Lettre n° 504
Par la grâce de D.ieu,
18 Tamouz 5709,
Au grand Rav, éminent érudit, ‘Hassid distingué qui craintD.ieu, le Rav C. Y.(1),
Je vous salue et vous bénis,
J’ai bien reçu votre lettre. Je viens de recevoir également la seconde édition de votre livre Moadim Bahala’ha(2). Comme je l’ai déjà dit, ce livre, outre son contenu, est précieux également par les larges références qu’il donne abondamment, en bas de page.
Vous vous interrogez sur notre coutume, rapportée dans le Hayom Yom, à la date du 1er Tichri 5704: "Le Yehi Ratson qui est prononcé sur la pomme(3) doit être dit après la bénédiction et avant de la manger".
A chaque Roch Hachana, j’ai vu mon beau-père, le Rabbi Chlita, pratiquer ainsi. J’ai lui ai demandé si cet usage concernait les maîtres de la ‘Hassidout, la famille du Rabbi ou chacun. Il m’a répondu que tous devaient l’adopter et que je pouvais le diffuser. C’est la raison pour laquelle je l’ai mentionné dans le Hayom Yom.
Il ne m’a pas dit la raison du changement de coutume, ainsi introduit, par rapport au Choul’han Arou’h de l’Admour Hazaken, mais il m’a précisé que le Rabbi(4) en faisait de même.
Il en est de même pour une autre pratique, également mentionnée dans le Hayom Yom, qui me semble, néanmoins, présenter un caractère beaucoup plus novateur. Il y est dit que la bénédiction, lors de l’allumage des bougies(5), se conclut par Chel Yom Hazikaron, du jour du souvenir. Mon beau-père, le Rabbi Chlita m’a rapporté, à ce propos, une discussion entre le Rav Rafaelovitch, de Krementchug et le Rabbi(4), qui lui a affirmé que ce texte était prononcé, dans sa famille.
* * *
Il me semble que l’on peut avancer l’explication suivante. Le Maguen Avraham lui-même dit qu’a priori, il faut dire le Yehi Ratson après avoir mangé la pomme, mais il concède que, si on l’a fait avant, il ne s’agit pas d’une interruption. Il cite même la possibilité de le faire a priori, selon le Maagaleï Tsédek. Le Sdeï ‘Hémed le dit aussi, citant le ‘Hemdat Yamim, dont je ne dispose pas, pas plus que du Maagaleï Tsédek.
Certes, l’Admour Hazaken adopte, dans son Choul’han Arou’h, l’avis du Maguen Avraham, mais, de nombreuses fois, il revient sur ce qu’il explique dans son Choul’han Arou’h, comme le prouve son Sidour et, en l’occurrence, l’habitude de la maison du Rabbi.
Les responsa Divreï Ne’hemya expliquent que, dans son Choul’han Arou’h, "il s’efforça de ne pas contredire les derniers Sages, en particulier le Maguen Avraham. Puis, à la fin de sa vie, il parvint à une grande sagesse et put alors s’opposer à eux, allant jusqu’à permettre ce qu’ils n’avaient pu autoriser". Et l’on sait qu’il dit lui-même avoir regretté de s’en être systématiquement remis au Maguen Avraham.
Il est dit, au début du Chaar Hacollel que, lorsque la Hala’ha n’est pas tranchée, l’Admour Hazaken adopte, dans le Choul’han Arou’h, l’avis des Décisionnaires et dans son Sidour, rédigé ultérieurement, celui des Sages de la Kabbala. On peut en dire de même pour ce qui fait l’objet de notre propos.
En effet, le Sdeï ‘Hémed donne une raison spirituelle pour laquelle le Yehi Ratson doit d’abord être récité. Bien plus, pour le Maguen Avraham, c’est seulement a priori qu’il faut adopter la position inverse et l’on peut, à ce propos, s’interroger sur la formulation du Choul’han Arou’h de l’Admour Hazaken. Or, cette raison justifie qu’il soit permis d’agir ainsi.
* * *
A mon avis, il y a une raison simple et évidente, basée sur la partie révélée de la Torah, justifiant que le Yehi Ratson soit dit avant de manger le fruit. Il doit, en effet, être le plus proche possible de la bénédiction du fruit, "Qui crée le fruit de l’arbre", de sorte qu’elle le concerne également(6). C’est la raison pour laquelle, selon le traité Pessa’him 104b, une bénédiction qui fait suite à une autre n’est pas introduite par le mot Barou’h, béni(7).
