Lettre n° 494
Par la grâce de D.ieu,
16 Sivan 5709,
Au distingué ‘Hassid qui craint D.ieu,
le Rav B. T.(1), le Cho’het,
Je vous salue et vous bénis,
J’ai reçu votre première lettre, il y a quelques temps et celle du 12 Sivan vient de me parvenir. Vous avez vous-même sans doute reçu ma réponse de la veille de Chavouot, à laquelle était joint le fascicule édité pour cette fête, que vous avez sûrement mis à la disposition du plus grand nombre.
J’espère aussi que vous vous engagerez dans l’action communautaire(2), en particulier pour ce qui concerne le Maamad(3) et l’instauration de cours publics de Torah. Vous commencerez et poursuivrez fructueusement ce que vous avez conclu à Paris.
Concernant votre installation dans un lieu nouveau, vous tirerez l’enseignement de ce que m’a dit, il y a quelques temps, mon beau-père, le Rabbi Chlita: "Après notre mariage, lorsque l’on a construit, pour nous, quelques pièces (dans la maison familiale, à Loubavitch), nous y avons avant tout fait venir une classe de petits garçons, qui y ont étudié la Torah".
En d’autres termes, c’est par la Torah et les Mitsvot que l’on peut obtenir la bénédiction. On sait qu’elles sont comparées non seulement à des réceptacles, mais aussi aux membres du corps, qui reçoivent la lumière et la vitalité spirituelle. Vous consulterez, à ce propos, le discours ‘hassidique de Chavouot au paragraphe un et les références qui y sont indiquées.
De même, le réceptacle de la Torah et des Mitsvot passe également par la Torah et les Mitsvot.
* * *
J’en viens à votre question. Vous me dites que vous avez perdu un jour avec votre voyage(4). Vous m’en demandez la raison et, en particulier, l’incidence que cela peut avoir sur le compte de l’Omer.
Les raisons en sont les suivantes:
A) La terre est ronde et non plate. Il en résulte que le soleil n’est pas aperçu, au même moment, dans tous les points du globe.
B) Le soleil se déplace de l’est vers l’ouest. Plus un point du globe est à l’est et plus le soleil s’y lèvera tôt, alors qu’il se lèvera plus tard, si l’on est à l’ouest. Nos Sages disent, au traité Roch Hachana 20b, et le Maor l’explique, que le soleil se levait, à Jérusalem, six heures plus tard qu’à Babel. Et le Zohar, tome 3, page 10a, distingue différentes zones de la terre, précisant que, lorsqu’il fait jour dans l’une, il fait nuit dans l’autre. Vous consulterez également le début du Chaar Hacollel.
C) En conséquence, si c’est, par exemple, à Jérusalem, le dimanche à midi, moment où le soleil se trouve au dessus des têtes, ce sera dimanche à dix huit heures, à Babel, qui se trouve à l’est de Jérusalem. A l’extrémité de la Sibérie, qui est à l’est de Babel, à la même distance qui sépare celle-ci de Jérusalem, il sera minuit, dans la nuit de dimanche à lundi.
A l’opposé, si l’on quitte Jérusalem par l’ouest, on parviendra en Amérique, distante de celle-ci à peu près comme Babel et là, il sera six heures du matin, lorsqu’à Jérusalem, il est midi. Si l’on poursuit sa route vers l’ouest, toujours d’une même distance, on parviendra en Sibérie, où il y aura six heures de moins.
Ainsi, en un même point du globe, selon que l’on y parvient par l’est ou par l’ouest, ce sera dimanche ou lundi.
Pour se libérer du doute, il faut déterminer l’endroit à partir duquel commence le compte des jours.
Or, là commence toute la difficulté. Les cieux et la terre sont ronds. Dans un globe, il n’y a pas de début et pas de fin. Dès lors, n’importe quel point du globe peut être celui où le compte commence.
Des grands de notre peuple ont discuté cette question, par exemple les responsa Bneï Tsion et le Yomam du Rav Tukatchinski. Trois avis sont énoncés sur le point où débutent les jours:
A) 90° à l’est de Jérusalem.
B) 145° à l’est de Jérusalem.
