Lettre n° 7755

Par la grâce de D.ieu,
23 Elloul 5721,
Brooklyn,

Au jeune ‘Hassid qui craint D.ieu, élève
de la Yechiva, le Rav Aharon(1),

Je vous salue et vous bénis,

J’ai reçu, avec plaisir, votre lettre et les feuillets de correction du Pirouch Ou Pisskeï Ha Rid(2) sur le traité Chabbat, dont vous avez eu le mérite de travailler le manuscrit et de préparer la publication. Heureuse est votre part, puisque vous avez l’avantage de vous consacrer à l’enseignement des premiers Sages, qui sont comparés à des anges, des maîtres des Tossafot, desquels nous recevons la vie. Bien souvent, par leur formulation limpide et concise, ceux-ci illuminent la voie, dans l’océan du Talmud, de sorte que les questions et les contradictions sont d’emblée écartées.

Vous connaissez, à ce sujet, le dicton de mon beau-père, le Rabbi, rapporté au nom de ses ancêtres, nos maîtres et chefs, soulignant que les premiers Sages, en quelques lignes, pouvaient préciser une notion complexe et définir la Hala’ha, concrètement applicable, d’une manière lumineuse, alors que les derniers Sages discutent longuement la Torah, pèsent le pour et le contre, mènent le “ combat de la Torah ” avant d’adopter une conclusion, laquelle, malgré cela, n’est pas aussi évidente, pas aussi lumineuse que celle des livres des premiers Sages.

Une image a été énoncée, à ce propos. Un homme se trouvant dans un palais large et lumineux trouvera aussitôt ce qu’il recherche, une porte ou bien une fenêtre. Mais, il n’en est pas ainsi, en ces dernières générations. L’obscurité s’est renforcée, jusqu’à devenir palpable. Les sentiments se sont atrophiés. L’homme qui est dans le palais et veut en trouver la porte doit donc tâtonner pour découvrir une ouverture, puis rechercher la preuve qu’il s’agit bien là de la porte conduisant vers l’extérieur, ou bien d’une simple fenêtre ouverte, ou encore d’une fenêtre fermée. Ces preuves pourront aussi être indirectes, détournées. Or, ce que l’on entend et que l’on comprend ne peut pas être comparé à ce que l’on voit. On définit, dans la compréhension, tous ces stades, la conclusion à l’issue d’une analyse, la réfutation des objections, la preuve intellectuelle, conférant une vision claire de l’idée, au point que toutes les questions, tous les doutes, ne puissent remettre en cause la conclusion, ni même l’affaiblir. Et, l’on a coutume de citer, à ce propos, la preuve suivante : “ Rav se tût ”. On souleva des objections contre sa décision hala’hique, mais, pour autant, lui-même ne revint pas sur sa position(3) car il était bien évident, dans son esprit, que la conclusion finale devait effectivement être celle-ci, malgré les questions et les arguments soulevés.

Puisse D.ieu faire que vous multipliez votre force dans l’étude de la Torah, à la fois de sa partie révélée et de sa dimension profonde, puisqu’elle est une Torah unique. Comme le précisent nos Sages, cette étude conduira à l’action, ce qui inclut aussi la publication de tels ouvrages. Ainsi, le commentaire que vous établirez de ces textes et de ces notions sera conforme à la vérité. Pour cela, vous étudierez en vous pénétrant de crainte de D.ieu, en vous soumettant à Lui. Car, c’est bien de cette façon que l’on établit la vérité. Comme le soulignent nos Sages, dans le traité Sanhédrin 93b, à propos du verset : “ L’Eternel est avec lui ”, on peut être en mesure de discuter et de prendre part au combat de la Torah, de faire des déductions et d’en tirer des conclusions concrètes. Malgré cela, pour pouvoir établir la vérité et voir son avis retenu par la Hala’ha, il faut que s’accomplissent les termes de cette affirmation : “ l’Eternel est avec lui ”. Or, il est dit que : “ Il réside avec celui qui est humble et modeste ”. Vous consulterez, à ce sujet, le discours ‘hassidique intitulé : “ Et, Il dit… Je suis… ”, de 5627(4), de même que le suivant. Avec ma bénédiction de réussite en tout cela, afin d’être inscrit et scellé pour une bonne année,