Il est dit du Yehi Ratson qui introduit la prière du voyage, laquelle est bien définie comme une bénédiction, qu’il est bon de la rapprocher d’une autre bénédiction(8), afin qu’elle commence également par Barou’h, comme le dit le Choul’han Arou’h de l’Admour Hazaken Ora’h ‘Haïm, chapitre 110, paragraphe 7 et également chapitre 6, paragraphe 7.
Combien plus doit-il donc en être ainsi pour ce Yehi Ratson(9), qui doit être rapproché de la bénédiction. Bien plus, il s’agit, en l’occurrence, d’une pomme douce, illustrant précisément ce qui fait l’objet de ce Yehi Ratson(10), lui apportant ainsi de la vigueur et de la force.
En effet, nous n’avons pas la possibilité d’ajouter de nouvelles bénédictions à celles qui ont été introduites par le Talmud et les premiers Sages. En conséquence, ce Yehi Ratson a été rapproché d’une bénédiction, afin de lui en conférer la force(11). Puisque l’on ne peut faire autrement(12), on peut considérer qu’il y a bien là une situation de force majeure.
Une autre raison, accessoire, justifie que le Yehi Ratson soit dit le plus tôt possible. En effet, la pomme est mangée afin d’être de bonne augure. Il faut donc se préserver de tout ce qui pourrait aller à l’encontre de ce bon signe(13). En pareil cas, nos Sages conseillent, au traité Bera’hot 56b, de se lever tôt avant de penser à un autre verset(14).
Il n’est pas possible non plus de dire le Yehi Ratson avant la bénédiction sur le fruit, tout comme on ne dit pas la bénédiction sur la Soukka avant celle du pain(15), conformément au Choul’han Arou’h, à la fin du chapitre 643.
Combien plus en est-il ainsi pour ce qui fait l’objet de notre propos. On ne doit donc pas anticiper ce Yehi Ratson, d’autant que ceci conduirait, en outre, à formuler ses propres besoins avant de louer D.ieu(16).
Les explications qui viennent d’être données peuvent être renforcées par le fait qu’un comportement particulièrement scrupuleux est nécessaire, en ce jour du jugement, comme l’établit le Choul’han Arou’h de l’Admour Hazaken, chapitre 582, paragraphe 7. Ceci concerne également des comportements qui ne soulèveraient pas d’objection, pendant le reste de l’année(17).
* * *
Vous me posez également la question suivante. Même si l’on admet, pour une raison quelconque, que le Yehi Ratson est dit avant que l’on mange le fruit, pourquoi ne pas dire la bénédiction, goûter un peu de ce fruit, dire le Yehi Ratson, puis en manger encore?
Le Sdeï ‘Hémed fait état de cette position de compromis, citant les responsa Ora’h ‘Haïm, à la fin du chapitre 3 et le Maamar Morde’haï; mais je ne possède pas ces livres.
Citant d’autres ouvrages, le Sdeï ‘Hémed propose également une autre solution. On peut réciter la bénédiction sur un autre fruit, le goûter, puis dire le Yehi Ratson et manger la pomme. Mais, d’après ce qui a été dit auparavant, ceci ne serait d’aucune utilité. Nous avons vu, en effet, que la bénédiction récitée sur le fruit doit être la plus proche possible du Yehi Ratson.
On peut ainsi justifier la pratique de la maison du Rabbi et de tous les ‘Hassidim.
Cette manière de procéder permet également de justifier la formulation de l’Admour Hazaken, dans son Sidour. Evoquant le fait de manger la pomme, il dit, en effet:
"Il faut réciter tout d’abord la bénédiction "Béni sois-Tu, Eternel... Qui crée le fruit de l’arbre", puis dire" le Yehi Ratson".
Or, l’expression "tout d’abord" n’est-elle pas superflue ici?
En fait, en fonction de ce qui a été expliqué auparavant, on peut découvrir ici une idée nouvelle. Il est effectivement nécessaire de dire "tout d’abord" la bénédiction, car on aurait pu penser que celle-ci devait être récitée uniquement après le Yehi Ratson. En outre, on souligne ainsi que la bénédiction est l’introduction du Yehi Ratson(18), qui peut être prononcé seulement lorsqu’elle a été dite.
