atteste mon beau-père, le Rabbi et dont il a fait l’éloge, il fallait non seulement avoir des talents de faussaire, mais, en outre, posséder de solides connaissances de Kabbala et de ‘Hassidout. Il fallait savoir, en outre, quelles étaient les relations des maîtres de la ‘Hassidout entre eux, de même que celles des membres de leur famille, mentionnés dans ces lettres. Il est très surprenant qu’un homme possédant tant de connaissances n’ait rien publié, ni avant la découverte de la Gueniza, ni après celle-ci.
Dans les générations précédentes, lorsque l’on ne savait pas, avec certitude, qui était l’auteur d’un livre, on recherchait qui il pouvait être, en fonction des connaissances dont il devait disposer. C’est ainsi que, pour le Zohar, on a cité le nom de Rabbi Moché de Léon. Dans beaucoup de responsa des premiers Sages, on confondait le Ramban, le Rachba et le Ritva. Il en fut de même, dans les générations suivantes, pour les responsa Besamim Roch, pour les pierres tombales que l’on a retrouvées en Crimée, pour l’ordre de Kodachim du Yerouchalmi. Et, il est inutile d’en dire plus tant cela est bien évident.
Il était auparavant d’usage que l’on n’imprime aucun livre, quel qu’en soit l’auteur, s’il n’avait pas reçu des approbations rabbiniques. Et, la raison en était bien claire. Chacun peut se tromper. L’amour propre et la conviction d’avoir raison occultent toutes les fautes et toutes les erreurs. Les plus grands Sages, ceux qui marquent réellement leur génération, comme le dit le traité Sanhédrin 7b, prenaient également conseil auprès des autres, demandaient leur avis avant de trancher la Hala’ha.
En cette génération indigente, on considère que les approbations rabbiniques sont inutiles. Quiconque le désire peut s’exprimer, juger en dernière instance. Il le fait, sans hésiter, lorsqu’il s’agit de son propre domaine et, si ce n’est pas le cas, il formule des suppositions et celles-ci deviennent aussitôt incontestables. L’imprimeur édite et le lecteur juge, car l’édition ne saurait être remise en cause.
Le Rabbi de Munkatch, auteur, en particulier, du Min’hat Eléazar avait l’habitude de s’exprimer d’une manière très énergique et il n’hésitait pas à employer des expressions dures. Or, il prend position avec beaucoup de prudence, à propos de la Gueniza, dans son livre Divreï Torah, cinquième édition, paragraphe 9 : “ Des mains étrangères et falsificatrices sont intervenues ”, “ garde toi bien de les croire et sois prudent ”, “ on peut craindre que ces lettres soient falsifiées ”.
Mon beau-père, le Rabbi, a fait connaître la décision de son père, après que celui-ci ait examiné, pendant plusieurs mois, tous les écrits de la Gueniza, à l’exception de quelques documents, parvenus à d’autres. Selon lui, le contenu de ces textes et de ces lettres est vrai, les contradictions qui s’y trouvent sont relativement légères par rapport à leur importance intrinsèque.
Or, ils sont les seuls à avoir vu tous les documents de cette Gueniza, parmi lesquels il y a également des explications de la Kabbala, différentes formes des Noms de D.ieu, les noms et les louanges des anges, des combinaisons de noms et des serments.
Malgré tout cela, l’auteur des “ lettres du Baal Ha Tanya et de ses contemporains ” écrit que : “ tous ceux qui ont enquêté sur la véracité de ces écrits n’ont pas examiné, de manière globale et systématique, le contenu de ces lettres. Je suis donc parvenu à la conclusion que les lettres de la Gueniza qui ont été publiées sont falsifiées. Certaines ont été imprimées et diffusées avec l’accord de Grands du peuple juif qui, en la matière, se sont trompés. ”
Peut-on considérer que celui qui remet en cause une telle certitude soit réellement intègre ?