C) 180° à l’est de Jérusalem.
L’Australie, d’après ces deux derniers avis, se trouve à l’est de Jérusalem, conformément au calendrier en usage chez le peuple de ce pays. C’est donc le compte que vous devez adopter, à l’avenir et c’est ce que font les Juifs qui résident là-bas. Peut-être même en est-il ainsi selon le premier avis puisque, pour lui, la ligne de changement de date passe par le milieu de l’Australie. Mais, il n’est nul besoin d’approfondir cette opinion, puisqu’elle n’émane que d’un seul Sage.
Tout ce qui vient d’être dit concerne uniquement le compte des jours de la semaine ou du mois. Le compte de l’Omer, en revanche, dépend seulement du temps qui s’écoule et n’est donc pas concerné par cette analyse.
La question qui se pose est donc la suivante. Si quelqu’un traverse, pendant la période de l’Omer, la limite du temps, à laquelle on perd ou on ajoute un jour et s’il se conforme à l’usage de sa contrée de destination, il comptera, selon les cas, quarante huit ou cinquante jours. Comment peut-il donc compter l’Omer et, en conséquence, célébrer Chavouot, qui dépend de ce compte et non d’une date dans le mois?
Je n’ai, pour l’heure, trouvé aucune source qui traite du problème posé par le compte de l’Omer. Les quelques points qui suivent sont donc uniquement donnés à titre d’indications:
A) Dans le compte de l’Omer, tous les quarante neuf jours sont liés, constituant, de différents points de vue, une suite et une même entité. En conséquence, celui qui compte un jour se prépare, de cette façon, à compter également les quarante huit jours qui suivent. Et l’obligation en repose sur chaque personne et non sur l’endroit.
Ainsi, celui qui compte un jour s’engage à en compter encore quarante huit et non quarante sept ou quarante neuf. Car, le verset dit bien "sept semaines entières", pas plus et pas moins. Tout ceci, bien évidemment, ne s’applique pas à une date dans la semaine ou dans le mois.
B) A l’opposé, le compte de l’Omer est également lié aux jours du mois, par le fait que l’on devrait apporter l’offrande de l’Omer(5), si le Temple existait. Or, d’après la Hala’ha, c’est maintenant, par exemple, le 30 Nissan, là où vous vous trouvez et non le 29. Il faut donc compter le quinzième jour de l’Omer et non le quatorzième.
Il faut aussi envisager les deux comptes possibles, d’après l’homme ou d’après l’endroit. Faut-il privilégier l’homme et constater qu’en l’occurrence, il n’a pu compter que treize jours ou prendre comme critère les jours du mois?
Ou encore faut-il dire que le compte de l’Omer doit être le même pour tous les Juifs. Ou peut-être le compte peut-il être personnel, dans la mesure où il incombe à chacun. On peut penser qu’il suffit de dire "ce jour est le quinzième de l’Omer", ce qui est effectivement le cas d’après le calendrier. Ou alors, ces quinze jours doivent-ils nécessairement avoir été mentionnés dans son compte personnel?
Les deux raisonnements étant envisageables, vous tiendrez les deux comptes à la fois et les direz donc sans bénédiction, surtout d’après l’avis des responsa Dvar Avraham, tome 1, chapitre 34, selon lesquels le compte de l’Omer doit être certain et ne peut nullement être fait au bénéfice du doute, bien que ce ne soit pas l’opinion du Maor, à la fin du traité Pessa’him, lequel développe une autre explication sur la raison pour laquelle on ne tient pas deux comptes, à cause du doute sur la fixation de la fête(6).
* * *
Mais, tout ceci nous conduit à poser une autre question. Comment célébrerez-vous la fête de Chavouot? A mon humble avis, et bien que cette idée soit nouvelle, vous devez le faire au lendemain des Juifs d’Australie, conformément au premier avis, puisque Chavouot dépend seulement du compte de l’Omer. Ce jour sera, pour vous, le premier, au bénéfice du doute, et non en fonction de la coutume, selon ce premier avis.