* * *
Mais, une petite difficulté subsiste. La position de compromis que vous proposez, au même titre que les ouvrages précédemment cités, celle qui consiste à goûter du fruit, à dire le Yehi Ratson, puis à en manger encore, est effectivement évoquée à la fin du chapitre 643(19), à propos de la bénédiction relative au séjour dans la Soukka, tout au moins pour celui qui désire accomplir la Mitsva de la meilleure façon.
Bien plus, pour faire la bénédiction de la Soukka, il faut consommer une quantité d’aliment de la taille d’un oeuf(20), alors qu’aucune quantité n’est spécifiée à propos de la pomme sur laquelle est récitée le Yehi Ratson. Dès lors, pourquoi ne pas adopter la même attitude?
* * *
Vous trouverez ci-joint nos dernières publications, le fascicule édité à l’occasion de la fête de la libération(21) et le onzième fascicule(22), dont l’impression, pour une quelconque raison, a été retardée jusqu’à maintenant.
Dans ma première note à ce fascicule(21), je n’ai pas reproduit ce que vous dites, à la page 68 de votre livre, au nom du Rav de Ragatchov, concernant la décision du Rambam qui semble contredire les Tossafot, au traité Baba Metsya 58b. Le Rambam dit, en effet, que ceux qui accèdent à la Techouva sont plus élevés que les Justes parfaits. Cette affirmation figure dans le traité Kiddouchin 49b, selon lequel celui qui épouse une femme "à la condition que je sois un Juste parfait" est considéré comme ayant contracté une union valable, au bénéfice du doute, même s’il est un impie, car il peut avoir eu une pensée de Techouva. On peut en conclure que celui qui accède à la Techouva dépasse le Juste parfait, car "dans deux cents pièces, cent pièces sont incluses ”.
Je n’ai pas cité tout cela car j’en suis surpris. En effet, l’union n’est pas valable lorsque la femme a été abusée, même si l’homme se révèle être meilleur que ce qu’il prétendait être. Bien plus, ce qui est meilleur par référence à la récompense et à la punition est moins bon du point de vue de la nature humaine, car celui qui, étant parvenu à la Techouva, connaît de nouveau la chute, se trouvera dans une situation particulièrement basse, comme le dit le Likouteï Torah, à la Parachat Vaét’hanan.
En fait, la question soulevée sur le traité Kiddouchin ne se pose pas. En effet, une Boraïta dit, à la même référence: "On n’adopte pas l’avis de Rabbi Eléazar fils de ‘Harsom et l’on considère comme juste quiconque est honoré par tous les habitants de la ville". Dans le langage courant, au moins au sens figuré, celui qui a fait Techouva est également appelé un Juste.
La qualité de la Techouva est de transformer les fautes intentionnellement commises en bienfaits, la malédiction en bénédiction. Puisse donc D.ieu transformer ces jours(23) en joie et en allégresse, très bientôt et de nos jours, Amen.
En vous souhaitant tout le bien et en vous saluant,
Rav Mena’hem Schneerson,
N. B. : Je n’ai pas trouvé le Ma’hzor(24) avec le commentaire du Maagaleï Tsédek, qui est vraisemblablement celui auquel le Maguen Avraham fait allusion. J’en ai trouvé un autre, en revanche, avec le commentaire du Hadrat Kodech, qui cite la plupart des coutumes du Maagaleï Tsédek. Voici ce qu’il dit: "Il est bon de dire, sur la pomme, la bénédiction "Qui crée le fruit de l’arbre", de dire ensuite "renouvelle pour nous une année bonne et douce", puis de manger la pomme trempée dans le miel".
Le Maagaleï Tsédek a été imprimé, pour la première fois, à Venise en 5328(25) et il présente "les coutumes de Pologne, de Russie et Lituanie". Il en résulte que notre pratique est particulièrement ancienne.
Je viens de consulter un recueil des coutumes de Babel, imprimé dans le Massa Babel, de David Sliman Sasson, à la page 222. La coutume de cette contrée correspond à la nôtre et le Yehi Ratson est dit après la bénédiction et avant de manger le fruit.
A ce propos, le Maharil, cité par le Darkeï Moché, explique que l’on prend précisément une pomme pour faire allusion aux "Pommes sacrées"(26).
Or, il aurait pu faire référence au Zohar, tome 3, page 133b et page 74a, selon lequel les créatures reçoivent leur vitalité précisément de ces "Pommes".
