Lettre n° 7558

Par la grâce de D.ieu,
6 Chevat 5721,
Brooklyn,

Au grand Rav, distingué ‘Hassid qui craint D.ieu et se
consacre aux besoins communautaires, homme généreux,
aux multiples connaissances, le Rav C. Y.(1),

Je vous salue et vous bénis,

Après une longue interruption, qui m’inquiétait déjà et qui, selon votre courrier, s’explique uniquement par des raisons accessoires, j’ai bien reçu votre lettre de Roch ‘Hodech Chevat et je répondrai aux différents points dans l’ordre :

A) S’agissant du grand Rabbinat(2), il n’est pas du tout établi que cela soit repoussé de plusieurs mois, puisque, discrètement, les négociations se poursuivent et les parties les plus importantes, qui sont impliquées dans cette affaire, formulent encore des propositions de type commerciale, comme : “ garde-moi ceci et je te garderai cela ”. Et, qui sait ce qu’il adviendra, quels rebondissements on constatera qui modifieront ces négociations ? Un autre point est important également, pour lequel j’ai clairement exprimé ma position à plusieurs ‘Hassidim. Certains, à ma surprise, sont encore dans le doute, en la matière, peut-être parce que telles sont leurs propres conceptions, mais ils trouvent le moyen de faire dépendre leur avis du mien, qui peut être à l’opposé du leur. Vous devriez donc publier un extrait de ma lettre(3), énonçant concrètement les trois points suivants :
1. Il est dommageable de retarder ces élections.
2. Pour qu’elles aient lieu, il doit y avoir des électeurs. Or, pour les Ashkénazim, il n’y a qu’un seul candidat.
3. S’agissant des Sefardim, il est une humiliation de la Torah et du Rabbinat de démettre un Rav de ses fonctions.
Une telle publication pourrait faire échec à la tentative de faire dépendre de moi des “ cruches vides ” et peut-être même cela aurait-il une influence sur le déroulement des événements.

B) Vous faites référence au Rabbinat de la ville sainte de Jérusalem, puisse-t-elle être restaurée et rebâtie. Je ne connais pas les candidats que vous citez. En tout état de cause, je suis de votre avis pour ce qui concerne votre propre candidature. Cela n’est en aucune façon votre affaire.

C) S’agissant de votre commentaire du Tana’h(4), vous faites référence à l’interprétation scientifique d’un certain professeur sur laquelle j’aurais exprimé mon avis. Je suis particulièrement surpris par cette rumeur. Il me semble que j’entends parler pour la première fois de ce travail, même si : “ ce qui n’incombe pas à l’homme… ”(5). Toutefois, si j’en juge par les quelques points figurant dans votre lettre, celle-ci n’est pas du tout adaptée, puisqu’il s’agit, en l’occurrence, de rédiger un commentaire traditionnel du Tana’h. Certes, j’ai parlé d’une compilation de plusieurs versions et de différentes éditions, mais j’ai aussitôt expliqué ce que je voulais dire. Je faisais référence, par exemple, à l’édition du professeur Kitel, qui présentent en marge, plusieurs versions, à la fois imprimées et manuscrites. Bien entendu, je ne faisais nullement référence à une analyse critique des versets, ce qu’à D.ieu ne plaise.

D) Vous m’interrogez sur ce que je disais, dans ma lettre, à propos du commentaire du Metsoudat Tsion et du Metsoudat David(6). Je me basais sur le fait que ces commentaires sont maintes fois cités par la ‘Hassidout. En outre, peut-on négliger la constatation selon laquelle ils soient enseignés dans le ‘Héder traditionnel, en lequel des générations d’enfants ont étudié la Torah et grâce auquel ils ont pu, par la suite, vivre leur vie en conformité avec cette Torah et avec la Tradition ?

E) Vous me demandez pourquoi on ne pourrait rédiger des commentaires nouveaux, d’autant qu’on rapporte une telle pratique au nom de Rachi, comme le précise son petit-fils, le Rachbam. La différence est très simple, selon une précision de l’Admour Hazaken, cité par le Rabbi Rachab dans la séquence de discours ‘hassidiques de 5672(7), dans la partie qui n’a pas été éditée(8) : “ Tous les commentateurs, jusqu’au Toureï Zahav et au Sifteï Cohen compris, ont rédigé leurs ouvrages avec l’inspiration divine ”, comme le rapporte le Hayom Yom, à la date du 6 Chevat. De fait, j’ai trouvé, par la suite, que la même explication était énoncée par le Chéérit Israël, dans son commentaire de Soukkot, du Maharid de Vilendik, qui la rapporte au nom du Ribach, lequel, vraisemblablement, n’est autre que le Baal Chem Tov.