M. Schneerson,
Notes
(1) Cette lettre est publiée dans Haséfer de 5715-1955, figurant dans le second tome de Hatamim, page 852. Voir également Iguerot Kodech de l’Admour Hazaken, page 476. La présente lettre fait suite à la lettre n°2497, attestant la véracité des documents figurant dans la Gueniza qui a été retrouvée dans la ville de ‘Herson.
(2) Qui a été assassiné lors des persécutions.
(3) Il s’agit de la lettre n°2497.
(4) Que la recopie de ces manuscrits a été faite pour être remise au gouvernement tsariste, lequel, de toute façon, ne pouvait pas les comprendre.
(5) Toutes les lettres traitant de ces sujets n’ont donc pas fait l’objet d’une publication.
(6) De Mézéritch.
Concernant les lettres de la Gueniza, je vous apporterai quelques réponses, bien que le temps ne me permette pas d’approfondir et de détailler l’analyse, autant que cela aurait été nécessaire.
La plus grande partie des lettres et des manuscrits de la Gueniza sont rédigés sur du parchemin et non sur du papier. Je dis bien la plus grande partie, c’est-à-dire non pas un peu plus de la moitié, mais beaucoup plus que les trois quarts.
Pour ce qui est des lettres imprimées dans le recueil Hatamim, vous comprendrez que celui qui en a fait la mise en page disposait non pas des lettres originales de la Gueniza, mais de leur copie, qui était prête depuis plusieurs années. Cette copie avait été faite par le jeune D. I, de Riga, que D.ieu venge son sang(2). Celui-ci était animé par la crainte de D.ieu, mais il manquait de rigueur, en particulier pour les détails auxquels les ‘Hassidim accordait moins d’importance, par exemple les dates.
Concernant le style de ces lettres, il est surprenant que l’on ait pu affirmer : “ Toutes ces lettres sont rédigées avec un style strictement identique ”. Cette allégation n’a pas de sens. En effet, on trouve, dans ces écrits, des récits, des testaments, des demandes de bénédiction, des accusés de réception. Il est impossible que tout cela soit rédigé selon un même style. Et, comment dire, à ce propos, le mot “ strictement ” ?
Peut-être est-il fait allusion aux lettres proprement dites qui figurent dans le lot. Mais, là encore, cette affirmation est fausse. Certaines lettres ont été imprimées plusieurs dizaines d’années avant la découverte de la Gueniza, mais elles y figurent également. Or, selon ceux qui prétendent qu’il s’agit d’une falsification, il n’est pas possible que l’on retrouve un même style dans ces lettres imprimées, dont la véracité n’est pas en cause et dans celles qui, d’après eux, sont des faux, aussi bien par leur contenu que par leur formulation.
Il est clair qu’il existe une proximité entre ces textes, surtout ceux que les ‘Hassidim adressent à leurs maîtres. Car, les ‘Hassidim s’efforcent, dans leur manière d’écrire et, plus généralement, dans leur comportement, de ressembler à leurs maîtres. Et, de manière plaisante, l’explication suivante a été donnée à ce sujet, basée sur le traité Sotta 11a : “ Vous suivrez l’Eternel votre D.ieu. Un homme peut-il suivre la Présence divine ? Un disciple, en revanche, peut suivre son maître. ”
Une illustration significative de ce principe peut être trouvée dans le fait qu’à chaque époque, ceux qui recopient les manuscrits et les discours ‘hassidiques, s’efforcent d’imiter l’écriture de leur maître. Souvent, il suffit d’observer une écriture, sans même prendre connaissance du discours ‘hassidique, pour déterminer si celui qui a copié ce texte vivait à l’époque de l’Admour Haémtsahi ou du Tséma’h Tsédek.