A deux références, comme le soulignent les Tossafot, au traité Chabbat 88a, il est fait allusion à la pomme plutôt qu’au cédrat(27), car son goût est doux et elle combine trois couleurs.
Mais, peut-être le Maharil a-t-il privilégié l’explication qu’il développe, parce que l’Attribut de Royauté divine est reconstruit, à Roch Hachana, lequel correspond à ces "Pommes sacrées". A l’opposé, la pomme proprement dite se distingue de tous les autres fruits, selon le Zohar tome 2, page 15b, parce qu’elle évoque les Attributs de l’émotion et non celui de la Royauté.
Le Tséma’h Tsédek explique également pour quelle raison on mange précisément une pomme dans le Péla’h Harimon, tome 1, page 61d.
* * *
Après avoir publié ce fascicule, j’ai trouvé dans le Rechit Haguez, édité à Jérusalem en 5698(28), page 74, une citation de Rabbi Netrounaï Gaon, mentionnée dans le Guinzeï Kédem, tome 4, page 27 et Otsar Hagaonim, sur le traité Chabbat, chapitre 351, selon lequel la Hala’ha est tranchée d’après le premier avis exprimé, auquel s’oppose Rabbi Saadya Gaon, que je citais dans ma note. Vous consulterez le Zo’her 6, 21.
Notes
(1) Le Rav Chmouel Yossef Zevin. Voir les lettres n°485, 721, 762.
(2) Voir, à ce propos, la lettre n°485.
(3) Le premier soir de Roch Hachana, au début du repas.
(4) Rachab, son père.
(5) Des deux soirs de Roch Hachana.
(6) Le Rabbi note, en bas de page: "Note ultérieure: C’est pour cette raison que, selon le traité Bera’hot 17b, le Yehi Ratson (demandant à D.ieu de reconstruire le Temple) conclut la prière. En effet, il est dit, au nom du Tsyoun Lenefech ‘Haya, que la prière ne doit pas avoir un caractère fixe, mais l’on peut s’interroger, à ce propos, car un ajout, lorsqu’il a été répété plusieurs fois, reçoit également un caractère fixe. De même, on pourrait dire ce Yehi Ratson dans la bénédiction Chema Kolénou ("Ecoute notre voix", dans laquelle il est d’usage de formuler ses requêtes personnelles) et non à la fin de la prière."
(7) Se suffisant du mot Barou’h qui introduit la première bénédiction.
(8) Par exemple, en mangeant un aliment au début du voyage et en récitant la bénédiction finale de celui-ci, puis la prière du voyage, sans interruption entre l’une et l’autre.
(9) Récité sur la pomme de Roch Hachana.
(10) "Que soit renouvelée une bonne et douce année".
(11) Celle d’une bénédiction effectivement instaurée par nos Sages.
(12) Dans la mesure où il est impossible d’ajouter des bénédictions nouvelles.
(13) Et donc ne pas retarder le moment de demander une bonne année.
(14) "Celui qui voit un fleuve en rêve se lèvera tôt et dira: "Je me porte vers lui comme un fleuve de paix" avant de penser à tout autre verset".
(15) Pendant la fête de Soukkot. Commençant un repas, on dit d’abord la bénédiction sur le pain, puis celle sur la Soukka.
(16) Alors que nos Sages disent: "Il faut toujours prononcer d’abord la louange de D.ieu, puis formuler sa requête" c'est-à-dire, en l’occurrence, dire d’abord la bénédiction sur le fruit, puis prononcer le Yehi Ratson.
(17) Et qui sont écartés, en cette période, parce qu’ils laissent à penser que l’on retarde la bénédiction, comme c’est effectivement le cas, en l’occurrence.
(18) Lui permettant ainsi de commencer par Barou’h, comme on l’a expliqué plus haut.
(19) Du Choul’han Arou’h.
(20) Soit une soixantaine de grammes.
(21) Du 12 Tamouz.
(22) Du Kovets Loubavitch, dont la parution fut retardée de l’hiver 5706 à l’été 5709. Voir, à ce propos, la lettre n°408.
(23) Les trois semaines commémorant le deuil du Temple.
(24) De Roch Hachana.
(25) 1568.
(26) Expression qui désigne, dans la Kabbala, le dévoilement de la Présence divine par l’Attribut de Royauté céleste, qui est précisément reconstruit à Roch Hachana.
(27) Pourtant appelé par le verset "fruit de la splendeur".
