Lettre n° 535
Par la grâce de D.ieu,
26 Tichri 5710,
A monsieur Barou’h Levitin,
Je vous salue et vous bénis,
Je fais réponse à votre lettre et à vos questions:
Première question: Dans le Yehi Ratson récité, selon quelques rites, entre les sonneries du Choffar, il est fait mention de "Yochoua, prince de la dimension intérieure". On vous a dit que c’est le nom de cet homme(2) qui a été introduit ici.
Réponse: Beaucoup a été imprimé, à ce sujet. Vous consulterez, en particulier, le Min’hat Eléazar, imprimé à Munkatch, en 5662(3), tome 1, chapitre 75 et fin du tome 2, le Ketsé Hamaté, imprimé à Kleinwardein, en 5683(4), le Elbona Chel Torah, imprimé à Berlin, en 5689(5) et le Journal Nerot Chabbat, paru à Jérusalem, à la veille de Roch Hachana 5706(6).
La position adoptée est qu’il faut dire "Ichaya ou Ichayahou, prince de la dimension intérieure", ce qui est un des noms de l’ange Matatron. Ce nom a été choisi car sa valeur numérique est quatre cent, au même titre que l’expression "le prophète Elyahou, de souvenir agréable" et les trois lettres Kouf, Reïch, Kouf, qui font allusion aux trois sonneries du Choffar, Tekya(7), Teroua(8), Tekya.
C’est effectivement ce que l’on a trouvé dans des rituels anciens et dans de vieux livres. Il est vraisemblable que des missionnaires sont intervenus et ont changé ce nom en Yochoua.
Remarque: L’auteur du Tanya, le Gaon de Vilna et d’autres Grands de notre peuple considèrent qu’il ne faut pas du tout dire ce Yehi Ratson. Et telle est notre coutume.
Seconde question: Dans le Séfer Hamaamarim(9), à la page 216(10), il est dit que Rabbi Nathan "adoptait, certes, scrupuleusement tous les comportements et tous les sentiments prônés par la Torah". Néanmoins, "son effort était bien moins investi dans les bons sentiments". Vous vous demandez si ces deux affirmations sont compatibles.
Réponse: Développer ses sentiments, l’amour et la haine, la crainte et la révolte, la pitié et la cruauté, se fait en deux temps. Il faut d’abord se maîtriser pour que ces sentiments soient assujettis à l’intellect. Puis, il faut les transformer.
Imaginons l’exemple de celui qui, dans son commerce, a un concurrent, se trouvant à proximité. S’il laisse son âme animale s’exprimer, il éprouvera de la haine envers lui. Alors, l’intellect de son âme divine intervient et lui dit: "Ne crois-tu pas que D.ieu est le Maître du monde? Et Il a Lui-même décidé ce que tu dois gagner. Comment ton concurrent pourrait-il te retirer quoi que ce soit, aller à l’encontre de la Volonté du Créateur? En revanche, si D.ieu entend diminuer tes gains, ne penses-tu pas qu’il en sera ainsi en tout état de cause, même en l’absence de ce concurrent? En conséquence, cet homme ne te prend rien et pourquoi donc devrais-tu le détester?".
A l’issue de cet échange, la haine disparaîtra de son action, puis de ses paroles et enfin de ses pensées. Mais, cet homme ne sera pas encore parvenu au stade de transformation, qui lui permettra d’éprouver de l’amour.
L’âme divine poursuit donc son développement: "Il est dit que tu dois aimer ton prochain comme toi-même. Tu es reconnu comme un spécialiste dans ton domaine et comment pourrait-il donc te causer du tort? Bien au contraire, viens lui en aide, donne lui de bons conseils, accorde lui un prêt". Ainsi, la haine se transformera en amour et c’est le sentiment que cet homme éprouvera.
Or, c’est précisément cette seconde action qui s’appelle une transformation des sentiments et un comportement vertueux, dans une situation où la Torah permet de trouver une justification pour qu’il en soit autrement et que l’on se contente de la première action.