Bien plus, le premier jour de la fête, pour eux, est également au bénéfice du doute, puisque la Hala’ha peut retenir le second avis. Il n’y a donc pas de certitude. Il vous faut donc compter quarante neuf jours. Le premier jour de la fête, vous mettrez les Tefilin, conformément au Choul’han Arou’h Ora’h ‘Haïm, au chapitre 31. Durant ces deux jours, vous ne monterez pas à la Torah.
Puis, j’ai pensé qu’il y a encore une troisième possibilité. Les deux définitions de l’Omer sont exactes et Chavouot doit donc être le cinquantième jour, selon le premier compte et selon le deuxième. En effet, ces raisonnements se valent et il faut donc retenir l’un et l’autre. Il y aura donc deux jours de Chavouot et ce qui fait son apparition le premier jour(7) est interdit le second. Pour dire la bénédiction de Chéhé’héyanou, il faudra prendre un fruit nouveau. Tous les avis en conviendront, en pareil cas, y compris ceux qui dispensent de le faire, le second soir de Roch Hachana.
D’après cet avis, le compte de l’Omer peut être dit avec une bénédiction, puisqu’il n’est pas fait au bénéfice du doute. Il est certain, en effet, que se sont écoulés quatorze jours d’après le premier compte, quinze d’après le second. Et, il est bien une Mitsva de tenir ces deux comptes à la fois.
Dans ce cas, une seule bénédiction suffit pour les deux comptes, qui ne sont bien qu’une seule et même Mitsva, au même titre que les Tefilin du bras et de la tête. Il semble que le compte le plus faible doit être fait le premier, comme on le dit à propos de Retsé et Yaalé Veyavo, lorsque la conclusion du jour de fête est un Chabbat(8). Si l’on est passé outre à cette disposition, on a tout de même accompli la Mitsva, dans la mesure où il s’agit de deux comptes indépendants l’un de l’autre.
On ne peut penser que l’on transgresse ainsi l’interdiction de constituer des groupes(9) qui est, selon certains, un Précepte de la Torah, comme l’indique le Sdeï ‘Hémed. Il n’y a pas là non plus de manquement à l’honneur dû à la fête. Car, tout cela est discret, sans ostentation. Cela diffère peu de la situation de quelqu’un d’Erets Israël qui quitte ce pays(10) ou de quelqu’un qui met les Tefilin pendant ‘Hol Hamoed(11).
On pourrait considérer que vous devriez respecter un troisième jour de fête. En effet, la Hala’ha retient peut être le premier avis et le second jour de fête, pour vous, est le lendemain de la fête, pour les Juifs d’Australie.
Mais, ce n’est pas le cas et l’on peut l’établir simplement. Le second jour de Yom Tov, pour nous qui savons déterminer le cycle lunaire, n’est pas fixé au bénéfice du doute, mais a pour but de ne pas modifier la coutume de nos ancêtres. Or, si nos ancêtres avaient vécu en Australie, ils n’auraient eux-mêmes respecté que deux jours de fête. Vous n’avez donc pas l’obligation d’en ajouter un troisième.
Le Tour Choul’han Arou’h Ora’h ‘Haïm, chapitre 624 et d’autres textes bâtissent le même raisonnement pour celui qui désire jeûner, à Yom Kippour, pendant quarante huit heures(12).
* * *
On peut penser que ces doutes et ces précautions concernent aussi celui qui traverse la ligne de changement de date pendant ‘Hol Hamoéd Pessa’h ou Soukkot et doit célébrer Chevii Chel Pessa’h ou Chemini Atséret, lesquels dépendent également de la fixation du premier jour de Pessa’h ou de Soukkot et non de la date dans le mois.
Une distinction doit, cependant, être faite, pour ce qui concerne ces fêtes, car le verset énonce également leur date dans le mois, ainsi qu’il est dit (Chemot 12, 18): "Jusqu’au vingt et un du mois, au soir". Bien plus, il n’est pas question de "semaines entières" à propos de Pessa’h et de Soukkot. Aussi, si l’on se trouve dans un endroit où est célébré Chevii Chel Pessa’h ou Chemini Atséret, on n’a pas à se préoccuper du fait que l’on a ajouté ou retranché un jour, tout comme on ne le fait pas, d’un Chabbat à l’autre.
