Lettre n° 310

Par la grâce de D.ieu,
22 ‘Hechvan 5708,

Au distingué ‘Hassid, qui se consacre aux besoinscommunautaires, le Rav M. ‘H.(1), le Cho’het,

Je vous salue et vous bénis,

J’ai bien reçu votre lettre, il y a déjà quelques temps. Vous ne m’en voudrez pas d’avoir pris du retard pour vous répondre, du fait de mes nombreuses occupations.

Les livres que vous avez demandés vous ont été envoyés en deux colis. Une partie des causeries et des discours ‘hassidiques sera prise en charge par le Keren Hamatsot(2). En effet, vous m’écrivez que vous désirez les mettre à la disposition du plus grand nombre. Vous voudrez bien me confirmer avoir reçu ces colis.

Vous m’interrogez sur l’affirmation du Guide des égarés, tome 2, chapitre 42, selon laquelle l’épisode de Bilaam qui, en chemin, conversa avec son âne relève de la prophétie. Vous vous demandez pourquoi s’écarter à ce point du sens simple du verset.

Le Ralbag, au début de la Parchat Balak, en donne la raison: «On peut se poser de fortes questions sur ce récit. Comment l’âne put-il avoir la vision d’un ange de D.ieu? En fait, seul un prophète peut avoir une telle apparition, comme le dit la fin du livre de Daniel. Les hommes qui l’accompagnaient ne le virent pas. Pourquoi, dans un premier temps, Bilaam ne vit-il pas cet ange, alors que celui-ci portait son épée et entendait lui dire ce qu’il devait faire? Pourquoi un tel miracle, celui qui donna la parole à un âne, fut-il nécessaire? Et, l’on sait que D.ieu ne fait pas de miracles inutiles. Or, nos Sages interprètent bien ce récit en son sens littéral. C’est pour cela, disent-ils, que la bouche de l’âne fut créée au coucher du soleil(3)». Il cite ensuite l’explication du Guide des égarés.

Le traité Avot indique que ce récit est à interpréter au sens littéral. Et l’on peut donc répondre à ces questions de la manière suivante:

A) Comment l’âne put-il voir l’ange, ce qui est possible uniquement à un prophète, comme le dit le livre de Daniel?

Le Ramban, commentant le verset Béréchit 18, 2, que cite le Abravanel dans son commentaire du Guide des égarés, affirme qu’il n’est pas nécessaire d’être prophète pour avoir la vision d’un ange. Ou peut-être faut-il dire, comme l’avance le Ramban dans son commentaire du verset Béréchit 22, 33, que l’âne ressentit la présence de l’ange ou le vit, sans comprendre ce qu’il était. Il s’écarta donc, par peur de l’épée, comme l’aurait fait n’importe quel animal.

Bilaam ne vit pas tout cela, n’aperçut pas l’épée. En effet, il est dit que les démons se cachent des yeux des hommes, car ceux-ci, étant doués de discernement, pourraient être troublés en les voyant, ce qui serait un danger pour eux. Rien de tel n’est vrai pour les animaux.

Le traité Bera’hot 6a dit que, si l’oeil avait obtenu l’autorisation de voir, nul n’aurait pu supporter cette vision. Et l’interprétation que donne le Rav Katsen de cette affirmation ne correspond pas à son sens premier.

Vous consulterez également le Midrach Talpyot qui, à l’article «l’âne de Bilaam», développe une autre explication.

B) Pourquoi Bilaam ne vit-il pas d’emblée l’ange qui était là pour lui indiquer ce qu’il devait faire?

Cette question peut être écartée d’après ce que dit le Zohar Balak, page 206b, selon lequel la perception de Bilaam passait par son âne. Par ses actes, il désirait et pouvait maudire Israël. Il fallait donc, tout d’abord, annihiler sa sorcellerie et son pouvoir maléfique.

Nos Sages disent aussi, dans le traité Bera’hot 7a, que si D.ieu s’était emporté, pendant cette période, Bilaam aurait pu mettre ses plans à exécution. Ainsi, il est clair que la vision de l’ange n’était pas suffisante.

C) Quelle était la raison d’être de ce miracle, qui fit parler un âne?

D’après ce qui vient d’être dit, Bilaam voulait maudire Israël par l’intermédiaire de son âne. Il se produisit donc un miracle au sein d’un miracle et c’est précisément grâce à cet âne que son dessein fut déjoué(...). Le Yalkout Chimeoni dit, à ce propos: «Les princes de Moav s’étonnèrent, assistant à un miracle dont ils n’avaient pas vu l’équivalent dans le monde».

Le Zohar, tome 3, page 209b, dit: «Par les paroles de l’âne, il fut déshonoré, comprit qu’il avait perdu sa force. On peut en conclure que les animaux ne tombent pas sous l’emprise des forces du mal»(...).

En vous souhaitant tout le bien,

Rav Mena’hem Schneerson,

Bien évidemment, je reste prêt à répondre à vos questions, à l’avenir, dans la mesure de mes moyens. Mais ne m’en veuillez pas si, du fait de mes nombreuses activités, je vous réponds avec retard.

Notes

(1) Le Rav Meïr ‘Haïm ‘Haïkin. Voir les lettres n°335 et 400.
(2) Le fonds créé par le Merkaz Leïnyaneï ‘Hinou’h, pour fournir des Mezouzot, des Tsitsit et des Tefilin aux réfugiés, en Europe.
(3) Du sixième jour de la création.