Troisième question: Le discours ‘hassidique précédemment cité présente également Reb Avraham(11), qui n’avait pas une grande connaissance de la Torah, mais avait de bons sentiments, un comportement vertueux, bien au delà de Reb Nathan, lequel, malgré ses nombreuses connaissances, ne cultivait pas ses sentiments. Il n’est donc pas surprenant que certains aient pu s’opposer aux ‘Hassidim, qui placent un ignorant vertueux au dessus d’un érudit de la Torah.
Réponse: S’il en est ainsi, ils doivent s’opposer également au traité Taanit 7a, qui dit: "égorge l’érudit de la Torah qui n’adopte pas un bon comportement" et Rachi explique: "Il est passible de mort". Au cinquième chapitre des lois des opinions, le Rambam explique de quelle manière l’érudit doit se comporter. Au quatrième chapitre de ses lois de l’étude de la Torah, il précise que, s’il n’adopte pas ce comportement, on ne peut pas recevoir son enseignement.
Le traité Yoma 86a est encore plus tranché, selon lequel celui qui possède d’immenses connaissances de la Torah et respecte les Commandements, mais ne reçoit pas ses interlocuteurs de manière agréable et bienveillante, s’emportant contre eux et se mettant en colère, commet un blasphème. Et le Rambam en retient le principe pour la Hala’ha, dans ses lois des fondements de la Torah 5, 11. La mort est alors le seul moyen de racheter une telle faute.
Le traité Yoma 9b est encore plus incisif, qui dit qu’à la fin de la période du second Temple, les Juifs respectaient la Torah et les Mitsvot. Or, celui-ci fut détruit, malgré cela, du fait de la haine gratuite.
Méditez bien à cela. Les Juifs étudiaient la Torah, mettaient en pratique les Mitsvot. Ils ne volaient pas, ne trompaient pas, n’humiliaient pas, mais refusaient simplement de dépasser la ligne de la Loi, selon le traité Baba Metsya 30b. On se haïssait au lieu de s’aimer.
Et c’est à cause de cela que le Temple fut détruit, les Juifs furent envoyés en exil et s’y trouvent encore, depuis près de dix neuf siècles.
A la fin de la période du premier Temple, en revanche, les Juifs commettaient de lourdes fautes et ils s’étaient détournés de la Torah. Alors, l’exil dura seulement soixante dix ans!
Après cela, avez-vous encore un doute sur l’importance des bons sentiments et du comportement vertueux?
En vous souhaitant tout le bien,
Rav Mena’hem Schneerson,
Je répondrai à votre dernière lettre, à la prochaine occasion.
Notes
(1) Voir la lettre n°475.
(2) Fondateur du Christianisme.
(3) 1902.
(4) 1924.
(5) 1929.
(6) 1935.
(7) Un son long.
(8) Plusieurs sons très courts.
(9) Il s’agit du Séfer Hamaamarim Yiddish, reprenant les discours ‘hassidiques du précédent Rabbi, édités entre 5701 et 5705 (1941 et 1945).
(10) Il y avait, parmi les disciples du Baal Chem Tov, Reb Nathan, le vendeur de lin, qui venait de Brod. Il gagnait sa vie de son commerce et, par ailleurs, possédait de bonnes connaissances de la Torah. Chaque jour, lorsqu’il fermait boutique, en particulier le soir, il se consacrait à l’étude, avec un immense élan. Sa manière de se comporter, en revanche, ne tranchait pas du commun. Il apportait toute son ardeur à l’étude de la Torah, accomplissait les Mitsvot de la meilleure façon. Il adoptait, certes, scrupuleusement tous les comportements et tous les sentiments prônés par la Torah. Toutefois, son effort était, avant tout, investi dans l’étude et la réflexion de la Torah, mais bien moins dans les bons sentiments".