Tout cela doit encore être approfondi.
* * *
Un point doit également être souligné. Les explications qui viennent d’être données, conduisant à ajouter ou à supprimer un jour, lorsque l’on traverse la ligne du changement de date, d’après les différents avis et que l’on doit célébrer le Chabbat ou la fête, en fonction des jours du mois, ne s’appliquent qu’en un endroit habité. En revanche, cette analyse ne concerne pas ceux qui se trouvent dans un bateau, lorsqu’ils traversent cette ligne. Après l’avoir fait et jusqu’à leur arrivée, ils doivent, au bénéfice du doute, respecter les deux jours.
De même, il faut encore préciser le statut de ceux qui résident en Alaska, puisque la ligne de changement de date passe par le milieu de cette région. Or, il est difficile d’imaginer que, dans une même rue, ce soit Chabbat d’un côté et dimanche de l’autre. Ce serait inconcevable. Vous consulterez, à ce propos, le traité Erouvin 76a.
Ma réponse a été retardée jusqu’à maintenant du fait de mes nombreuses activités. Les fascicules et les publications que vous avez commandés vous seront envoyés et l’on vous dira également ce qu’il vous en coûtera et la manière de vous acquitter de ce paiement. Vous vous chargerez sûrement de diffuser ces livres dans votre pays, où pratiquement rien n’a été fait, dans ce domaine.
Vous m’interrogez sur le passage suivant du début du chapitre 5 du Tanya: "L’intellect saisit et le concept est saisi". N’y a-t-il pas là une répétition et qu’en déduire?
Je ne connais pas, pour l’heure, de discours ‘hassidique expliquant cela. A mon humble avis, on peut, cependant, avancer les explications suivantes:
A) Même si cette précision n’apporte rien de plus, le Tanya l’énonce clairement afin de souligner la conclusion, l’unité parfaite créée entre l’homme et D.ieu grâce à l’étude de la Torah.
B) De plus, formuler pareille affirmation à propos de l’étude de la Torah est véritablement une idée nouvelle. En effet, même celui dont l’étude n’est pas consacrée au Nom de D.ieu, même celui qui est désigné par le verset "D.ieu dit à l’impie: pourquoi étudies-tu Mes Lois" et pour lequel la Torah est "un poison mortel", peut, malgré tout cela, saisir, par son intellect et obtenir que le concept soit saisi, au point de le confondre à sa chair et à son sang. Vous consulterez, à ce propos, les lois de l’étude de la Torah, de l’Admour Hazaken, chapitre 3, paragraphe 4.
Je conclus en vous souhaitant tout le bien et en saluant les vôtres, en particulier monsieur Feiglin et les membres de sa famille.
M. Schneerson,
Directeur du comité exécutif(13),
Notes
(1) Le Rav Betsalel Wilshanski, qui quitta Paris en Iyar 5709 pour s’installer en Australie. Voir la lettre n°437.
(2) En Australie.
(3) Voir, à ce propos, la lettre n°375.
(4) En parcourant les fuseaux horaires, de la France vers l’Australie.
(5) Une mesure d’orge.
(6) La véritable fête de Pessa’h peut être le premier ou le second jour. Le compte de l’Omer pourrait donc commencer le second ou le troisième jour et cette incertitude, peut demeurer pendant toute la période.
(7) Par exemple un oeuf pondu en ce jour.
(8) Lorsque l’on commence un repas le vendredi, jour de fête et qu’on le termine pendant le Chabbat, on dit, dans la bénédiction après le repas, d’abord Retsé, paragraphe rajouté pour le Chabbat, puis Yaalé Veyavo, paragraphe rajouté pour la fête.
(9) Chacun fêtant Chavouot selon son propre compte, remettant ainsi en cause l’unité de la communauté.
(10) Pour une fête dont il ne célèbre qu’un jour, alors que les autres Juifs en font deux.
(11) Et se trouvent dans une communauté où on ne les met pas.
(12) Au bénéfice du doute, comme pour toutes les autres fêtes.