Mena’hem Schneerson,

En signe d’appréciation, je formulerai quelques remarques, bien que le temps soit précieux pendant ce mois d’Elloul, en ces jours de miséricorde et de bon vouloir, a fortiori durant la période des Seli’hot, que l’on consacre à la prière et aux supplications, en se joignant à la communauté et en épanchant son cœur comme de l’eau devant notre Père Qui se trouve dans les cieux, Roi Qui désire la vie.

Remarque générale : Dans différents passages de ce livre, vous reproduisez le texte du Talmud en l’état, sans rien y ajouter, sans même le commenter, y compris quand il ne s’agit pas d’une décision et que cela ne concerne pas la Hala’ha. Par exemple, à la page 156, il est rapporté : “ Rabbi Eléazar dit : comme le gouverneur à sa tête… ”. Or, l’auteur possédait peut-être différentes versions de ces textes et sa citation avait, en l’occurrence, pour but d’établir la plus exacte. Dans votre ouvrage, il n’y a pratiquement pas d’explication sur la partie midrashique de ce traité.

A la page 1 : “ Les sorties, pendant le Chabbat, sont deux qui font quatre, à l’extérieur… à l’intérieur ”(5). Une note précise que telle est la version de la Michna de Cambridge, parue en 5662(6), d’abord “ à l’extérieur ”, ensuite “ à l’intérieur ”. Or, la Michna des éditions Rohm cite les différentes versions et l’on peut constater qu’aucune autre n’est identique à celle-ci. Il est donc difficile de comprendre que l’on ne retrouve pas trace de la version qui a été choisie par le Rid. Toutefois, si l’on en fait une analyse plus précise, on parviendra à la conclusion que l’auteur, le Rid, adopte lui-même la version mentionnant d’abord “ à l’intérieur ”, puis “ à l’extérieur ”. C’est pour cela qu’il commence son explication par : “ Ces sorties du Chabbat sont au nombre de deux, d’après la Torah, à l’intérieur et au nombre de deux, d’après la Torah, à l’extérieur ”.

Même si l’on admet que les commentateurs citent, en premier lieu, ce qui a été dit en dernier, on doit convenir que cette interprétation ne peut pas être la bonne, dans le cas présent, puisque l’analyse commence par “ ces sorties du Chabbat ”, soit les premiers mots de la Michna. Par la suite, on peut constater également que l’auteur retient d’abord “ à l’intérieur ” et ensuite “ à l’extérieur ”, dès lors qu’il dit, au bas de la page 2 : “ C’est là l’explication, deux à l’intérieur et deux à l’extérieur ”, puis, au bas de la page 3 : “ Il précise… il y a donc deux introductions vers l’intérieur et deux sorties vers l’extérieur ”. Pour résoudre la contradiction entre la citation de la Michna et son commentaire, on peut avancer l’explication suivante.

Plusieurs, parmi les premiers Sages commentant le Talmud, n’en citent pas les termes comme titre de leur explication, si ce n’est deux ou trois mots. Parfois, ils notent leur précision à même l’exemplaire du Talmud. C’est bien ce qu’a fait le Rid, en l’occurrence. En l’occurrence, le copiste qui en a reproduit le texte n’était pas méticuleux, puisqu’il n’a pas remarqué cette inversion. Il ne s’est donc pas posé de question non plus sur la retranscription de la Michna, ou peut-être disposait-il de l’édition de Cambridge. En tout état de cause, une personnalité aussi importante que le Rid ne peut pas avoir opté pour cette version et c’est pour cela que l’on n’en trouve pas l’équivalent par ailleurs, comme on l’a constaté, bien que les disciples du Rid aient été nombreux.

A la même référence : “ à l’intérieur : il s’agit d’introductions ”. Il convient de noter que ceci est conforme au commentaire de Rachi sur le traité Chevouot 5a, mais non à ce que disent Rachi et les Tossafot, à la présente référence.

