Lettre n° 516

Par la grâce de D.ieu,
13 Mena’hem Av 5709,

Au grand Rav, distingué ‘Hassid qui craint D.ieu,
le Rav A.(1),

Je vous salue et vous bénis,

Je fais réponse à votre lettre du 14 Tamouz:

A) Plusieurs questions que vous soulevez à propos de ma lettre(2) ne se poseront plus grâce à l’introduction générale que je développerai maintenant:

Le chapitre 6 du Tanya et les suivants développent l’appartenance des minéraux, végétaux, animaux et humains à la force du mal qui conserve la possibilité de l’élévation ou à celles qui sont totalement impures. A ce propos, une distinction doit être faite entre l’appartenance intrinsèque d’un être et celle qui résulte d’une action réalisée par son intermédiaire.

Dans ce dernier cas, seule est, bien sûr, concernée la partie de l’être permettant de réaliser l’action et l’endroit qui en est à l’origine.

Je donnerai un exemple. La parcelle divine qui conduit un aliment permis à l’existence et le fait vivre relève de la force du mal qui peut recevoir l’élévation. C’est en permanence le cas, y compris à Yom Kippour(3), puisqu’il est clair que la sainteté de ce jour n’enlève rien à celle de l’aliment.

A l’opposé, l’étincelle divine qui conduit un aliment interdit à l’existence et le fait vivre relève des forces du mal totalement impures. C’est en permanence le cas, y compris dans une situation de danger(4).

Deux distinctions essentielles peuvent être faites entre ces étincelles:

1. L’étincelle provenant de la force du mal qui peut recevoir l’élévation perçoit son caractère divin, quoique de manière limitée. Celle qui émane des forces du mal totalement impures subit une occultation totale et s’identifie au mal proprement dit, selon l’expression du Rabbi(5) que je n’ai pas voulu reproduire dans les résumés du Tanya, à la page 143. Vous consulterez donc ce texte, de même que le chapitre 40 du Tanya et le résumé du chapitre 6.

2. L’étincelle provenant de la force du mal qui peut recevoir l’élévation émane d’une source du mal particulièrement haute, ce qui signifie qu’elle possède une puissance considérable, la plus grande qui soit, comparable à celle du lion et du boeuf, qui la distingue qualitativement et non uniquement quantitativement de l’étincelle émanant des forces du mal totalement impures. Vous consulterez, à la fin du Dére’h Mitsvoté’ha, du Tséma’h Tsédek, le discours ‘hassidique intitulé A’hareï et son commentaire.

Il est clair qu’un Juif consommant, à Yom Kippour, un aliment permis, n’a pas la force, par cette action limitée, de changer l’ordre de la création, d’extraire de cet aliment l’étincelle provenant de la force du mal qui peut recevoir l’élévation et de la remplacer par celle qui émane des forces du mal totalement impures. Vous consulterez, à ce propos, les notes du Rabbi(5) sur le chapitre 6 du Tanya, citées dans les résumés, à la page 115. C’est pour cela qu’il n’y est pas question de l’existence intrinsèque des fruits interdits des trois premières années de récolte ou des espèces qui se mélangent dans la vigne(6).

En fait, tout comme cet homme s’enferme lui-même dans les forces du mal totalement impures, il y introduit également l’aliment et l’étincelle divine qu’il comporte. La force physique qu’il a investie dans le fait de manger est elle-même prisonnière de ces forces du mal et, là encore, il en est de même pour l’aliment et sa parcelle divine.

A l’opposé, celui qui consomme un aliment interdit lorsqu’il est en situation de danger(7) n’en modifie pas non plus la parcelle divine. Néanmoins, en pareil cas, nos Sages suppriment la relation entre cette étincelle et les forces du mal totalement impures, qui obscurcissaient sa lumière et modifiaient sa perception. C’est pour cette raison que son élévation devient possible. Vous consulterez aussi le Dére’h Mitsvoté’ha du Tséma’h Tsédek, au troisième chapitre de la Mitsva de Techouva et d’autres textes encore.

En tout état de cause, l’étincelle divine présente dans l’aliment permis qui est consommé à Yom Kippour ou dans l’aliment interdit qui est autorisé à celui qui est gravement malade reste le même.

On peut, du reste, se demander ce qu’il en est du converti, de la belle femme(8), du serviteur cananéen(9) et des nuques de porc qui furent autorisées à la consommation. Tout cela ne sera pas développé ici.

Un autre point est acquis. Lorsque l’action doit introduire une modification émanant d’un autre endroit, il faut que cette action provienne elle-même de cet endroit. C’est ce que nous venons de montrer.

