Lettre n° 544

Par la grâce de D.ieu,
17 Mar’Hechvan 5710(1),

Je vous salue et vous bénis,

J’ai bien reçu votre lettre en son temps et ma réponse a été retardée, du fait de mes nombreuses activités. Je réponds à vos questions:

A) On mange la pomme le premier soir de Roch Hachana, au début du repas, après avoir dit la bénédiction de Hamotsi(2). Le fruit nouveau est consommé le second soir, avant de se laver les mains pour le repas(3). Vous consulterez, à ce propos, le fascicule édité à l’occasion de Chabbat Chouva, à la page 30.

La raison de cette distinction est bien évidente. La pomme, indépendamment du fait qu’elle doit être trempée dans le miel, peut être consommée avant ou après s’être lavé les mains. Il est donc préférable que ce soit après, afin que le début du repas soit le plus proche possible du Kiddouch.

Le fruit nouveau, à l’opposé, doit être consommé avant de se laver les mains pour le début du repas, afin de conserver le bénéfice de la bénédiction de Chéhé’héyanou, qui le concerne(4).

B) Le Yehi Ratson prononcé sur la pomme(5) est dit après la bénédiction Boré Peri Haets(6) et avant de la manger. On peut le déduire de la formulation adoptée par le Sidour de l’Admour Hazaken, "on dira ensuite", qui diffère de celle du Choul’han Arou’h.

C) Le Choul’han Arou’h de l’Admour Hazaken, Ora’h ‘Haïm, chapitre 608, parle des "aliments à base de lait et de beurre" et renvoie au Maguen Avraham qui, lui, dit: "aliments à base de lait chaud"(7), d’après le Rambam, lois du service de Yom Kippour 1, 6. Vous me demandez, dans votre lettre, s’il ne faut pas rectifier en ce sens le Choul’han Arou’h de l’Admour Hazaken.

De fait, qui parle de beurre, dans le Talmud ou parmi les Décisionnaires? Votre remarque semble donc tout à fait judicieuse. Autre preuve qu’elle parait juste, pourquoi parler ici de beurre? N’est-ce pas également un aliment à base de lait? Et, c’est bien pour cette raison que le fromage n’est pas mentionné dans ce texte, alors qu’on le cite dans le traité Yoma 18a. Néanmoins, dans toutes les éditions du Choul’han Arou’h de l’Admour Hazaken que j’ai pu voir, celles de Kapust 5586(8), de Jitomir 5627(9), de Shtétin 5622(10), de Varsovie 5364(11), de Josepha 5635(12) et de Vilna 5665(13), il est bien question de beurre. C’est également la version du Netiv Ha’haïm.

Pourquoi l’Admour Hazaken interdit-il spécifiquement le beurre? Parce qu’il est particulier, parmi les aliments à base de lait, dans la mesure où il n’est jamais consommé seul. Si, en outre, il s’agit également de la crème, il peut être défini comme un liquide.

Par ailleurs, on peut se demander pourquoi l’Admour Hazaken parle ici de lait, sans préciser qu’il est chaud. On peut citer, à ce propos, le traité Nazir 23b(14): "Une faute commise pour le Nom de D.ieu est préférable... cet impie eut alors sept relations avec elle". Yaël agit ainsi pour l’épuiser comme l’explique Rachi(15).

C’est pour cette raison que (Choftim 5, 25) "il demandait de l’eau, elle lui offrit du lait. Dans un vase précieux, elle apporta du beurre". Les commentateurs expliquent que le lait donne sommeil. Et l’on peut se demander, comme le fait le traité Yoma 18a, pourquoi elle lui donna également du beurre. En tout état de cause, cette explication est adoptée par l’avis considérant qu’il ne toucha pas Yaël(16). Vous consulterez le commentaire du Radak sur les versets Choftim 4, 18 et 5, 27, qui fait état de Midrachim divergents, à ce propos.

D) L’Admour Hazaken écrit dans son Choul’han Arou’h Ora’h ‘Haïm, chapitre 639, paragraphe 13, que celui qui quitte la Soukka et n’y revient pas immédiatement, mais "une ou deux heures plus tard" doit dire, de nouveau, la bénédiction(17). Aux paragraphes 25 et 29, il est dit, à propos des Tefilin, "après un long délai, par exemple deux ou trois heures(18)" et vous me demandez pourquoi une différence a été faite entre les Tefilin et la Soukka. De plus, si une heure suffit, pourquoi dire deux(19) et si deux suffisent, pourquoi dire trois(20)?