On a souligné qu’il y a, dans ces textes, de nombreuses erreurs. J’ai déjà écrit, en Adar Richon 5714(3), que l’on peut envisager l’hypothèse suivante. Ces lettres ont pu été recopiées, à partir de l’original, pour le gouvernement du tsar. Une telle recopie a donc été réalisée à la hâte et elle n’a pas nécessairement été le fait des plus grands spécialistes. De plus, comme je l’ai dit, les ‘Hassidim n’ont jamais réellement prêté attention aux dates. Ceci permet d’expliquer la majeure partie des erreurs qui ont été constatées.
A l’heure actuelle, celui qui recopie un manuscrit commet de nombreuses erreurs, qui sont découvertes lors de la relecture. Combien plus est-ce le cas si l’écriture est, en outre, difficile à déchiffrer, les lettres en étant entremêlées. C’est encore plus clairement le cas si celui qui recopie décide d’interpréter les abréviations et le fait rapidement. Tout ceci augmentera non seulement le nombre, mais aussi la nature de ces erreurs.
Donnez donc un manuscrit de l’époque à quelqu’un qui n’est pas particulièrement un spécialiste, en la matière et demandez lui de le recopier rapidement. Choisissez, par exemple, l’une des lettres du Baal Chem Tov ou de Rabbi Mena’hem Mendel de Horodok, imprimées dans les premier et second tomes de Hatamim. Vous verrez le nombre d’erreur qui seront faites.
Bien plus, si l’on suppose ce qui a été dit auparavant(4), il est clair que la recopie n’avait nul besoin d’être précise.
Si l’on admet que la copie a été faite, à partir de l’original, pour les membres du gouvernement, dans le but de les abuser et de leur faire croire qu’il s’agissait du manuscrit proprement dit, on peut comprendre pourquoi ces documents devaient avoir la même apparence que les lettres originales. De fait, au verso de chaque document, apparaît, en russe, l’adresse du fonctionnaire concerné.
Pourquoi le pourcentage de lettres ayant un contenu et, en particulier, commentant la Torah, est-il si faible ? Mon beau-père, le Rabbi, dont le mérite nous protégera, répond à cette question dans une lettre qui évoque la Gueniza. Celle-ci est publiée dans le premier tome de Hatamim et, à sa conclusion, il est dit :
“ Certains points traitent de Kabbala pratique, des combinaisons des Noms divins et d’autres notions profondes de la Kabbala, qu’il est impossible de transmettre ainsi(5) ”. Ce passage n’apparaît pas dans le recueil “ Les lettres du Baal Ha Tanya et de ses contemporains ”, qui omet également un extrait essentiel de la lettre de mon beau-père, le Rabbi, dans lequel il rapporte l’avis de son père. Il explique que ce dernier, après avoir analysé :
“ Tous les manuscrits et lu tous les récits, tous les écrits, a fait leur éloge et a exprimé son avis, affirmant que ces textes et ces lettres ne sont que des copies. Leur contenu, en revanche, est exact et, même si l’on y découvre une contradiction, celle-ci est négligeable par rapport à leur valeur intrinsèque. En fait, il s’agit uniquement d’une erreur de la part de ceux qui en ont effectué la copie. ”
Il ne faut donc pas s’étonner qu’il y ait relativement peu de lettres ayant un contenu. Celles qui en ont un, en effet, n’ont pas été publiées dans le Hatamim.
Celui qui possède la moindre connaissance du comportement des maîtres de la ‘Hassidout, à l’époque, sait que ceux-ci ne rédigeaient pas eux-mêmes leur enseignement. Bien au contraire, ils s’efforçaient de ne pas le faire, pour différentes raisons. De manière tout à fait exceptionnelle, lorsqu’ils n’avaient pas la possibilité de répondre oralement, ils le faisaient par écrit, d’une manière extrêmement concise.