J’en citerai un exemple. Un Juif dont le corps physique et l’âme vitale émanent de la force du mal qui peut recevoir l’élévation, consomme un aliment permis, donc également issu de cette même force, sans intention particulière, sans le consacrer au Nom de D.ieu, mais sans, non plus, chercher uniquement à satisfaire ses désirs. En pareil cas, il ne modifie en aucune façon l’origine et le lieu de l’étincelle et de l’aliment, lequel s’élève uniquement vers la catégorie humaine, en se confondant à sa chair et à son sang, mais ceci ne concerne pas notre propos.

On retrouve l’équivalent de tout cela dans la partie révélée de la Torah, qui distingue l’interdiction spécifique à l’objet(10) de celle qui repose sur l’homme(11) et prend en compte la situation présumée, en l’absence de toute autre précision.

Je répondrai maintenant brièvement aux questions que vous m’avez posées, en les reprenant dans l’ordre de votre lettre.

B) Comment ai-je pu écrire, dans la seconde explication, que l’étude(12) est une Mitsva avant que le nouveau mois ait été proclamé? Avant cela, l’étude n’est-elle pas sans contenu précis?

Je ne comprends pas cette question. Voici ce que j’écrivais: "Lorsque la Torah en donne expressément l’ordre" et, pour être plus précis, je soulignais le mot Mitsva. Est-ce là ce que l’on peut appeler une étude sans contenu précis?

Bien évidemment, je ne veux pas dire qu’il faille étudier la Torah comme Rabbi Yochoua Ben ‘Hananya, de la manière que décrit le traité Be’horot 8a, c'est-à-dire comme la première explication de ma lettre(13). Seule une élite peut y parvenir, alors que la Torah prend en compte la situation la plus fréquente.

De même, peu importe que l’on étudie la sagesse des Grecs ou l’astrologie que notre peuple possédait et qu’il a perdu, comme l’explique le Rambam(14). La langue importe peu et seul le contenu doit être pris en compte.

C) Quelle différence y a-t-il entre la seconde et la quatrième explication? Ne s’agit-il pas, dans un cas comme dans l’autre, de préparation, de phase préalable à la Mitsva?

J’ai précisé la seconde explication dans ma lettre, comme je le disais auparavant. Elle concerne une situation dans laquelle la Torah donne un ordre de manière directe(15), ce qui n’est pas le cas de la quatrième. Le calcul des saisons et des influences astrales qui, selon certains, est une Mitsva, serait-il négligeable? Et viendrait-il à l’idée de quelqu’un de recenser les infirmités des animaux pour déterminer si elles sont définitives ou passagères(16)?

Vous consulterez les explications et les références données par le Moadim Behala’ha, qui établit l’importance de se préparer à la Mitsva, par exemple en construisant une Soukka.

Lors de la réunion ‘hassidique de ce Chabbat, j’ai longuement commenté l’affirmation de Moché, rapportée par le traité Makot 10a, selon laquelle "J’accomplirai la Mitsva qui se présente à moi" en instaurant trois villes de refuge sur l’autre rive du Yarden. Or, il savait que celles-ci ne seraient utilisées que plus tard(17).

D) La cinquième explication fait intervenir la ruse(18), dans la mesure où celle-ci est utile pour gagner sa vie. Vous faites remarquer que tout cela doit s’inscrire parfaitement dans le domaine de la sainteté.

Là encore, je n’ai pas compris le sens de votre remarque, car l’activité commerciale et le fait de gagner sa vie appartiennent à la force du mal qui peut recevoir l’élévation. Comment ceci pourrait-il donc s’inscrire de manière parfaite dans le domaine de la sainteté?

Néanmoins, comme on l’a dit, il s’agit bien là de cette force du mal considérée de manière intrinsèque. Et celui qui agit sans motivation particulière est présumé se maintenir dans la situation qui était auparavant la sienne.

Vous consulterez, à ce propos, les Avot de Rabbi Nathan, au chapitre 11 et Igueret Hakodech, au chapitre 9.

E) Quelle différence faire entre la quatrième et la sixième explication, dès lors que, dans un cas comme dans l’autre, l’étude est bien pour le Nom de D.ieu?

Cette différence est bien évidente. En étudiant les sciences des nations sans intention particulière, on rend impures les forces intellectuelles de son âme divine, en les faisant descendre du domaine de la sainteté vers celui du mal.

Or, la descente d’une Mitsva dans le second domaine du mal, ses forces totalement impures, est permise uniquement lorsqu’elle permet une ascension immédiate, mais non lorsqu’elle se contente de la préparer. Ainsi, selon le traité Chabbat 132b, une Injonction repousse un Interdit si elle est réalisée au moment même où l’Interdit est levé.