Le Ketsot Hachoul’han du Rav H. A. Naé s’interroge, à ce propos, dans ses lois des Tefilin, au chapitre 163 du Badeï Hachoul’han. Il cite le commentaire de Rachi sur le traité Yoma 30a, selon lequel, après une heure ou deux, on ne pense plus à son repas(21). Et le Sidour du Yaabets, aux lois des Tefilin, indique aussi que l’on doit refaire la bénédiction, quand on les met deux ou trois heures plus tard. Le Ketsot Hachoul’han conclut qu’il n’y a pas lieu de faire une distinction entre les Tefilin et la Soukka et que, si deux heures sont un laps de temps important, combien plus le sont trois heures. Au final, il n’apporte pas de réponse à la question posée.

Je proposerai mon explication, à mon humble avis, en renforçant tout d’abord la question. On peut, en effet, distinguer quatre cas:
1) La Soukka, pour laquelle l’interruption est évaluée à une ou deux heures.
2) Les Tefilin, pour lesquels elle est de deux ou trois heures.
3) Les Tsitsit, pour lesquelles il faut de nombreuses heures, selon le Choul’han Arou’h de l’Admour Hazaken, chapitre 8, paragraphe 23 et son Sidour. Le Badeï Hachoul’han, chapitre 7, paragraphe 17, s’interroge, à ce propos, avançant que deux ou trois heures sont déjà un laps de temps important, d’après les paragraphes 25 et 29. Néanmoins, le changement de formulation de l’Admour Hazaken permet d’établir clairement que le délai, pour les Tsitsit, n’est pas le même.
4) L’odeur, pour laquelle la bénédiction est prononcée une fois par jour, selon le Toureï Zahav, alors que, pour le Maguen Avraham, elle se dissipe immédiatement. Or, la position de l’Admour Hazaken, en la matière, ne nous est pas connue, car le chapitre 217 de son Choul’han Arou’h ne nous est pas parvenu.
Comment interpréter toutes ces distinctions?

Il me semble que l’on peut donner, à ce propos, l’explication suivante. Un laps de temps est toujours évalué en fonction de son contexte. Ainsi, pour la prière et le Chema Israël, il s’agit du temps de lire entièrement ces textes, selon le Choul’han Arou’h de l’Admour Hazaken, chapitre 60, paragraphe 5. Il en est donc de même pour les cas qui viennent d’être cités.

La Soukka est essentiellement le lieu où l’on doit prendre ses repas, selon le Toureï Zahav, chapitre 639, paragraphe 20. Le temps de porter les Tefilin est la durée de la prière, puisque l’usage n’est plus de les porter toute la journée, comme l’indique le Choul’han Arou’h de l’Admour Hazaken, à la fin du chapitre 27, au début du chapitre 25 et à la fin du chapitre 37.

Les Tsitsit du grand Talith, puisque c’est d’elles qu’il s’agit, n’ont pas de temps fixe, mais, en tout état de cause, celui-ci est plus long que le délai des Tefilin, puisque l’on met le Talith avant, qu’il n’est pas nécessaire d’avoir un corps pur(22), ni de concentrer son esprit(23), selon le chapitre 437 du Choul’han Arou’h.

L’odeur, enfin, n’a pas de consistance. Lorsque l’homme s’en sépare et qu’elle se répand à l’extérieur, elle s’interrompt véritablement et il faut prononcer de nouveau une bénédiction. Par ailleurs, on peut également penser que cette odeur n’a pas de temps fixé. Elle ne subit donc pas l’interruption du temps.

De façon générale, la durée d’un repas est d’une heure, comme en atteste la comparaison établie par nos Sages, au traité Bera’hot 55a, entre le repas courant, pris deux fois par jour et un sacrifice. Le traité Pessa’him 55a précise que le sacrifice perpétuel, lui-même offert deux fois par jour, durait une heure.

Par ailleurs, le traité Chabbat 10a dit que la première heure est le repas...(24). On peut en conclure que ce repas dure pendant toute la première heure. De même, le traité Baba Metsya 83b parle de "la quatrième heure"(25), qui est celle du repas, comme l’explique Rachi(26).

Telle est donc la longueur d’un repas normal, mais, à la même référence du traité Bera’hot, nos Sages conseillent à ceux qui souhaitent la longévité de prolonger leur repas. En pareil cas, on dépasse la première heure et l’on s’introduit dans la seconde.