Celui qui demande pourquoi il y a, dans les écrits d’un des maîtres de la ‘Hassidout des premières époques, une faible proportion de commentaires de la Torah, fait, en réalité la preuve de sa méconnaissance de leur comportement. Bien plus, on sait que mon beau-père, le Rabbi et son père, le Rabbi Rachab, dont le mérite nous protégera, répondaient aux questions des ‘Hassidim, y compris lorsqu’elles portaient sur la partie révélée de la Torah et la ‘Hassidout, bien plus que leurs prédécesseurs, les maîtres de ‘Habad et, à fortiori, que les maîtres contemporains du Baal Chem Tov et du Maguid(6). Nous possédons les archives de ces courriers et nous savons donc exactement ce qu’ils ont écrit eux-mêmes et ce qui n’est qu’une recopie de leur écriture. Malgré cela, on ne retrouve, dans leur correspondance, qu’une faible proportion de commentaires de la Torah.
Il est dit que “ les besoins de Ton peuple sont multiples ”. Ceux qui posaient des questions matérielles ou demandaient une bénédiction étaient donc plus nombreux que ceux qui sollicitaient une explication de la partie révélée de la Torah ou de la ‘Hassidout. Ces derniers, pour la plupart, posaient leurs questions oralement à leur maître, lorsqu’ils allaient les voir, à l’occasion des fêtes et recevaient une audience auprès d’eux. Ces interrogations n’étaient pas urgentes et une réponse pouvait donc leur être apportée, quelques semaines ou même quelques mois plus tard.
La signature de nombreuses lettres mentionne également le nom de la mère, comme lors d’une demande de bénédiction, et non celui du père. Celui qui connaît la manière dont les ‘Hassidim écrivent à leur maître sait que ceux-ci signent souvent en mentionnant le nom de leur mère, y compris lorsqu’ils ne demandent pas de bénédiction.
On a prétendu également qu’en faisant la preuve qu’une lettre est falsifiée, on pourra considérer qu’il en est de même pour toute la Gueniza. Il est clair qu’une telle affirmation n’a pas de sens. En effet, elle conduirait à penser que nos saints livres sont falsifiés, parce que l’on y trouve des fautes d’imprimerie ou des ajouts ultérieurs. Or, on sait que les Rabbanan Savouraï ont annoté le texte talmudique. Il en est de même pour plusieurs ouvrages ultérieurs.
Bien plus, même si l’on trouve, parmi ces lettres, l’une que nos maîtres se transmettaient confidentiellement, d’une génération à l’autre, cela ne veut pas dire que quelqu’un aurait pu la falsifier après être parvenu à en avoir connaissance. Il faut admettre que ceux qui l’ont recopié avaient connaissance de cette transmission confidentielle, qu’elle porte sur des combinaisons de Noms divins, des idées profondes de la Kabbala, des serments des anges ou les différentes catégories mentionnées par mon beau-père, le Rabbi, dans sa lettre précédemment citée.
Il est également surprenant que le “ falsificateur ” ait disparu, qu’on n’ait pu l’identifier. Cela me semble particulièrement étonnant. Pour falsifier ces lettres, celles qui ont été publiées et, à fortiori, celles qui ne l’ont pas été, mais que le Rabbi Rachab a étudié de nombreuses fois, comme en atteste mon beau-père, le Rabbi et dont il a fait l’éloge, il fallait non seulement avoir des talents de faussaire, mais, en outre, posséder de solides connaissances de Kabbala et de ‘Hassidout. Il fallait savoir, en outre, quelles étaient les relations des maîtres de la ‘Hassidout entre eux, de même que celles des membres de leur famille, mentionnés dans ces lettres. Il est très surprenant qu’un homme possédant tant de connaissances n’ait rien publié, ni avant la découverte de la Gueniza, ni après celle-ci.
