Lettre n° 447
Par la grâce de D.ieu,
16 Chevat 5709,
Je vous salue et vous bénis,
Vous m’interrogez sur ce que rapporte le Tanya, au début du premier chapitre: "Rabba dit: Moi, par exemple, je suis un homme moyen". Comme vous me le demandez, je m’efforcerai de commenter ce passage, à mon humble avis:
A) Dans la version du Talmud que nous possédons, le Eïn Yaakov, le Yalkout Chimeoni sur le Psaume 36, les manuscrits du Talmud et du Eïn Yaakov qui sont cités par le Dikdoukeï Sofrim sur le traité Bera’hot 61b, le commentaire de Rabbénou ‘Hananel qui est mentionné dans les additifs du Otsar Hagaonim sur le traité Bera’hot, dans toutes ces références, le pluriel est employé, "nous sommes de hommes moyens".
Je n’ai, pour l’heure, pas trouvé quelqu’un d’autre que l’Admour Hazaken, citant cette version au singulier, si ce n’est, en allusion, dans le commentaire de Rachi, à cette même référence: "Si tu fais partie des hommes moyens", alors que le commentaire de Rabbénou ‘Hananel dit: "Si nous ne sommes nous-mêmes que des hommes moyens, tu ôtes la vie à tous".
B) Rachi explique, à cette référence: "Si tu fais partie des hommes moyens, c’est qu’il n’y a pas de Juste parfait dans le monde". A mon humble avis, l’explication que vous donnez de ces propos dans votre lettre est difficile à accepter.
Vous dites qu’il n’y aurait pas un seul Juste parfait dans le monde. Or, comment Abbayé pourrait-il trancher, comme une évidence, qu’il n’y avait pas un seul ami de Rabba qui soit plus grand que lui? Bien plus, il y avait, parmi ses collègues, Rav Zeïra, dont on vante le mérite, au traité Baba Metsya 85a. Par ailleurs, le discours ‘hassidique de Pourim 5708 explique que Rav Zeïra correspond à l’attribut de découverte intellectuelle et Rabba, à celui de l’analyse raisonnée.
Le traité Meguila 28a dit aussi que Rav Zeïra vécut très vieux. Et la fin du traité Bera’hot le compare à Rav Yossef, montrant la supériorité de celui qui, possédant d’immenses connaissances, est comparable au Sinaï. Selon le traité Pessa’him 113, Rav Yossef endura de nombreuses souffrances. La fin du traité Sotta rapporte qu’il était particulièrement humble. Le Séder Hadorot et Rabbénou Nissim, dans son commentaire du traité Kiddouchin, racontent qu’il perdit la vue du fait de sa crainte de D.ieu.
De plus, de nombreux Sages vivaient alors en Erets Israël, alors que Abbayé se trouvait à Babel. Comment pouvait-il donc adopter une position aussi tranchée? En effet, le propos d’Abbayé était bien simple, y compris d’après le commentaire de Rachi. Si Rabba et tous ceux qui se trouvaient au même niveau que lui étaient seulement des hommes moyens, qui pouvait se définir comme un Juste parfait?
C) Selon votre lettre, vous interprétez l’expression "tu ôtes la vie à tous" en soulignant que le Juste est le fondement du monde. S’il est absent de la terre, nul ne peut donc conserver la vie. Je ne sais pas pourquoi vous devez avancer une telle explication.
J’interprète ces mots au sens littéral. En effet, le traité Baba Metsya 92a emploie une même expression: "Issy ôte la vie à tous", ce qui veut dire, dans ce contexte, que tous les cultivateurs auront des ennuis avec lui. Il en est donc de même ici.
Mon père m’a donné une explication de ce passage, basée sur le traité Roch Hachana 8b: "Les Justes sont immédiatement scellés pour la vie". Or, s’il n’existe pas de Justes parfaits, cela veut dire qu’il n’en est ainsi pour personne!
On le comprendra bien d’après une interprétation que donne Rachi du Eïn Yaakov: "Tous sont ainsi tenus pour des impies", ce qui voudrait dire que, selon la même référence du traité Roch Hachana, tous "sont immédiatement scellés pour la mort"!
D) Les propos de Rachi, précédemment cités, "Il n’y a pas de Juste parfait dans le monde", semblent difficile à comprendre. Car, si Rabba est un homme moyen, il ne s’y trouve pas non plus de Juste imparfait. On peut donc l’expliquer en fonction de ce qui vient d’être dit. Rachi pense que le terme de Juste, au moins dans ce passage, désigne celui dont les bonnes actions sont plus nombreuses que les mauvaises, mais non l’homme qui ne possède pas du tout de mauvais penchant. Il dit, du reste, que "il est capable de le contenir".
Or, le Juste parfait est celui qui ne commet pas du tout de fautes. De ce point de vue, la différence entre un homme moyen et un Juste imparfait est très fine. Il est donc clair, pour Rachi, que l’on ne peut pas dire, à ce propos, "tu ôtes la vie à tous". Il explique, en conséquence, que Abbayé fait allusion à un Juste parfait, qui n’a jamais commis de fautes. Cette difficulté est ainsi résolue.