Vous consulterez également le Michné Laméle’h, lois du sacrifice de Pessa’h, au début du chapitre 10 et le Melo Haroïm, tome 1, au début de l’article "Une Injonction repousse un Interdit".

De fait, la descente dans le premier stade du mal, la force qui peut recevoir l’élévation, devrait satisfaire à la même condition et c’est ce que décrit la quatrième explication. La sixième introduit, néanmoins, un fait nouveau. Une telle descente est envisageable, pour ce qui concerne la force du mal pouvant recevoir l’élévation, également quand il s’agit uniquement de se préparer à la Mitsva, en le faisant donc pour le Nom de D.ieu.

F) La troisième explication décrit une étude pour le Nom de D.ieu qui n’est pas une Mitsva et dont l’objet est négatif, permettant, par exemple, de s’abstenir d’une transgression, comme je l’écrivais.

Vous ne développez pas votre propos, sur ce point. En effet, il est interdit de penser à des paroles de Torah dans les ruelles couvertes d’immondices. En établissant des calculs liés aux sciences profanes, on peut s’en préserver et, de ce fait, respecter un Interdit de la Torah et non uniquement faire une action pour le Nom de D.ieu.

La même différence existe entre le respect du principe "en toutes tes voies, connais Le" et l’accomplissement effectif d’une Mitsva. Ceci correspond aux deux situations décrites par le chapitre 7 du Tanya, le fait de manger pour accéder à la largesse d’esprit(19) ou bien pour mettre en pratique la Mitsva d’éprouver le plaisir du Chabbat et de la fête.

Vous consulterez également la fin du chapitre 34 du Tanya, qui dit: "Le cinquième(20) apporte l’élévation aux quatre autres cinquièmes. De plus, ...(21)". Il s’agit là, bien sûr, d’une élévation supplémentaire.

G) La force du mal qui permet l’élévation permet deux situations. Si l’homme agit pour le Nom de D.ieu, elle s’élève vers la sainteté. Dans le cas contraire, elle descend vers les forces du mal totalement impures.

Comme je le disais auparavant, cette formulation, à mon humble avis, n’est pas exacte. Car, celui qui n’agit pas pour le Nom de D.ieu, mais n’est pas animé d’une intention particulière, en tout cas pas celle de satisfaire ses désirs, maintient cette force du mal pouvant recevoir l’élévation à sa place(22).

On peut l’établir sur la base de la logique, comme je le disais au premier paragraphe de cette lettre. On peut aussi observer ce qui se passe au quotidien. Ainsi, l’enfant qui mange ne sombre pas dans les forces du mal totalement impures et n’y fait pas descendre l’aliment. On peut, enfin, le déduire des enseignements de nos Sages. Le chapitre 7 du Tanya parle, en effet, de "celui qui se gave pour satisfaire ses désirs". Les résumés des chapitres 7 et 10 précisent cette idée.

H) Pourquoi l’Admour Hazaken écrit-il, à la fin du chapitre 7 du Tanya, évoquant le Rambam et le Ramban(23), "telle est sa motivation(24) ” et non "leur motivation"?

Il est particulièrement courant qu’un mot en entraîne un autre et l’on en trouve un exemple dans la Paracha de la semaine, "afin que se reposent ton serviteur et ta servante comme toi". Le verbe Yanoua’h, se reposer, est bien au singulier, dans ce verset. Onkelos, dont le Targoum est proche du verset, emploie également un singulier, Yanou’ah, alors que Yonathan Ben Ouzyel, qui recherche plutôt le sens du verset, fait usage du pluriel, Yanou’houn.

I) Finalement, comment distinguer la science de l’idolâtrie de celle de l’astrologie?

On peut trouver la réponse à cette question dans ce qui a été dit auparavant.

L’idolâtrie est interdite et le verset dit, à son propos: "Ne vous tournez pas vers elle". Elle appartient donc aux trois forces du mal totalement impures et porte en elle des étincelles qui en sont issues. Telle est sa place intrinsèque et l’étude de sa science, lorsque la motivation de comprendre et d’enseigner(25) a été permise par nos Sages. En pareil cas, ces étincelles reçoivent bien l’élévation.

Le calcul du cycle astral, par exemple, relève de la force du mal qui peut connaître l’élévation. Telle est sa place intrinsèque, à laquelle elle demeure lorsque l’étude n’a pas de motivation particulière.

