Lettre n° 5793

Par la grâce de D.ieu,
11 Tichri 5718,
Brooklyn,

Au grand Rav, distingué ‘Hassid qui craint D.ieu
et se consacre aux besoins communautaires,
le Rav Yossef Elyahou(1),

Je vous salue et vous bénis,

Je fais réponse à votre lettre du 8 Tichri, dans laquelle vous m’interrogez sur la possibilité de vous allier à des Rabbanim appartenant à différentes catégories. De façon générale, il n’est pas de mon propos de trancher les questions hala’hiques. Certes, j’ai fait connaître ma position(2) sur la participation au New York board of rabbis and synagogue council(3). Je devais le faire, compte tenu de la tournure que la situation pouvait prendre, ce qu’à D.ieu ne plaise. Néanmoins, votre question est dans le prolongement de celle-ci et je vous écris donc ce qui est mon opinion tranchée, en la matière :

A) Est-il judicieux de s’associer, dans le cadre d’un tribunal rabbinique, avec des Rabbanim qui, dans leur synagogue, qualifiée d’orthodoxe, ne placent pas la table de lecture de la Torah au milieu du lieu de prières ou bien qui autorisent des femmes à prendre place parmi les hommes, bien qu’il existe une section féminine ? Plus encore, faut-il s’associer à un Rav qui est considéré comme orthodoxe, au même titre que sa synagogue, alors que, dans celle-ci, il n’y a pas de séparation entre les hommes et les femmes ?

J’ai dit, dans la lettre que j’ai écrite à propos de la participation à de telles organisations, qu’en la matière, c’est la conception, plus que l’action concrète, qui doit être envisagée. Si un Rav dit que, selon sa conception, toute la Torah a été donnée sur le mont Sinaï, à l’exception d’un seul verset, celui-ci est un impie, conformément à la décision de la Torah, même si, par ailleurs, il accomplit toutes les Mitsvot, jusque dans le moindre détail. Bien entendu, il est alors interdit de s’associer à lui, afin de trancher la Hala’ha, dans le cadre d’un tribunal rabbinique, pour reprendre l’expression figurant dans votre lettre.

A l’opposé, si un Rav admet que la pratique juive compte six cent treize Mitsvot, avec tous leurs détails, que l’ensemble de la Torah émane du ciel, mais que, par ailleurs, il commette des fautes parce qu’il est victime de son mauvais penchant, qui le soumet à des tentations et des désirs, car il doit bien gagner sa vie, celui-ci est un Rav transgressant la Loi, ce qui n’interdit pas de s’associer à lui pour la trancher. Vous pouvez en déduire ce qu’il convient de faire, en la matière.

B) La synagogue, avec tout ce qui la concerne, est un lieu public, à la disposition du plus grand nombre. En conséquence, il est clair que ses membres doivent réagir, si la table de lecture n’est pas placée au milieu ou bien si quelques femmes prennent place là où se trouvent les hommes ou encore s’il n’y a pas du tout de séparation entre les hommes et les femmes. Or, on leur a expliqué que, d’après le Choul’han Arou’h, ces pratiques sont interdites, mais ils répondent qu’aux Etats Unis, tout est différent. Ce point a été discuté par les dirigeants de la synagogue et le Rav s’est conformé à leur avis.

En pareil cas, il ne s’agit pas de la faute d’une personne, ni même d’une faute tout court, mais bien d’une modification fondamentale du Choul’han Arou’h et de notre sainte Torah. Dès lors, peu importe que le Rav se définisse comme orthodoxe ou non. Et, je suis heureux de pouvoir ajouter que plusieurs jeunes Rabbanim de ma connaissance, dont la synagogue se trouve dans la situation qui vient d’être décrite, y proclament, bien au contraire, qu’une séparation entre les hommes et les femmes est indispensable, d’après le Choul’han Arou’h. Et, de temps à autre, ils inscrivent de nouveau ce point à l’ordre du jour de la direction de la synagogue.

C) Est-il permis de s’associer, dans les conditions qui viennent d’être décrites, avec un Rav dont la synagogue possède un microphone et qui s’en sert lui-même, pendant le Chabbat(4) et les fêtes, ou bien ne dispose pas d’une séparation entre les hommes et les femmes ?

Tous ceux qui connaissent un tant soit peu la technique savent que l’usage du microphone, pendant le Chabbat et les fêtes, est une interdiction tranchée, selon une disposition de nos Sages et peut-être même d’après un principe de la Torah. Or, cela se passe dans une synagogue et reçoit donc une large diffusion. Bien plus, pour reprendre l’expression du verset, il s’agit de “ séduire la reine alors que je me trouve moi-même à la maison ”(5). Le Choul’han Arou’h indique de quelle manière il faut considérer celui qui transgresse le Chabbat publiquement, en particulier quand il se présente comme un Rav, c’est-à-dire comme le guide spirituel d’une communauté.

Il est, bien entendu, totalement exclu de s’associer à une telle personne, dans le cadre d’un tribunal rabbinique, pour trancher la Hala’ha. Naturellement, la meilleure séparation entre les hommes et les femmes n’y change strictement rien. De même, le fait que le Rav proteste contre l’utilisation du microphone et prétende qu’on l’oblige à le faire, ne modifie rien à cette situation. Il n’en est pas moins quelqu’un qui transgresse le Chabbat et, quelles que soient les pressions que l’on exerce sur lui, il est, bien sûr, impossible d’imaginer qu’il y ait là un cas de force majeure, autorisant cette effroyable transgression du Chabbat.

Puisse D.ieu permettre à tous ceux qui surmontent cette épreuve de prendre conscience de la vérité, d’écarter la conception erronée selon laquelle, en acceptant le compromis(6), ils rapprocheront les membres de la synagogue, assureront leur subsistance et recevront les honneurs. Avant tout, on reconnaîtra qu’ils ne sont pas des bons à rien, issus d’une autre époque. En effet, ces dernières années, aux Etats Unis, on peut assister à la situation inverse à celle-ci. Les membres des communautés commencent à reconnaître la vérité. Ils comprennent que celui qui accepte le compromis sur un tiers de l’ensemble n’a aucune raison de s’arrêter là, qu’il ira jusqu’à la moitié, puis à la quasi-totalité. Il peut s’agir d’un bon orateur, d’un responsable communautaire efficace, apprécié par les autres membres et par leur famille. Au fond d’eux, ceux-ci le méprisent, car ils le savent dépendant du salaire qu’ils lui accordent. Et, selon l’expression de nos Sages, “ aujourd’hui, il lui demande cela ”(7).

Notes

(1) Le Rav Y. Rakovski, de Miami.
(2) Voir, à ce sujet, la lettre n°4306.
(3) Comité des rabbins de New York et conseil des synagogues.
(4) Voir, à ce sujet, la lettre n°5378.
(5) Défier D.ieu dans l’endroit conçu pour Le servir.
(6) Voir, à ce sujet, la lettre n°5378.
(7) Puis, à terme, le mauvais penchant le conduit à servir les idoles.