E) On peut se demander pourquoi l’Admour Hazaken reproduit également, dans le Tanya, les paroles d’Abbayé, "tu ôtes la vie à tous". La question qu’il pose ne porte-t-elle pas uniquement sur l’affirmation de Rabba, "Moi, par exemple, je suis un homme moyen".
En fait, il renforce, de cette manière, son interrogation. En effet, la Guemara s’interroge sur l’affirmation de Rabba, dont la grandeur est établie. Aussi, même si l’on considère que Rabba s’est trompé sur son propre compte, par modestie, comme l’explique le Maharcha, ou bien qu’il ne souhaitait pas révéler son véritable niveau, on peut encore s’interroger sur ce que dit Abbayé. Pourquoi se préoccuper du fait que Rabba ôte la vie aux autres créatures? Pourquoi ne pas dire qu’il ne pouvait pas être uniquement un homme moyen, dans la mesure où il ne cessait pas un seul instant d’étudier la Torah?
F) Le Tanya, après avoir rapporté les mots "tu ôtes la vie à tous", conclut la citation par "etc.". Qu’ajoute ici ce terme, puisque les propos d’Abbayé ont été intégralement cités? Et, s’il s’agit d’introduire une idée par allusion, pourquoi ne pas plutôt la préciser clairement, comme c’est le cas pour les autres questions?
En fait selon plusieurs versions, en particulier celles du Eïn Yaakov, celle de Rabbénou ‘Hananel et celle du Maharcha, Rabba fait la réponse suivante à la question posée par Abbayé: "Un homme sait lui-même s’il est un Juste". Ainsi, nul ne peut savoir ce qu’est réellement l’autre. Un homme ne peut être pleinement édifié que sur sa propre situation.
Le Tanya envisage qu’un Juste puisse être celui qui a plus de mérites que de fautes. Or, ceci est difficile à comprendre. Rabba savait qu’il n’interrompait pas son étude un seul instant. Abbayé, qui avait été élevé près de lui, en avait conscience également. Dès lors, comment comprendre les propos de Rabba, "un homme sait lui-même s’il est un Juste"? Lui et Abbayé n’avaient-ils pas vu de leurs propres yeux que l’inverse était vrai?
L’Admour Hazaken ne précise pas tout cela clairement et l’on peut donner, à ce propos, les explications suivantes:
1. Cette version n’est pas certaine.
2. C’est bien, au final, cette question qui sera posée plus loin. Comment Rabba put-il faire l’erreur de se considérer comme un homme moyen?
Cette dernière explication est plus satisfaisante.
16 Chevat 5709,
Je vous salue et vous bénis,
Vous m’interrogez sur ce que rapporte le Tanya, au début du premier chapitre: "Rabba dit: Moi, par exemple, je suis un homme moyen". Comme vous me le demandez, je m’efforcerai de commenter ce passage, à mon humble avis:
A) Dans la version du Talmud que nous possédons, le Eïn Yaakov, le Yalkout Chimeoni sur le Psaume 36, les manuscrits du Talmud et du Eïn Yaakov qui sont cités par le Dikdoukeï Sofrim sur le traité Bera’hot 61b, le commentaire de Rabbénou ‘Hananel qui est mentionné dans les additifs du Otsar Hagaonim sur le traité Bera’hot, dans toutes ces références, le pluriel est employé, "nous sommes de hommes moyens".
Je n’ai, pour l’heure, pas trouvé quelqu’un d’autre que l’Admour Hazaken, citant cette version au singulier, si ce n’est, en allusion, dans le commentaire de Rachi, à cette même référence: "Si tu fais partie des hommes moyens", alors que le commentaire de Rabbénou ‘Hananel dit: "Si nous ne sommes nous-mêmes que des hommes moyens, tu ôtes la vie à tous".
B) Rachi explique, à cette référence: "Si tu fais partie des hommes moyens, c’est qu’il n’y a pas de Juste parfait dans le monde". A mon humble avis, l’explication que vous donnez de ces propos dans votre lettre est difficile à accepter.
Vous dites qu’il n’y aurait pas un seul Juste parfait dans le monde. Or, comment Abbayé pourrait-il trancher, comme une évidence, qu’il n’y avait pas un seul ami de Rabba qui soit plus grand que lui? Bien plus, il y avait, parmi ses collègues, Rav Zeïra, dont on vante le mérite, au traité Baba Metsya 85a. Par ailleurs, le discours ‘hassidique de Pourim 5708 explique que Rav Zeïra correspond à l’attribut de découverte intellectuelle et Rabba, à celui de l’analyse raisonnée.
Le traité Meguila 28a dit aussi que Rav Zeïra vécut très vieux. Et la fin du traité Bera’hot le compare à Rav Yossef, montrant la supériorité de celui qui, possédant d’immenses connaissances, est comparable au Sinaï. Selon le traité Pessa’him 113, Rav Yossef endura de nombreuses souffrances. La fin du traité Sotta rapporte qu’il était particulièrement humble. Le Séder Hadorot et Rabbénou Nissim, dans son commentaire du traité Kiddouchin, racontent qu’il perdit la vue du fait de sa crainte de D.ieu.