(13) Du Merkaz Leïnyaneï ‘Hinou’h.
16 Sivan 5709,
Au distingué ‘Hassid qui craint D.ieu,
le Rav B. T.(1), le Cho’het,
Je vous salue et vous bénis,
J’ai reçu votre première lettre, il y a quelques temps et celle du 12 Sivan vient de me parvenir. Vous avez vous-même sans doute reçu ma réponse de la veille de Chavouot, à laquelle était joint le fascicule édité pour cette fête, que vous avez sûrement mis à la disposition du plus grand nombre.
J’espère aussi que vous vous engagerez dans l’action communautaire(2), en particulier pour ce qui concerne le Maamad(3) et l’instauration de cours publics de Torah. Vous commencerez et poursuivrez fructueusement ce que vous avez conclu à Paris.
Concernant votre installation dans un lieu nouveau, vous tirerez l’enseignement de ce que m’a dit, il y a quelques temps, mon beau-père, le Rabbi Chlita: "Après notre mariage, lorsque l’on a construit, pour nous, quelques pièces (dans la maison familiale, à Loubavitch), nous y avons avant tout fait venir une classe de petits garçons, qui y ont étudié la Torah".
En d’autres termes, c’est par la Torah et les Mitsvot que l’on peut obtenir la bénédiction. On sait qu’elles sont comparées non seulement à des réceptacles, mais aussi aux membres du corps, qui reçoivent la lumière et la vitalité spirituelle. Vous consulterez, à ce propos, le discours ‘hassidique de Chavouot au paragraphe un et les références qui y sont indiquées.
De même, le réceptacle de la Torah et des Mitsvot passe également par la Torah et les Mitsvot.
* * *
J’en viens à votre question. Vous me dites que vous avez perdu un jour avec votre voyage(4). Vous m’en demandez la raison et, en particulier, l’incidence que cela peut avoir sur le compte de l’Omer.
Les raisons en sont les suivantes:
A) La terre est ronde et non plate. Il en résulte que le soleil n’est pas aperçu, au même moment, dans tous les points du globe.
B) Le soleil se déplace de l’est vers l’ouest. Plus un point du globe est à l’est et plus le soleil s’y lèvera tôt, alors qu’il se lèvera plus tard, si l’on est à l’ouest. Nos Sages disent, au traité Roch Hachana 20b, et le Maor l’explique, que le soleil se levait, à Jérusalem, six heures plus tard qu’à Babel. Et le Zohar, tome 3, page 10a, distingue différentes zones de la terre, précisant que, lorsqu’il fait jour dans l’une, il fait nuit dans l’autre. Vous consulterez également le début du Chaar Hacollel.
C) En conséquence, si c’est, par exemple, à Jérusalem, le dimanche à midi, moment où le soleil se trouve au dessus des têtes, ce sera dimanche à dix huit heures, à Babel, qui se trouve à l’est de Jérusalem. A l’extrémité de la Sibérie, qui est à l’est de Babel, à la même distance qui sépare celle-ci de Jérusalem, il sera minuit, dans la nuit de dimanche à lundi.
A l’opposé, si l’on quitte Jérusalem par l’ouest, on parviendra en Amérique, distante de celle-ci à peu près comme Babel et là, il sera six heures du matin, lorsqu’à Jérusalem, il est midi. Si l’on poursuit sa route vers l’ouest, toujours d’une même distance, on parviendra en Sibérie, où il y aura six heures de moins.
Ainsi, en un même point du globe, selon que l’on y parvient par l’est ou par l’ouest, ce sera dimanche ou lundi.
Pour se libérer du doute, il faut déterminer l’endroit à partir duquel commence le compte des jours.
Or, là commence toute la difficulté. Les cieux et la terre sont ronds. Dans un globe, il n’y a pas de début et pas de fin. Dès lors, n’importe quel point du globe peut être celui où le compte commence.
Des grands de notre peuple ont discuté cette question, par exemple les responsa Bneï Tsion et le Yomam du Rav Tukatchinski. Trois avis sont énoncés sur le point où débutent les jours:
A) 90° à l’est de Jérusalem.
B) 145° à l’est de Jérusalem.