(28) 1938.
18 Tamouz 5709,
Au grand Rav, éminent érudit, ‘Hassid distingué qui craintD.ieu, le Rav C. Y.(1),
Je vous salue et vous bénis,
J’ai bien reçu votre lettre. Je viens de recevoir également la seconde édition de votre livre Moadim Bahala’ha(2). Comme je l’ai déjà dit, ce livre, outre son contenu, est précieux également par les larges références qu’il donne abondamment, en bas de page.
Vous vous interrogez sur notre coutume, rapportée dans le Hayom Yom, à la date du 1er Tichri 5704: "Le Yehi Ratson qui est prononcé sur la pomme(3) doit être dit après la bénédiction et avant de la manger".
A chaque Roch Hachana, j’ai vu mon beau-père, le Rabbi Chlita, pratiquer ainsi. J’ai lui ai demandé si cet usage concernait les maîtres de la ‘Hassidout, la famille du Rabbi ou chacun. Il m’a répondu que tous devaient l’adopter et que je pouvais le diffuser. C’est la raison pour laquelle je l’ai mentionné dans le Hayom Yom.
Il ne m’a pas dit la raison du changement de coutume, ainsi introduit, par rapport au Choul’han Arou’h de l’Admour Hazaken, mais il m’a précisé que le Rabbi(4) en faisait de même.
Il en est de même pour une autre pratique, également mentionnée dans le Hayom Yom, qui me semble, néanmoins, présenter un caractère beaucoup plus novateur. Il y est dit que la bénédiction, lors de l’allumage des bougies(5), se conclut par Chel Yom Hazikaron, du jour du souvenir. Mon beau-père, le Rabbi Chlita m’a rapporté, à ce propos, une discussion entre le Rav Rafaelovitch, de Krementchug et le Rabbi(4), qui lui a affirmé que ce texte était prononcé, dans sa famille.
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Il me semble que l’on peut avancer l’explication suivante. Le Maguen Avraham lui-même dit qu’a priori, il faut dire le Yehi Ratson après avoir mangé la pomme, mais il concède que, si on l’a fait avant, il ne s’agit pas d’une interruption. Il cite même la possibilité de le faire a priori, selon le Maagaleï Tsédek. Le Sdeï ‘Hémed le dit aussi, citant le ‘Hemdat Yamim, dont je ne dispose pas, pas plus que du Maagaleï Tsédek.
Certes, l’Admour Hazaken adopte, dans son Choul’han Arou’h, l’avis du Maguen Avraham, mais, de nombreuses fois, il revient sur ce qu’il explique dans son Choul’han Arou’h, comme le prouve son Sidour et, en l’occurrence, l’habitude de la maison du Rabbi.
Les responsa Divreï Ne’hemya expliquent que, dans son Choul’han Arou’h, "il s’efforça de ne pas contredire les derniers Sages, en particulier le Maguen Avraham. Puis, à la fin de sa vie, il parvint à une grande sagesse et put alors s’opposer à eux, allant jusqu’à permettre ce qu’ils n’avaient pu autoriser". Et l’on sait qu’il dit lui-même avoir regretté de s’en être systématiquement remis au Maguen Avraham.
Il est dit, au début du Chaar Hacollel que, lorsque la Hala’ha n’est pas tranchée, l’Admour Hazaken adopte, dans le Choul’han Arou’h, l’avis des Décisionnaires et dans son Sidour, rédigé ultérieurement, celui des Sages de la Kabbala. On peut en dire de même pour ce qui fait l’objet de notre propos.
En effet, le Sdeï ‘Hémed donne une raison spirituelle pour laquelle le Yehi Ratson doit d’abord être récité. Bien plus, pour le Maguen Avraham, c’est seulement a priori qu’il faut adopter la position inverse et l’on peut, à ce propos, s’interroger sur la formulation du Choul’han Arou’h de l’Admour Hazaken. Or, cette raison justifie qu’il soit permis d’agir ainsi.
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A mon avis, il y a une raison simple et évidente, basée sur la partie révélée de la Torah, justifiant que le Yehi Ratson soit dit avant de manger le fruit. Il doit, en effet, être le plus proche possible de la bénédiction du fruit, "Qui crée le fruit de l’arbre", de sorte qu’elle le concerne également(6). C’est la raison pour laquelle, selon le traité Pessa’him 104b, une bénédiction qui fait suite à une autre n’est pas introduite par le mot Barou’h, béni(7).
