Lettre n° 7139

Par la grâce de D.ieu,
3 Tévet 5720,
Brooklyn,

A monsieur Moché(1),

Je vous salue et vous bénis,

Je vous exprime, par la présente, ma profonde reconnaissance pour votre effort et vos actions afin de sauver les tomes du saint Zohar portant les commentaires(2) de mon père(3), dont le mérite nous protégera. Ceux-ci viennent de me parvenir. Outre leur valeur intrinsèque, la délivrance de paroles de la Torah, il est bien clair que, pour moi, il y a, en l’occurrence, une émotion personnelle, comme pour tout ce que l’on reçoit en héritage de ses pères, en particulier quand je me rappelle de l’effort, de la peine et, en même temps, de l’enthousiasme de mon père, quand il réalisa tout cela. Puisse D.ieu faire que, pendant de nombreuses années encore, vous vous consacriez à la Torah et aux Mitsvot, en général et, plus spécifiquement, d’une manière positive, à cette grande Mitsva consistant à libérer les captifs.

Selon l’enseignement de la ‘Hassidout, la mission sacrée qui est confiée à l’homme, celle de transformer la matière consiste, en fait, à libérer les parcelles de sainteté qui se trouvent en exil, à délivrer l’âme divine de l’homme, elle-même une parcelle spécifique de la Présence divine que chacun porte en lui, comme l’explique l’Admour Hazaken dans différents textes, en particulier le Tanya, au chapitre 4 d’Iguéret Ha Kodech. Vous accomplirez tout cela dans le calme et la satisfaction, d’une manière sans cesse accrue et toujours plus lumineuse. Avec mes respects et ma bénédiction, je conclus comme j’avais commencé en vous remerciant encore pour tout cela,

N. B. : Ce qui va suivre ne correspond peut-être pas à ce qui est dit plus haut. Malgré cela, j’ai pensé qu’il était de mon devoir de vous écrire l’un et l’autre afin de mettre en pratique le Précepte : “ Vous serez déchargé de votre devoir envers D.ieu et envers Israël ”. D’après une information qui m’a été transmise, vous auriez été étonné de ne pas recevoir de réponse à votre lettre dans laquelle vous me décrivez votre visite en Russie soviétique. Or, je ne vous ai pas répondu pour deux raisons, que nos Sages nous enseignent :

A) “ Tout comme il est une Mitsva de dire ce qui va être entendu, il en est une également…(4) ”.

B) “ On ne répond pas…(5) ”.

Je m’expliquerai après avoir introduit l’idée suivante. Il est bien clair que la finalité des visites des enfants d’Israël dans le pays où nous vivions auparavant(6), à mon sens et sûrement au vôtre également, est de renforcer la personnalité juive de ceux qui se trouvent là-bas, de les réconforter en leur montrant que nombre de nos frères sont du même avis qu’eux et, s’ils vivaient eux-mêmes dans des conditions similaires, ce qu’à D.ieu ne plaise, ils lutteraient à leur tour pour conserver leur personnalité juive, surmonteraient les épreuves et les combats. En vous rendant là-bas et dans la mesure où il vous a été possible d’entrer en contact véritable avec de telles personnes, vous avez dû réfléchir à leur vie, à leurs difficultés. Vous avez observé que, même s’ils dépendent, en tout point, d’ennemis luttant en permanence contre la Torah et les Mitsvot, ils les respectent néanmoins, dans toute la mesure de leurs possibilités, jusqu’à se mettre en danger de manière concrète et porter atteinte à leur situation matérielle, ne plus avoir les moyens de gagner leur vie. Or, ils n’ont pas peur, y compris envers leurs enfants, d’adopter un tel comportement, pourvu qu’ils restent ainsi fidèles à la Torah et à ses Mitsvot. Ils fixent donc un temps pour étudier la Torah, chaque fois qu’ils disposent d’un moment libre, ils respectent le Chabbat et les fêtes. Bien entendu, ils mangent cacher, bon nombre d’entre eux portent même la barbe et les Péot, bien qu’il s’agisse de signes extérieurs évidents de leur qualité de Juifs pieux et il est d’autres points que l’on pourrait citer également. Certes, on peut imaginer que ceux qui portent la barbe et les Péot évitent d’avoir des contacts avec les visiteurs venus d’ailleurs, étant espionnés d’une manière beaucoup plus sérieuse et sachant qu’on peut les mettre en accusation pour chacun de leur mouvement. Il est donc probable que vous ne les ayez pas rencontré. J’ai, cependant, bon espoir qu’on vous a parlé d’eux.

Après cette introduction, imaginez-vous ce que doit être la réaction de nos frères, les enfants d’Israël, qui vivent ainsi depuis des décennies, lorsqu’ils sont les témoins d’une telle situation. Quand ils ont le mérite de rencontrer des Juifs venant de pays dans lesquels on peut se consacrer à la Torah et aux Mitsvot sans aucun obstacle ou, combien plus, de Terre Sainte, ils s’aperçoivent que ces visiteurs, en chacun de leurs mouvements, s’efforcent de ne pas pouvoir être identifiés comme des Juifs, par leur apparence physique, par leur manière de s’habiller, par les Tsitsit. Quand ils les interrogent, d’une manière fine et indirecte, afin de ne pas les humilier, ce qu’à D.ieu ne plaise, sur ce qu’ils font et sur la manière dont ils profitent de la liberté absolue dont ils jouissent pour étudier la Torah et pratiquer les Mitsvot, ils reçoivent la réponse suivante. Tel est un footballeur reconnu et tel autre une étoile du théâtre. Or, les meilleurs d’entre eux respectent la Torah et les Mitsvot, investissent la plus large part de leur empressement et de leurs forces dans l’étude. Ils fréquentent également l’université communiste, de manière libre et sans obstacle. Pour autant, ils fixent effectivement un temps afin d’apprendre notre sainte Torah, Torah de vie. On peut donc se demander si la rétribution d’une visite qui a pour but de réconforter nos frères se trouvant là-bas, surpasse réellement le dégât qui se trouve ainsi causé(7). Je ne vous cacherai pas que, dès réception de votre lettre, relatant votre voyage, j’ai voulu vous écrire tout cela, mais je me suis demandé ce qui en résulterait. J’ai donc préféré me taire, à cause des deux principes mentionnés ci-dessus.