C) 180° à l’est de Jérusalem.
L’Australie, d’après ces deux derniers avis, se trouve à l’est de Jérusalem, conformément au calendrier en usage chez le peuple de ce pays. C’est donc le compte que vous devez adopter, à l’avenir et c’est ce que font les Juifs qui résident là-bas. Peut-être même en est-il ainsi selon le premier avis puisque, pour lui, la ligne de changement de date passe par le milieu de l’Australie. Mais, il n’est nul besoin d’approfondir cette opinion, puisqu’elle n’émane que d’un seul Sage.
Tout ce qui vient d’être dit concerne uniquement le compte des jours de la semaine ou du mois. Le compte de l’Omer, en revanche, dépend seulement du temps qui s’écoule et n’est donc pas concerné par cette analyse.
La question qui se pose est donc la suivante. Si quelqu’un traverse, pendant la période de l’Omer, la limite du temps, à laquelle on perd ou on ajoute un jour et s’il se conforme à l’usage de sa contrée de destination, il comptera, selon les cas, quarante huit ou cinquante jours. Comment peut-il donc compter l’Omer et, en conséquence, célébrer Chavouot, qui dépend de ce compte et non d’une date dans le mois?
Je n’ai, pour l’heure, trouvé aucune source qui traite du problème posé par le compte de l’Omer. Les quelques points qui suivent sont donc uniquement donnés à titre d’indications:
A) Dans le compte de l’Omer, tous les quarante neuf jours sont liés, constituant, de différents points de vue, une suite et une même entité. En conséquence, celui qui compte un jour se prépare, de cette façon, à compter également les quarante huit jours qui suivent. Et l’obligation en repose sur chaque personne et non sur l’endroit.
Ainsi, celui qui compte un jour s’engage à en compter encore quarante huit et non quarante sept ou quarante neuf. Car, le verset dit bien "sept semaines entières", pas plus et pas moins. Tout ceci, bien évidemment, ne s’applique pas à une date dans la semaine ou dans le mois.
B) A l’opposé, le compte de l’Omer est également lié aux jours du mois, par le fait que l’on devrait apporter l’offrande de l’Omer(5), si le Temple existait. Or, d’après la Hala’ha, c’est maintenant, par exemple, le 30 Nissan, là où vous vous trouvez et non le 29. Il faut donc compter le quinzième jour de l’Omer et non le quatorzième.
Il faut aussi envisager les deux comptes possibles, d’après l’homme ou d’après l’endroit. Faut-il privilégier l’homme et constater qu’en l’occurrence, il n’a pu compter que treize jours ou prendre comme critère les jours du mois?
Ou encore faut-il dire que le compte de l’Omer doit être le même pour tous les Juifs. Ou peut-être le compte peut-il être personnel, dans la mesure où il incombe à chacun. On peut penser qu’il suffit de dire "ce jour est le quinzième de l’Omer", ce qui est effectivement le cas d’après le calendrier. Ou alors, ces quinze jours doivent-ils nécessairement avoir été mentionnés dans son compte personnel?
Les deux raisonnements étant envisageables, vous tiendrez les deux comptes à la fois et les direz donc sans bénédiction, surtout d’après l’avis des responsa Dvar Avraham, tome 1, chapitre 34, selon lesquels le compte de l’Omer doit être certain et ne peut nullement être fait au bénéfice du doute, bien que ce ne soit pas l’opinion du Maor, à la fin du traité Pessa’him, lequel développe une autre explication sur la raison pour laquelle on ne tient pas deux comptes, à cause du doute sur la fixation de la fête(6).
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Mais, tout ceci nous conduit à poser une autre question. Comment célébrerez-vous la fête de Chavouot? A mon humble avis, et bien que cette idée soit nouvelle, vous devez le faire au lendemain des Juifs d’Australie, conformément au premier avis, puisque Chavouot dépend seulement du compte de l’Omer. Ce jour sera, pour vous, le premier, au bénéfice du doute, et non en fonction de la coutume, selon ce premier avis.