Il est dit du Yehi Ratson qui introduit la prière du voyage, laquelle est bien définie comme une bénédiction, qu’il est bon de la rapprocher d’une autre bénédiction(8), afin qu’elle commence également par Barou’h, comme le dit le Choul’han Arou’h de l’Admour Hazaken Ora’h ‘Haïm, chapitre 110, paragraphe 7 et également chapitre 6, paragraphe 7.
Combien plus doit-il donc en être ainsi pour ce Yehi Ratson(9), qui doit être rapproché de la bénédiction. Bien plus, il s’agit, en l’occurrence, d’une pomme douce, illustrant précisément ce qui fait l’objet de ce Yehi Ratson(10), lui apportant ainsi de la vigueur et de la force.
En effet, nous n’avons pas la possibilité d’ajouter de nouvelles bénédictions à celles qui ont été introduites par le Talmud et les premiers Sages. En conséquence, ce Yehi Ratson a été rapproché d’une bénédiction, afin de lui en conférer la force(11). Puisque l’on ne peut faire autrement(12), on peut considérer qu’il y a bien là une situation de force majeure.
Une autre raison, accessoire, justifie que le Yehi Ratson soit dit le plus tôt possible. En effet, la pomme est mangée afin d’être de bonne augure. Il faut donc se préserver de tout ce qui pourrait aller à l’encontre de ce bon signe(13). En pareil cas, nos Sages conseillent, au traité Bera’hot 56b, de se lever tôt avant de penser à un autre verset(14).
Il n’est pas possible non plus de dire le Yehi Ratson avant la bénédiction sur le fruit, tout comme on ne dit pas la bénédiction sur la Soukka avant celle du pain(15), conformément au Choul’han Arou’h, à la fin du chapitre 643.
Combien plus en est-il ainsi pour ce qui fait l’objet de notre propos. On ne doit donc pas anticiper ce Yehi Ratson, d’autant que ceci conduirait, en outre, à formuler ses propres besoins avant de louer D.ieu(16).
Les explications qui viennent d’être données peuvent être renforcées par le fait qu’un comportement particulièrement scrupuleux est nécessaire, en ce jour du jugement, comme l’établit le Choul’han Arou’h de l’Admour Hazaken, chapitre 582, paragraphe 7. Ceci concerne également des comportements qui ne soulèveraient pas d’objection, pendant le reste de l’année(17).
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Vous me posez également la question suivante. Même si l’on admet, pour une raison quelconque, que le Yehi Ratson est dit avant que l’on mange le fruit, pourquoi ne pas dire la bénédiction, goûter un peu de ce fruit, dire le Yehi Ratson, puis en manger encore?
Le Sdeï ‘Hémed fait état de cette position de compromis, citant les responsa Ora’h ‘Haïm, à la fin du chapitre 3 et le Maamar Morde’haï; mais je ne possède pas ces livres.
Citant d’autres ouvrages, le Sdeï ‘Hémed propose également une autre solution. On peut réciter la bénédiction sur un autre fruit, le goûter, puis dire le Yehi Ratson et manger la pomme. Mais, d’après ce qui a été dit auparavant, ceci ne serait d’aucune utilité. Nous avons vu, en effet, que la bénédiction récitée sur le fruit doit être la plus proche possible du Yehi Ratson.
On peut ainsi justifier la pratique de la maison du Rabbi et de tous les ‘Hassidim.
Cette manière de procéder permet également de justifier la formulation de l’Admour Hazaken, dans son Sidour. Evoquant le fait de manger la pomme, il dit, en effet:
"Il faut réciter tout d’abord la bénédiction "Béni sois-Tu, Eternel... Qui crée le fruit de l’arbre", puis dire" le Yehi Ratson".
Or, l’expression "tout d’abord" n’est-elle pas superflue ici?
En fait, en fonction de ce qui a été expliqué auparavant, on peut découvrir ici une idée nouvelle. Il est effectivement nécessaire de dire "tout d’abord" la bénédiction, car on aurait pu penser que celle-ci devait être récitée uniquement après le Yehi Ratson. En outre, on souligne ainsi que la bénédiction est l’introduction du Yehi Ratson(18), qui peut être prononcé seulement lorsqu’elle a été dite.