(11) Un autre disciple du Baal Chem Tov.
26 Tichri 5710,
A monsieur Barou’h Levitin,
Je vous salue et vous bénis,
Je fais réponse à votre lettre et à vos questions:
Première question: Dans le Yehi Ratson récité, selon quelques rites, entre les sonneries du Choffar, il est fait mention de "Yochoua, prince de la dimension intérieure". On vous a dit que c’est le nom de cet homme(2) qui a été introduit ici.
Réponse: Beaucoup a été imprimé, à ce sujet. Vous consulterez, en particulier, le Min’hat Eléazar, imprimé à Munkatch, en 5662(3), tome 1, chapitre 75 et fin du tome 2, le Ketsé Hamaté, imprimé à Kleinwardein, en 5683(4), le Elbona Chel Torah, imprimé à Berlin, en 5689(5) et le Journal Nerot Chabbat, paru à Jérusalem, à la veille de Roch Hachana 5706(6).
La position adoptée est qu’il faut dire "Ichaya ou Ichayahou, prince de la dimension intérieure", ce qui est un des noms de l’ange Matatron. Ce nom a été choisi car sa valeur numérique est quatre cent, au même titre que l’expression "le prophète Elyahou, de souvenir agréable" et les trois lettres Kouf, Reïch, Kouf, qui font allusion aux trois sonneries du Choffar, Tekya(7), Teroua(8), Tekya.
C’est effectivement ce que l’on a trouvé dans des rituels anciens et dans de vieux livres. Il est vraisemblable que des missionnaires sont intervenus et ont changé ce nom en Yochoua.
Remarque: L’auteur du Tanya, le Gaon de Vilna et d’autres Grands de notre peuple considèrent qu’il ne faut pas du tout dire ce Yehi Ratson. Et telle est notre coutume.
Seconde question: Dans le Séfer Hamaamarim(9), à la page 216(10), il est dit que Rabbi Nathan "adoptait, certes, scrupuleusement tous les comportements et tous les sentiments prônés par la Torah". Néanmoins, "son effort était bien moins investi dans les bons sentiments". Vous vous demandez si ces deux affirmations sont compatibles.
Réponse: Développer ses sentiments, l’amour et la haine, la crainte et la révolte, la pitié et la cruauté, se fait en deux temps. Il faut d’abord se maîtriser pour que ces sentiments soient assujettis à l’intellect. Puis, il faut les transformer.
Imaginons l’exemple de celui qui, dans son commerce, a un concurrent, se trouvant à proximité. S’il laisse son âme animale s’exprimer, il éprouvera de la haine envers lui. Alors, l’intellect de son âme divine intervient et lui dit: "Ne crois-tu pas que D.ieu est le Maître du monde? Et Il a Lui-même décidé ce que tu dois gagner. Comment ton concurrent pourrait-il te retirer quoi que ce soit, aller à l’encontre de la Volonté du Créateur? En revanche, si D.ieu entend diminuer tes gains, ne penses-tu pas qu’il en sera ainsi en tout état de cause, même en l’absence de ce concurrent? En conséquence, cet homme ne te prend rien et pourquoi donc devrais-tu le détester?".
A l’issue de cet échange, la haine disparaîtra de son action, puis de ses paroles et enfin de ses pensées. Mais, cet homme ne sera pas encore parvenu au stade de transformation, qui lui permettra d’éprouver de l’amour.
L’âme divine poursuit donc son développement: "Il est dit que tu dois aimer ton prochain comme toi-même. Tu es reconnu comme un spécialiste dans ton domaine et comment pourrait-il donc te causer du tort? Bien au contraire, viens lui en aide, donne lui de bons conseils, accorde lui un prêt". Ainsi, la haine se transformera en amour et c’est le sentiment que cet homme éprouvera.
Or, c’est précisément cette seconde action qui s’appelle une transformation des sentiments et un comportement vertueux, dans une situation où la Torah permet de trouver une justification pour qu’il en soit autrement et que l’on se contente de la première action.