Bien plus, le premier jour de la fête, pour eux, est également au bénéfice du doute, puisque la Hala’ha peut retenir le second avis. Il n’y a donc pas de certitude. Il vous faut donc compter quarante neuf jours. Le premier jour de la fête, vous mettrez les Tefilin, conformément au Choul’han Arou’h Ora’h ‘Haïm, au chapitre 31. Durant ces deux jours, vous ne monterez pas à la Torah.
Puis, j’ai pensé qu’il y a encore une troisième possibilité. Les deux définitions de l’Omer sont exactes et Chavouot doit donc être le cinquantième jour, selon le premier compte et selon le deuxième. En effet, ces raisonnements se valent et il faut donc retenir l’un et l’autre. Il y aura donc deux jours de Chavouot et ce qui fait son apparition le premier jour(7) est interdit le second. Pour dire la bénédiction de Chéhé’héyanou, il faudra prendre un fruit nouveau. Tous les avis en conviendront, en pareil cas, y compris ceux qui dispensent de le faire, le second soir de Roch Hachana.
D’après cet avis, le compte de l’Omer peut être dit avec une bénédiction, puisqu’il n’est pas fait au bénéfice du doute. Il est certain, en effet, que se sont écoulés quatorze jours d’après le premier compte, quinze d’après le second. Et, il est bien une Mitsva de tenir ces deux comptes à la fois.
Dans ce cas, une seule bénédiction suffit pour les deux comptes, qui ne sont bien qu’une seule et même Mitsva, au même titre que les Tefilin du bras et de la tête. Il semble que le compte le plus faible doit être fait le premier, comme on le dit à propos de Retsé et Yaalé Veyavo, lorsque la conclusion du jour de fête est un Chabbat(8). Si l’on est passé outre à cette disposition, on a tout de même accompli la Mitsva, dans la mesure où il s’agit de deux comptes indépendants l’un de l’autre.
On ne peut penser que l’on transgresse ainsi l’interdiction de constituer des groupes(9) qui est, selon certains, un Précepte de la Torah, comme l’indique le Sdeï ‘Hémed. Il n’y a pas là non plus de manquement à l’honneur dû à la fête. Car, tout cela est discret, sans ostentation. Cela diffère peu de la situation de quelqu’un d’Erets Israël qui quitte ce pays(10) ou de quelqu’un qui met les Tefilin pendant ‘Hol Hamoed(11).
On pourrait considérer que vous devriez respecter un troisième jour de fête. En effet, la Hala’ha retient peut être le premier avis et le second jour de fête, pour vous, est le lendemain de la fête, pour les Juifs d’Australie.
Mais, ce n’est pas le cas et l’on peut l’établir simplement. Le second jour de Yom Tov, pour nous qui savons déterminer le cycle lunaire, n’est pas fixé au bénéfice du doute, mais a pour but de ne pas modifier la coutume de nos ancêtres. Or, si nos ancêtres avaient vécu en Australie, ils n’auraient eux-mêmes respecté que deux jours de fête. Vous n’avez donc pas l’obligation d’en ajouter un troisième.
Le Tour Choul’han Arou’h Ora’h ‘Haïm, chapitre 624 et d’autres textes bâtissent le même raisonnement pour celui qui désire jeûner, à Yom Kippour, pendant quarante huit heures(12).
* * *
On peut penser que ces doutes et ces précautions concernent aussi celui qui traverse la ligne de changement de date pendant ‘Hol Hamoéd Pessa’h ou Soukkot et doit célébrer Chevii Chel Pessa’h ou Chemini Atséret, lesquels dépendent également de la fixation du premier jour de Pessa’h ou de Soukkot et non de la date dans le mois.
Une distinction doit, cependant, être faite, pour ce qui concerne ces fêtes, car le verset énonce également leur date dans le mois, ainsi qu’il est dit (Chemot 12, 18): "Jusqu’au vingt et un du mois, au soir". Bien plus, il n’est pas question de "semaines entières" à propos de Pessa’h et de Soukkot. Aussi, si l’on se trouve dans un endroit où est célébré Chevii Chel Pessa’h ou Chemini Atséret, on n’a pas à se préoccuper du fait que l’on a ajouté ou retranché un jour, tout comme on ne le fait pas, d’un Chabbat à l’autre.