F) Il convient de formuler également une autre remarque. Il faut, bien au contraire, s’étonner que l’on ne veuille pas se contenter des commentaires précédents(9), au moins dans le but d’établir le sens simple du verset, ce qui permet d’étudier le Tana’h et de bien le comprendre. Même si l’on veut mentionner les récentes découvertes, on peut le faire en marge et il n’est nul besoin de rédiger un nouveau commentaire pour cela. De fait, si l’on considère la situation, à notre époque, il est surprenant que la demande de retour aux sources émane précisément de la jeune génération. Néanmoins, ceux qui, dans leur jeunesse, ont dû lutter contre les tenants de la Haskala(10), ont encore l’impression que les jeunes souhaitent, eux aussi, une telle lutte. Ils emploient donc des stratagèmes et des armes qui n’ont nullement lieu d’être. Or, le traité Chabbat 63a dit, à propos des armes matérielles : “ Si elles ne sont pas utiles, elles ne sont pas belles ”. Quand aux armes morales, elles sont, en outre, nuisibles(11). Et, la littérature permet de le vérifier concrètement. Selon la nouvelle terminologie, celle-ci est qualifiée d’apologétique et l’on en souffre jusqu’à ce jour. On peut ranger dans cette catégorie le commentaire Or Ha ‘Haïm, de l’auteur du Tiféret Israël, les livres du Rav Hirsch et d’autres encore. De fait, il y a de nombreuses générations, il y avait déjà le commentaire de Philon d’Alexandrie, qui s’appelait Yedidya. Tous avaient une bonne intention, ils ont voulu adapter, enjoliver. Mais, le résultat est sans rapport avec la réalité, avec la vérité. Vous devez comprendre ce que je veux dire.

Le Tanya, au début du second chapitre et dans Iguéret Ha Kodech, au chapitre 15, de même que d’autres textes citent, au nom du Zohar(12), le fait que : “ celui qui souffle le fait de toute son intériorité ”. Il me semble que cette citation n’apparaît pas dans la version du Zohar ou des Tikouneï Zohar qui est en notre possession. On la trouve, en revanche, dans les livres des premiers Sages(13). Vous vous préparez sûrement au jour de la Hilloula de mon beau-père, le Rabbi, qui sera le 10 Chevat, de la manière qui est décrite dans la lettre de celui dont nous célébrons la Hilloula(14), à propos de celle de son père, le Rabbi Rachab. Puisse D.ieu faire que les préparatifs et les actions de ce jour propice connaissent la réussite. Leur effet se prolongera tout au long de l’année, dans la tranquillité, la joie et l’enthousiasme. Avec mes respects et ma bénédiction afin de donner de bonnes nouvelles,

M. Schneerson,

Notes

(1) Le Rav Chlomo Yossef Zevin, de Jérusalem. Voir, à son sujet, la lettre n°7476.
(2) Et, des élections devant avoir lieu pour choisir les deux grands Rabbins d’Israël. Voir, à ce sujet, la lettre n°7474.
(3) Il s’agit de la lettre n°7515.
(4) Voir, à ce sujet, la lettre n°7488.
(5) Celui-ci n’y pense pas. Voir la lettre précédente.
(6) Sur l’importance de ces commentaires.
(7) 1912.
(8) Actuellement dans le tome 3 du Séfer Ha Maamarim 5672, à la page 1385.
(9) Et, que l’on cherche à en introduire de nouveaux.
(10) Du siècle des lumières.
(11) Si elles ne sont pas utiles.
(12) Voir, à ce sujet, la lettre n°7591.
(13) Le Rabbi note, en bas de page : “ On trouve cette citation, faite au nom de nos Sages, en particulier dans le Emek Ha Méle’h, à la page 127c, qui dit : ‘Il insuffla dans ses narines une âme de vie : nos Sages disent que celui qui souffle le fait par l’essence de lui-même’. Vous verrez aussi l’introduction du Chéfa Tal, qui dit : ‘Il insuffla : on sait que quiconque souffle le fait par l’essence de lui-même’. Vous consulterez, en outre, le commentaire du Ramban sur le verset Béréchit 2, 7, celui du Be’hayé sur le verset Yethro 20, 7. Certains disent que cette citation figure également dans le Séfer Ha Kané, mais je n’en dispose pas ”.
(14) Voir les Iguerot Kodech du précédent Rabbi, tome 1, lettre n°72 et tome 2, lettre n°432.