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Mais, une petite difficulté subsiste. La position de compromis que vous proposez, au même titre que les ouvrages précédemment cités, celle qui consiste à goûter du fruit, à dire le Yehi Ratson, puis à en manger encore, est effectivement évoquée à la fin du chapitre 643(19), à propos de la bénédiction relative au séjour dans la Soukka, tout au moins pour celui qui désire accomplir la Mitsva de la meilleure façon.
Bien plus, pour faire la bénédiction de la Soukka, il faut consommer une quantité d’aliment de la taille d’un oeuf(20), alors qu’aucune quantité n’est spécifiée à propos de la pomme sur laquelle est récitée le Yehi Ratson. Dès lors, pourquoi ne pas adopter la même attitude?
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Vous trouverez ci-joint nos dernières publications, le fascicule édité à l’occasion de la fête de la libération(21) et le onzième fascicule(22), dont l’impression, pour une quelconque raison, a été retardée jusqu’à maintenant.
Dans ma première note à ce fascicule(21), je n’ai pas reproduit ce que vous dites, à la page 68 de votre livre, au nom du Rav de Ragatchov, concernant la décision du Rambam qui semble contredire les Tossafot, au traité Baba Metsya 58b. Le Rambam dit, en effet, que ceux qui accèdent à la Techouva sont plus élevés que les Justes parfaits. Cette affirmation figure dans le traité Kiddouchin 49b, selon lequel celui qui épouse une femme "à la condition que je sois un Juste parfait" est considéré comme ayant contracté une union valable, au bénéfice du doute, même s’il est un impie, car il peut avoir eu une pensée de Techouva. On peut en conclure que celui qui accède à la Techouva dépasse le Juste parfait, car "dans deux cents pièces, cent pièces sont incluses ”.
Je n’ai pas cité tout cela car j’en suis surpris. En effet, l’union n’est pas valable lorsque la femme a été abusée, même si l’homme se révèle être meilleur que ce qu’il prétendait être. Bien plus, ce qui est meilleur par référence à la récompense et à la punition est moins bon du point de vue de la nature humaine, car celui qui, étant parvenu à la Techouva, connaît de nouveau la chute, se trouvera dans une situation particulièrement basse, comme le dit le Likouteï Torah, à la Parachat Vaét’hanan.
En fait, la question soulevée sur le traité Kiddouchin ne se pose pas. En effet, une Boraïta dit, à la même référence: "On n’adopte pas l’avis de Rabbi Eléazar fils de ‘Harsom et l’on considère comme juste quiconque est honoré par tous les habitants de la ville". Dans le langage courant, au moins au sens figuré, celui qui a fait Techouva est également appelé un Juste.
La qualité de la Techouva est de transformer les fautes intentionnellement commises en bienfaits, la malédiction en bénédiction. Puisse donc D.ieu transformer ces jours(23) en joie et en allégresse, très bientôt et de nos jours, Amen.
En vous souhaitant tout le bien et en vous saluant,
Rav Mena’hem Schneerson,
N. B. : Je n’ai pas trouvé le Ma’hzor(24) avec le commentaire du Maagaleï Tsédek, qui est vraisemblablement celui auquel le Maguen Avraham fait allusion. J’en ai trouvé un autre, en revanche, avec le commentaire du Hadrat Kodech, qui cite la plupart des coutumes du Maagaleï Tsédek. Voici ce qu’il dit: "Il est bon de dire, sur la pomme, la bénédiction "Qui crée le fruit de l’arbre", de dire ensuite "renouvelle pour nous une année bonne et douce", puis de manger la pomme trempée dans le miel".
Le Maagaleï Tsédek a été imprimé, pour la première fois, à Venise en 5328(25) et il présente "les coutumes de Pologne, de Russie et Lituanie". Il en résulte que notre pratique est particulièrement ancienne.
Je viens de consulter un recueil des coutumes de Babel, imprimé dans le Massa Babel, de David Sliman Sasson, à la page 222. La coutume de cette contrée correspond à la nôtre et le Yehi Ratson est dit après la bénédiction et avant de manger le fruit.
A ce propos, le Maharil, cité par le Darkeï Moché, explique que l’on prend précisément une pomme pour faire allusion aux "Pommes sacrées"(26).
Or, il aurait pu faire référence au Zohar, tome 3, page 133b et page 74a, selon lequel les créatures reçoivent leur vitalité précisément de ces "Pommes".