Tout cela doit encore être approfondi.
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Un point doit également être souligné. Les explications qui viennent d’être données, conduisant à ajouter ou à supprimer un jour, lorsque l’on traverse la ligne du changement de date, d’après les différents avis et que l’on doit célébrer le Chabbat ou la fête, en fonction des jours du mois, ne s’appliquent qu’en un endroit habité. En revanche, cette analyse ne concerne pas ceux qui se trouvent dans un bateau, lorsqu’ils traversent cette ligne. Après l’avoir fait et jusqu’à leur arrivée, ils doivent, au bénéfice du doute, respecter les deux jours.
De même, il faut encore préciser le statut de ceux qui résident en Alaska, puisque la ligne de changement de date passe par le milieu de cette région. Or, il est difficile d’imaginer que, dans une même rue, ce soit Chabbat d’un côté et dimanche de l’autre. Ce serait inconcevable. Vous consulterez, à ce propos, le traité Erouvin 76a.
Ma réponse a été retardée jusqu’à maintenant du fait de mes nombreuses activités. Les fascicules et les publications que vous avez commandés vous seront envoyés et l’on vous dira également ce qu’il vous en coûtera et la manière de vous acquitter de ce paiement. Vous vous chargerez sûrement de diffuser ces livres dans votre pays, où pratiquement rien n’a été fait, dans ce domaine.
Vous m’interrogez sur le passage suivant du début du chapitre 5 du Tanya: "L’intellect saisit et le concept est saisi". N’y a-t-il pas là une répétition et qu’en déduire?
Je ne connais pas, pour l’heure, de discours ‘hassidique expliquant cela. A mon humble avis, on peut, cependant, avancer les explications suivantes:
A) Même si cette précision n’apporte rien de plus, le Tanya l’énonce clairement afin de souligner la conclusion, l’unité parfaite créée entre l’homme et D.ieu grâce à l’étude de la Torah.
B) De plus, formuler pareille affirmation à propos de l’étude de la Torah est véritablement une idée nouvelle. En effet, même celui dont l’étude n’est pas consacrée au Nom de D.ieu, même celui qui est désigné par le verset "D.ieu dit à l’impie: pourquoi étudies-tu Mes Lois" et pour lequel la Torah est "un poison mortel", peut, malgré tout cela, saisir, par son intellect et obtenir que le concept soit saisi, au point de le confondre à sa chair et à son sang. Vous consulterez, à ce propos, les lois de l’étude de la Torah, de l’Admour Hazaken, chapitre 3, paragraphe 4.
Je conclus en vous souhaitant tout le bien et en saluant les vôtres, en particulier monsieur Feiglin et les membres de sa famille.
M. Schneerson,
Directeur du comité exécutif(13),
Notes
(1) Le Rav Betsalel Wilshanski, qui quitta Paris en Iyar 5709 pour s’installer en Australie. Voir la lettre n°437.
(2) En Australie.
(3) Voir, à ce propos, la lettre n°375.
(4) En parcourant les fuseaux horaires, de la France vers l’Australie.
(5) Une mesure d’orge.
(6) La véritable fête de Pessa’h peut être le premier ou le second jour. Le compte de l’Omer pourrait donc commencer le second ou le troisième jour et cette incertitude, peut demeurer pendant toute la période.
(7) Par exemple un oeuf pondu en ce jour.
(8) Lorsque l’on commence un repas le vendredi, jour de fête et qu’on le termine pendant le Chabbat, on dit, dans la bénédiction après le repas, d’abord Retsé, paragraphe rajouté pour le Chabbat, puis Yaalé Veyavo, paragraphe rajouté pour la fête.
(9) Chacun fêtant Chavouot selon son propre compte, remettant ainsi en cause l’unité de la communauté.
(10) Pour une fête dont il ne célèbre qu’un jour, alors que les autres Juifs en font deux.
(11) Et se trouvent dans une communauté où on ne les met pas.
(12) Au bénéfice du doute, comme pour toutes les autres fêtes.
(13) Du Merkaz Leïnyaneï ‘Hinou’h.