Dans les générations précédentes, lorsque l’on ne savait pas, avec certitude, qui était l’auteur d’un livre, on recherchait qui il pouvait être, en fonction des connaissances dont il devait disposer. C’est ainsi que, pour le Zohar, on a cité le nom de Rabbi Moché de Léon. Dans beaucoup de responsa des premiers Sages, on confondait le Ramban, le Rachba et le Ritva. Il en fut de même, dans les générations suivantes, pour les responsa Besamim Roch, pour les pierres tombales que l’on a retrouvées en Crimée, pour l’ordre de Kodachim du Yerouchalmi. Et, il est inutile d’en dire plus tant cela est bien évident.
Il était auparavant d’usage que l’on n’imprime aucun livre, quel qu’en soit l’auteur, s’il n’avait pas reçu des approbations rabbiniques. Et, la raison en était bien claire. Chacun peut se tromper. L’amour propre et la conviction d’avoir raison occultent toutes les fautes et toutes les erreurs. Les plus grands Sages, ceux qui marquent réellement leur génération, comme le dit le traité Sanhédrin 7b, prenaient également conseil auprès des autres, demandaient leur avis avant de trancher la Hala’ha.
En cette génération indigente, on considère que les approbations rabbiniques sont inutiles. Quiconque le désire peut s’exprimer, juger en dernière instance. Il le fait, sans hésiter, lorsqu’il s’agit de son propre domaine et, si ce n’est pas le cas, il formule des suppositions et celles-ci deviennent aussitôt incontestables. L’imprimeur édite et le lecteur juge, car l’édition ne saurait être remise en cause.
Le Rabbi de Munkatch, auteur, en particulier, du Min’hat Eléazar avait l’habitude de s’exprimer d’une manière très énergique et il n’hésitait pas à employer des expressions dures. Or, il prend position avec beaucoup de prudence, à propos de la Gueniza, dans son livre Divreï Torah, cinquième édition, paragraphe 9 : “ Des mains étrangères et falsificatrices sont intervenues ”, “ garde toi bien de les croire et sois prudent ”, “ on peut craindre que ces lettres soient falsifiées ”.
Mon beau-père, le Rabbi, a fait connaître la décision de son père, après que celui-ci ait examiné, pendant plusieurs mois, tous les écrits de la Gueniza, à l’exception de quelques documents, parvenus à d’autres. Selon lui, le contenu de ces textes et de ces lettres est vrai, les contradictions qui s’y trouvent sont relativement légères par rapport à leur importance intrinsèque.
Or, ils sont les seuls à avoir vu tous les documents de cette Gueniza, parmi lesquels il y a également des explications de la Kabbala, différentes formes des Noms de D.ieu, les noms et les louanges des anges, des combinaisons de noms et des serments.
Malgré tout cela, l’auteur des “ lettres du Baal Ha Tanya et de ses contemporains ” écrit que : “ tous ceux qui ont enquêté sur la véracité de ces écrits n’ont pas examiné, de manière globale et systématique, le contenu de ces lettres. Je suis donc parvenu à la conclusion que les lettres de la Gueniza qui ont été publiées sont falsifiées. Certaines ont été imprimées et diffusées avec l’accord de Grands du peuple juif qui, en la matière, se sont trompés. ”
Peut-on considérer que celui qui remet en cause une telle certitude soit réellement intègre ?
M. Schneerson,
Notes
(1) Cette lettre est publiée dans Haséfer de 5715-1955, figurant dans le second tome de Hatamim, page 852. Voir également Iguerot Kodech de l’Admour Hazaken, page 476. La présente lettre fait suite à la lettre n°2497, attestant la véracité des documents figurant dans la Gueniza qui a été retrouvée dans la ville de ‘Herson.
(2) Qui a été assassiné lors des persécutions.
(3) Il s’agit de la lettre n°2497.
(4) Que la recopie de ces manuscrits a été faite pour être remise au gouvernement tsariste, lequel, de toute façon, ne pouvait pas les comprendre.
(5) Toutes les lettres traitant de ces sujets n’ont donc pas fait l’objet d’une publication.
(6) De Mézéritch.