La science de l’idolâtrie ou l’astrologie qui se trouvent dans la Torah, en revanche, appartiennent intégralement au domaine de la sainteté, au même titre que toutes les autres parties de la Torah. Telle est leur place intrinsèque, à laquelle elles demeurent lorsque l’étude n’a pas de motivation particulière.

J) Je viens de voir, dans le commentaire du Tsafnat Paanéa’h sur le Rambam, au début du second chapitre des lois de l’idolâtrie, qu’il est interdit de lire les livres traitant d’une idole uniquement lorsque celle-ci existe encore, mais non lorsqu’elle a disparu. Cette affirmation est basée sur le Yerouchalmi, au troisième chapitre du traité Avoda Zara. C’est pour cela que le Rambam lut ces livres.

Mais, l’on peut réellement s’interroger sur une telle affirmation. En effet, il est clairement dit dans le Guide des égarés, tome 3, chapitre 29, que cette idolâtrie existe encore dans le grand Nord et en Inde. Il est difficile de considérer que le service de l’idole est pris en compte uniquement s’il est effectué dans une grande ville, selon l’expression du Yerouchalmi. Vous consulterez les commentateurs du Guide des égarés.

Bien plus, vous savez qu’en Inde, il y a, à l’époque actuelle, de nombreux groupes idolâtres dans les grandes villes, ayant adopté, au moins partiellement, de telles pratiques. Ce point ne sera pas développé ici.

Je conclus en vous souhaitant tout le bien,

M. Schneerson,

Les archives des éditions Otsar Ha’hassidim réunissent des informations et des documents sur l’histoire des ‘Hassidim. Dans la mesure du possible, les photographies sont également recherchées(26). Peut-être pourriez-vous rédiger une note sur cela ou bien sur votre grand-père(27) ou encore sur d’autres personnes que vous avez connues ou à propos desquelles vous possédez des documents?

Bien évidemment, il est nécessaire d’indiquer la référence de cette information, témoignage de celui qui en a été spectateur, tradition, transmission familiale, lettres ou autres.

Notes

(1) Le Rav Alter Hilevitch. Voir la lettre n°453.
(2) Il s’agit de la lettre n°495.
(3) Bien qu’il soit alors interdit de consommer cet aliment.
(4) Bien qu’il soit alors permis de consommer cet aliment.
(5) Rachab.
(6) Qui sont bien des fruits permis et sont interdits du fait d’un élément extérieur, le fait d’avoir poussé pendant les trois premières années de récolte ou de s’être mélangé à d’autres espèces. Voir, à ce propos, la lettre n°507.
(7) C'est-à-dire de manière permise.
(8) Capturée au combat qu’il est permis d’épouser après qu’elle ait porté le deuil de sa famille pendant trente jours.
(9) Qui, lorsqu’il devient esclave, est astreint à toutes les Mitsvot qui n’ont pas un temps limité, puis, quand il est affranchi, à l’ensemble des Mitsvot.
(10) Par exemple, le fruit des trois premières récoltes est intrinsèquement interdit.
(11) Par exemple, le ‘Hamets, à Pessa’h, n’est pas intrinsèquement interdit. L’homme reçoit l’interdiction de le consommer.
(12) De l’astronomie permettant de déterminer la date de la nouvelle lune.
(13) En faisant abstraction de tout apport de connaissance extérieur à la Torah.
(14) Selon que l’astrologie est considérée comme une science profane ou comme une partie de la Torah.
(15) En l’occurrence celui de sanctifier le nouveau mois et seules les notions issues de l’astronomie permettent de le faire.
(16) C'est-à-dire de faire des études vétérinaires dans l’optique de leur utilisation par la Torah.
(17) Il est donc possible d’effectuer un acte immédiat afin de permettre son utilisation ultérieure.
(18) Complétant l’étude d’une science profane.
(19) Facilitant l’activité intellectuelle.
(20) Qui est offert à la Tsédaka.
(21) La force physique tirée des aliments que l’on a consommés, après les avoir acquis avec ces quatre cinquièmes, reçoit l’élévation, lorsqu’elle est utilisée pour prier ou étudier la Torah.
(22) Elle ne connaît ni l’élévation, ni la chute.
(23) Qui étudièrent les sciences profanes pour le service de D.ieu, ce que leur qualité de Justes leur permettait.
(24) Pour laquelle ils ont étudié les sciences profanes.
(25) Le Sage de la Torah doit connaître la science d’une idolâtrie pour déterminer qu’elle en est bien une et interdire son service.
(26) Voir, à ce propos, la lettre n°503, paragraphe M.
(27) Le Rav Avraham Landau, de Jhémbin. Voir, à son propos, la lettre n°453.