De plus, de nombreux Sages vivaient alors en Erets Israël, alors que Abbayé se trouvait à Babel. Comment pouvait-il donc adopter une position aussi tranchée? En effet, le propos d’Abbayé était bien simple, y compris d’après le commentaire de Rachi. Si Rabba et tous ceux qui se trouvaient au même niveau que lui étaient seulement des hommes moyens, qui pouvait se définir comme un Juste parfait?
C) Selon votre lettre, vous interprétez l’expression "tu ôtes la vie à tous" en soulignant que le Juste est le fondement du monde. S’il est absent de la terre, nul ne peut donc conserver la vie. Je ne sais pas pourquoi vous devez avancer une telle explication.
J’interprète ces mots au sens littéral. En effet, le traité Baba Metsya 92a emploie une même expression: "Issy ôte la vie à tous", ce qui veut dire, dans ce contexte, que tous les cultivateurs auront des ennuis avec lui. Il en est donc de même ici.
Mon père m’a donné une explication de ce passage, basée sur le traité Roch Hachana 8b: "Les Justes sont immédiatement scellés pour la vie". Or, s’il n’existe pas de Justes parfaits, cela veut dire qu’il n’en est ainsi pour personne!
On le comprendra bien d’après une interprétation que donne Rachi du Eïn Yaakov: "Tous sont ainsi tenus pour des impies", ce qui voudrait dire que, selon la même référence du traité Roch Hachana, tous "sont immédiatement scellés pour la mort"!
D) Les propos de Rachi, précédemment cités, "Il n’y a pas de Juste parfait dans le monde", semblent difficile à comprendre. Car, si Rabba est un homme moyen, il ne s’y trouve pas non plus de Juste imparfait. On peut donc l’expliquer en fonction de ce qui vient d’être dit. Rachi pense que le terme de Juste, au moins dans ce passage, désigne celui dont les bonnes actions sont plus nombreuses que les mauvaises, mais non l’homme qui ne possède pas du tout de mauvais penchant. Il dit, du reste, que "il est capable de le contenir".
Or, le Juste parfait est celui qui ne commet pas du tout de fautes. De ce point de vue, la différence entre un homme moyen et un Juste imparfait est très fine. Il est donc clair, pour Rachi, que l’on ne peut pas dire, à ce propos, "tu ôtes la vie à tous". Il explique, en conséquence, que Abbayé fait allusion à un Juste parfait, qui n’a jamais commis de fautes. Cette difficulté est ainsi résolue.
E) On peut se demander pourquoi l’Admour Hazaken reproduit également, dans le Tanya, les paroles d’Abbayé, "tu ôtes la vie à tous". La question qu’il pose ne porte-t-elle pas uniquement sur l’affirmation de Rabba, "Moi, par exemple, je suis un homme moyen".
En fait, il renforce, de cette manière, son interrogation. En effet, la Guemara s’interroge sur l’affirmation de Rabba, dont la grandeur est établie. Aussi, même si l’on considère que Rabba s’est trompé sur son propre compte, par modestie, comme l’explique le Maharcha, ou bien qu’il ne souhaitait pas révéler son véritable niveau, on peut encore s’interroger sur ce que dit Abbayé. Pourquoi se préoccuper du fait que Rabba ôte la vie aux autres créatures? Pourquoi ne pas dire qu’il ne pouvait pas être uniquement un homme moyen, dans la mesure où il ne cessait pas un seul instant d’étudier la Torah?
F) Le Tanya, après avoir rapporté les mots "tu ôtes la vie à tous", conclut la citation par "etc.". Qu’ajoute ici ce terme, puisque les propos d’Abbayé ont été intégralement cités? Et, s’il s’agit d’introduire une idée par allusion, pourquoi ne pas plutôt la préciser clairement, comme c’est le cas pour les autres questions?
En fait selon plusieurs versions, en particulier celles du Eïn Yaakov, celle de Rabbénou ‘Hananel et celle du Maharcha, Rabba fait la réponse suivante à la question posée par Abbayé: "Un homme sait lui-même s’il est un Juste". Ainsi, nul ne peut savoir ce qu’est réellement l’autre. Un homme ne peut être pleinement édifié que sur sa propre situation.
Le Tanya envisage qu’un Juste puisse être celui qui a plus de mérites que de fautes. Or, ceci est difficile à comprendre. Rabba savait qu’il n’interrompait pas son étude un seul instant. Abbayé, qui avait été élevé près de lui, en avait conscience également. Dès lors, comment comprendre les propos de Rabba, "un homme sait lui-même s’il est un Juste"? Lui et Abbayé n’avaient-ils pas vu de leurs propres yeux que l’inverse était vrai?
L’Admour Hazaken ne précise pas tout cela clairement et l’on peut donner, à ce propos, les explications suivantes:
1. Cette version n’est pas certaine.
2. C’est bien, au final, cette question qui sera posée plus loin. Comment Rabba put-il faire l’erreur de se considérer comme un homme moyen?
Cette dernière explication est plus satisfaisante.