C’est ainsi qu’il faut comprendre les propos de Rachi, au traité Yoma, précédemment cité, qui sont reproduits dans le Rif, à la fin du huitième chapitre de Bera’hot.

Le temps de la prière, si l’on compte aussi le fait de mettre et d’ôter le Talith et les Tefilin, puis de lire les passages préliminaires, dépasse généralement une heure et demie, comme le dit le premier chapitre d’Igueret Hakodech. C’est ce qu’indique le Zohar, tome 1, page 62b et tome 3, page 172b. Là encore, ayant dépassé la première heure, on peut considérer que l’on est dans la seconde.

A la même référence du traité Bera’hot, nos Sages conseillent aussi, pour avoir une longue vie, de prier longtemps. Ayant dépassé deux heures, on peut également considérer que l’on se trouve dans la troisième. De cette manière, il est possible d’expliquer toutes les durées précédemment citées.

Le traité Bera’hot 32b rapporte que les premiers ‘Hassidim priaient pendant trois heures. Et le Peri Ets ‘Haïm, porte de la prière, chapitre 7, ajoute que la trace de cette prière, dans l’intellect, doit être maintenue durant tout le jour. Pour autant, précise-t-il, la réflexion proprement dite ne peut être conservée plus de trois heures.

N.B.: Le chapitre 31 du Tanya dit "environ une heure ou deux", mais cette expression peut être interprétée à un sens plus large. Vous consulterez, à ce propos, les Tossafot sur le traité Chabbat 60b et d’autres références.

Notes

(1) La lettre n°550 fait suite à celle-ci.
(2) Et mangé du pain.
(3) Après le Kiddouch.
(4) Ayant été dite après le Kiddouch, en pensant qu’elle portait également sur ce fruit.
(5) Voir, à ce propos, la lettre 504.
(6) Qui crée le fruit de l’arbre.
(7) ‘Héma, le beurre, est phonétiquement proche de ‘Hama, chaud.
(8) 1826.
(9) 1867.
(10) 1862.
(11) 1874.
(12) 1875.
(13) 1905.
(14) "Rabbi Na’hman enseigne: une faute commise pour le Nom de D.ieu est préférable à une Mitsva qui ne Lui est pas destinée. Mais, Rav Yehouda n’a-t-il pas dit, au nom de Rav, que l’on doit se consacrer à la Torah et aux Mitsvot, même si cela n’est pas pour le Nom de D.ieu car, au final, on les appliquera pour Son Nom? En fait, une faute commise pour le Nom de D.ieu est comparable à une Mitsva qui n’est pas consacrée à son Nom. C’est ainsi qu’il est écrit: "Que soit bénie parmi les femmes Yaël, épouse de ‘Haver, le Kini. Qu’elle soit bénie parmi les femmes résidant dans la tente". Qui sont ces femmes? Sarah, Rivka, Ra’hel et Léa. Rabbi Yo’hanan explique: cet impie (Sisra) eut alors sept relations avec elle".
(15) "Elle fit cette faute pour le Nom de D.ieu, afin d’épuiser cet impie pour qu’elle puisse le tuer". Or, les versets (Choftim 4, 18-19) disent: "Yaël sortit à la rencontre de Sisra et lui dit: entre, mon maître, entre chez moi, ne crains rien". Il la suivit sous la tente et elle le cacha, sous une couverture. Il lui dit: Donne moi, je te prie, un peu d’eau à boire, car j’ai soif. Elle ouvrit alors l’outre de lait, lui donna à boire et le recouvrit".
(16) Ainsi, selon un avis, Yaël épuisa Sisra en se donnant à lui. Selon l’autre avis, elle le fit dormir en lui donnant du lait.
(17) Léchev Bassoukka.
(18) D’interruption, il est nécessaire, là encore, de dire à nouveau la bénédiction lorsque l’on remet les Tefilin.
(19) Pour la Soukka.
(20) Pour les Tefilin.
(21) Que l’on a commencé dans la Soukka.
(22) C'est-à-dire d’avoir vérifié, avant de mettre le Talith, que l’on ne doit pas se rendre dans un lieu d’aisance.
(23) Sur le Talith pendant qu’on le porte.
(24) Le repas des Loudim, c'est-à-dire des cannibales affamés, a lieu à la première heure du jour.
(25) "Lorsque l’on entre dans les magasins, à la quatrième heure".
(26) "C’est alors l’heure du repas et tous entrent dans les magasins pour le prendre". On peut, là encore, en conclure que le repas dure une heure.