Troisième question: Le discours ‘hassidique précédemment cité présente également Reb Avraham(11), qui n’avait pas une grande connaissance de la Torah, mais avait de bons sentiments, un comportement vertueux, bien au delà de Reb Nathan, lequel, malgré ses nombreuses connaissances, ne cultivait pas ses sentiments. Il n’est donc pas surprenant que certains aient pu s’opposer aux ‘Hassidim, qui placent un ignorant vertueux au dessus d’un érudit de la Torah.
Réponse: S’il en est ainsi, ils doivent s’opposer également au traité Taanit 7a, qui dit: "égorge l’érudit de la Torah qui n’adopte pas un bon comportement" et Rachi explique: "Il est passible de mort". Au cinquième chapitre des lois des opinions, le Rambam explique de quelle manière l’érudit doit se comporter. Au quatrième chapitre de ses lois de l’étude de la Torah, il précise que, s’il n’adopte pas ce comportement, on ne peut pas recevoir son enseignement.
Le traité Yoma 86a est encore plus tranché, selon lequel celui qui possède d’immenses connaissances de la Torah et respecte les Commandements, mais ne reçoit pas ses interlocuteurs de manière agréable et bienveillante, s’emportant contre eux et se mettant en colère, commet un blasphème. Et le Rambam en retient le principe pour la Hala’ha, dans ses lois des fondements de la Torah 5, 11. La mort est alors le seul moyen de racheter une telle faute.
Le traité Yoma 9b est encore plus incisif, qui dit qu’à la fin de la période du second Temple, les Juifs respectaient la Torah et les Mitsvot. Or, celui-ci fut détruit, malgré cela, du fait de la haine gratuite.
Méditez bien à cela. Les Juifs étudiaient la Torah, mettaient en pratique les Mitsvot. Ils ne volaient pas, ne trompaient pas, n’humiliaient pas, mais refusaient simplement de dépasser la ligne de la Loi, selon le traité Baba Metsya 30b. On se haïssait au lieu de s’aimer.
Et c’est à cause de cela que le Temple fut détruit, les Juifs furent envoyés en exil et s’y trouvent encore, depuis près de dix neuf siècles.
A la fin de la période du premier Temple, en revanche, les Juifs commettaient de lourdes fautes et ils s’étaient détournés de la Torah. Alors, l’exil dura seulement soixante dix ans!
Après cela, avez-vous encore un doute sur l’importance des bons sentiments et du comportement vertueux?
En vous souhaitant tout le bien,
Rav Mena’hem Schneerson,
Je répondrai à votre dernière lettre, à la prochaine occasion.
Notes
(1) Voir la lettre n°475.
(2) Fondateur du Christianisme.
(3) 1902.
(4) 1924.
(5) 1929.
(6) 1935.
(7) Un son long.
(8) Plusieurs sons très courts.
(9) Il s’agit du Séfer Hamaamarim Yiddish, reprenant les discours ‘hassidiques du précédent Rabbi, édités entre 5701 et 5705 (1941 et 1945).
(10) Il y avait, parmi les disciples du Baal Chem Tov, Reb Nathan, le vendeur de lin, qui venait de Brod. Il gagnait sa vie de son commerce et, par ailleurs, possédait de bonnes connaissances de la Torah. Chaque jour, lorsqu’il fermait boutique, en particulier le soir, il se consacrait à l’étude, avec un immense élan. Sa manière de se comporter, en revanche, ne tranchait pas du commun. Il apportait toute son ardeur à l’étude de la Torah, accomplissait les Mitsvot de la meilleure façon. Il adoptait, certes, scrupuleusement tous les comportements et tous les sentiments prônés par la Torah. Toutefois, son effort était, avant tout, investi dans l’étude et la réflexion de la Torah, mais bien moins dans les bons sentiments".
(11) Un autre disciple du Baal Chem Tov.