A deux références, comme le soulignent les Tossafot, au traité Chabbat 88a, il est fait allusion à la pomme plutôt qu’au cédrat(27), car son goût est doux et elle combine trois couleurs.
Mais, peut-être le Maharil a-t-il privilégié l’explication qu’il développe, parce que l’Attribut de Royauté divine est reconstruit, à Roch Hachana, lequel correspond à ces "Pommes sacrées". A l’opposé, la pomme proprement dite se distingue de tous les autres fruits, selon le Zohar tome 2, page 15b, parce qu’elle évoque les Attributs de l’émotion et non celui de la Royauté.
Le Tséma’h Tsédek explique également pour quelle raison on mange précisément une pomme dans le Péla’h Harimon, tome 1, page 61d.
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Après avoir publié ce fascicule, j’ai trouvé dans le Rechit Haguez, édité à Jérusalem en 5698(28), page 74, une citation de Rabbi Netrounaï Gaon, mentionnée dans le Guinzeï Kédem, tome 4, page 27 et Otsar Hagaonim, sur le traité Chabbat, chapitre 351, selon lequel la Hala’ha est tranchée d’après le premier avis exprimé, auquel s’oppose Rabbi Saadya Gaon, que je citais dans ma note. Vous consulterez le Zo’her 6, 21.
Notes
(1) Le Rav Chmouel Yossef Zevin. Voir les lettres n°485, 721, 762.
(2) Voir, à ce propos, la lettre n°485.
(3) Le premier soir de Roch Hachana, au début du repas.
(4) Rachab, son père.
(5) Des deux soirs de Roch Hachana.
(6) Le Rabbi note, en bas de page: "Note ultérieure: C’est pour cette raison que, selon le traité Bera’hot 17b, le Yehi Ratson (demandant à D.ieu de reconstruire le Temple) conclut la prière. En effet, il est dit, au nom du Tsyoun Lenefech ‘Haya, que la prière ne doit pas avoir un caractère fixe, mais l’on peut s’interroger, à ce propos, car un ajout, lorsqu’il a été répété plusieurs fois, reçoit également un caractère fixe. De même, on pourrait dire ce Yehi Ratson dans la bénédiction Chema Kolénou ("Ecoute notre voix", dans laquelle il est d’usage de formuler ses requêtes personnelles) et non à la fin de la prière."
(7) Se suffisant du mot Barou’h qui introduit la première bénédiction.
(8) Par exemple, en mangeant un aliment au début du voyage et en récitant la bénédiction finale de celui-ci, puis la prière du voyage, sans interruption entre l’une et l’autre.
(9) Récité sur la pomme de Roch Hachana.
(10) "Que soit renouvelée une bonne et douce année".
(11) Celle d’une bénédiction effectivement instaurée par nos Sages.
(12) Dans la mesure où il est impossible d’ajouter des bénédictions nouvelles.
(13) Et donc ne pas retarder le moment de demander une bonne année.
(14) "Celui qui voit un fleuve en rêve se lèvera tôt et dira: "Je me porte vers lui comme un fleuve de paix" avant de penser à tout autre verset".
(15) Pendant la fête de Soukkot. Commençant un repas, on dit d’abord la bénédiction sur le pain, puis celle sur la Soukka.
(16) Alors que nos Sages disent: "Il faut toujours prononcer d’abord la louange de D.ieu, puis formuler sa requête" c'est-à-dire, en l’occurrence, dire d’abord la bénédiction sur le fruit, puis prononcer le Yehi Ratson.
(17) Et qui sont écartés, en cette période, parce qu’ils laissent à penser que l’on retarde la bénédiction, comme c’est effectivement le cas, en l’occurrence.
(18) Lui permettant ainsi de commencer par Barou’h, comme on l’a expliqué plus haut.
(19) Du Choul’han Arou’h.
(20) Soit une soixantaine de grammes.
(21) Du 12 Tamouz.
(22) Du Kovets Loubavitch, dont la parution fut retardée de l’hiver 5706 à l’été 5709. Voir, à ce propos, la lettre n°408.
(23) Les trois semaines commémorant le deuil du Temple.
(24) De Roch Hachana.
(25) 1568.
(26) Expression qui désigne, dans la Kabbala, le dévoilement de la Présence divine par l’Attribut de Royauté céleste, qui est précisément reconstruit à Roch Hachana.
(27) Pourtant appelé par le verset "fruit de la splendeur".
(28) 1938.