Pour conclure d’une manière “ agréable ” et ajouter une “ consolation ” à tout ce qui vient d’être dit, je préciserai qu’une délégation de jeunes rabbins américains s’était rendus là-bas, en visite, deux ans avant vous. Or, d’après ce qui a été dit, le doute que l’on pouvait soulever sur leur visite était beaucoup plus important que celui de votre propre visite, avec vos amis. En effet, leur déplacement a eu un caractère officiel et ils se sont présentés en tant que rabbins. Or, la réaction que l’on a manifestée là-bas peut être déduite de la question concise et allant droit au but qui leur a été posée sur place, au nom de ces Juifs, pas nécessairement ceux qui sont religieux, et même des non Juifs. Ils ont précisé qu’il y a, parmi eux, également des footballeurs et qu’il était inutile d’être venu des Etats-Unis uniquement pour cela. Vous voudrez bien m’excuser pour ce qui vient d’être dit. Je l’ai fait, néanmoins, en me contenant et en contractant largement mes propos. En effet, mon objection ne porte pas uniquement sur votre visite. Envers quelqu’un comme vous, celle-ci est plus profonde, plus intérieure, émanant véritablement de l’âme.

Après tout ce qu’ont vécu nos frères, les enfants d’Israël, la responsabilité de ceux qui restent, “ tisons sauvés des flammes ”, est infiniment plus grande, surtout quand ils résident en Terre Sainte, puisse-t-elle être restaurée et rebâtie. Ceux-ci se doivent de remplacer, dans la mesure du possible, ce qui aurait pu être accompli par toutes les personnes mortes en sanctifiant le Nom de D.ieu(8), dans les domaines qui nous distinguent de toutes les autres nations, c’est-à-dire la Torah et les Mitsvot, pratiquées aux yeux de tous. On se démarque ainsi du slogan que les tenants de la Haskala avaient auparavant adopté : “ Sois un Juif dans ta maison et un homme à l’extérieur de celle-ci ”, dont les conséquences apparaissent à l’évidence en leurs descendants, à la seconde ou à la troisième génération.

Pour formuler tout cela simplement, je dirais que les jeunes de notre génération, celle des persécutions, considérant qu’ils ne doivent pas changer l’optique adoptée par le monde il y a trente ou cinquante ans, ce qui est particulièrement difficile, ont le devoir d’établir leur propre bilan moral, de comprendre qu’ils remplacent la fine fleur de notre peuple, les enfants d’Israël. Ils doivent marcher dans la rue de telle façon que tous ceux qui les observent reconnaissent en eux des descendants d’Avraham, d’Its’hak et de Yaakov. Plus encore, en Terre Sainte, puisse-t-elle être restaurée et rebâtie, on doit pouvoir vérifier qu’ils respectent la Torah et les Mitsvot, de la manière qui est nécessaire. En effet, il ne suffit pas qu’ils parlent l’Hébreu. Il faut qu’en les rencontrant dans la rue, on puisse se dire qu’ils viennent de Méa Chéarim. Puis, on leur demandera comment et de quelle manière ils passent leur temps. Ils répondront alors, comme s’il s’agit de la plus grande évidence, qu’ils se consacrent à l’étude de la Torah et à la pratique des Mitsvot. Mais, selon l’ordre que D.ieu a instauré en son monde, il leur est également nécessaire de gagner leur vie. Ils exercent donc un métier, de manière accessoire, sans qu’il faille y investir un large effort et sûrement pas toutes les forces de son intellect ou, plus généralement, toute sa pensée, dans des domaines qui enthousiasment également les non Juifs.

Certes, vous pourriez me demander pourquoi l’on ne retrouve pas le même message et la même requête, de la part de tel Rav ou de tel dirigeant. La raison en est peut-être les deux principes précédemment énoncés. Mais, avant tout, il faut dire que cette question ne se pose pas et qu’il n’y a pas lieu d’y répondre. En effet, de deux choses l’une : si elle se pose réellement, que l’on accepte la vérité de celui qui l’énonce et, si elle ne se pose pas, il faut trouver un autre moyen d’écarter l’argument qui a été soulevé. Comme je l’ai dit, tout cela s’applique aux jeunes Juifs, en tout endroit où ils se trouvent, et avant tout, en Terre Sainte, puisse-t-elle être restaurée et rebâtie et, plus spécifiquement à ceux que l’on observent comme des représentants du Judaïsme, quel que soit le milieu auquel ils appartiennent. Avec mes respects et ma bénédiction,

Notes

(1) M. M. Shouv, de Tel Aviv.
(2) Rédigés en exil, à même les exemplaires du Zohar et qui furent publiés par la suite sous le titre de “ Likouteï Lévi Its’hak ”.
(3) Voir, à ce sujet, la lettre n°5905.
(4) De ne pas dire ce qui ne sera pas entendu.
(5) Aux propos hérétiques.
(6) La Russie.
(7) Auprès de ces Juifs qui observent ainsi que ceux qui vivent dans des pays libres et pourraient se consacrer à la Torah et aux Mitsvot ne le font pas.
(8) Pendant la seconde guerre mondiale.