A la même référence, “ qui sont quatre ” : Il n’y a pas là le début d’un nouveau paragraphe, mais seulement la continuation du premier, qui se conclut par : “ et, chez le pauvre ”, à la fin du passage commenté ici. Par la suite, les mots : “ et la Guemara s’interroge ” introduisent un développement nouveau.

A la fin du livre : A la page 489, il est noté : “ Qu’a-t-on dit ”. En fait, peut-être faut-il lire : “ Qui a dit ”.

A la même référence : “ Je m’occupe afin de me détendre et je n’ai pas besoin de savoir la mesure de cette eau ”(7). Le Rid ajoute la précision suivante(8) : “ afin de me détendre ” et l’on doit rechercher si cet ajout ou bien son équivalent se retrouvent également chez d’autres commentateurs. Ceci peut être rapproché du fait de jouer au ballon pendant le Chabbat. En effet, une mesure est alors nécessaire(9), mais, dès lors qu’on l’effectue uniquement pour s’occuper, cela est permis. En pareil cas, la mesure a une finalité ludique et il est inutile de connaître celle de l’eau(10). Tel est l’opinion du Avi Ha Ezri sur le Tour Ora’h ‘Haïm, à la fin du chapitre 306, qui donne la permission de mesurer trois fois une distance de trois coudées puis de réciter une formule incantatoire. En effet, il y a seulement là un moyen de s’occuper(11).

Toutefois, on peut aussi interpréter le terme “ se détendre ” au sens d’un amusement, d’un acte léger, comme dans le verset Michlé 26, 19 : “ Je m’amusais ”(12). En pareil cas, il ne s’agit nullement de mesurer, mais uniquement d’avoir une occupation. Vous verrez, à ce propos, l’explication de Rabbénou ‘Hananel, qui dit : “ Je ne fais que m’occuper, ce qui veut dire que je mesure sans avoir l’intention de le faire ”. De même, l’Admour Hazaken, dans son Choul’han Arou’h, chapitre 306, aux paragraphes 18 et 19, précise : “ celui qui mesure sans que cela lui soit utile, d’une quelconque façon ”. C’est dans ce cas que cela est permis. En l’occurrence, la récitation d’une formule incantatoire suppose une mesure, mais celle-ci est permise puisqu’elle est motivée par une Mitsva. En tout état de cause, cette analyse doit encore être approfondie. Et, puisque l’on parvient à une telle conclusion, on peut s’interroger également sur la raison pour laquelle le Rambam, le Choul’han Arou’h et le Rama ne rapportent pas le principe selon lequel il est permis de mesurer s’il s’agit uniquement de s’occuper(11).

A la même référence, “ le tonneau a été pris ” : Peut-être faut-il, en fait, dire ici : “ Il prend le tonneau ”.

A la même référence, dans la note : “ Béni soit D.ieu Qui… ”. Il semble que cela signifie : “ Béni soit D.ieu Qui nous est venu en aide ”(13).

Notes

(1) Le Rav A. Chitrik.
(2) “ Commentaire et Décisions hala’hiques de Rabbi Ichaya Ditrani ”.
(3) Le Rabbi note, en bas de page : “ Traité Beïtsa 6a. Et, la plupart des Décisionnaires adoptent l’avis de Rav. A ce sujet, vous consulterez, en particulier, à cette référence, le Ran, le Roch, les Hassagot Ha Rabad sur le Razah, au traité Soukka 7a, le Kountrass Ha Ramé et le Chivreï Lou’hot. Tel n’est cependant pas l’avis des Tossafot, au traité Baba Batra 62a ”.
(4) 1867, du Rabbi Maharach, grand-père du Rabbi précédent.
(5) Voir la première Michna du traité Chabbat.
(6) 1902.
(7) De façon générale, il est interdit de mesurer pendant le Chabbat. Néanmoins, cela sera permis si on le fait uniquement pour s’occuper, sans que cette mesure ait une utilité intrinsèque.
(8) Qui ne figure pas dans le Talmud.
(9) Dans le cadre de ce jeu.
(10) Qui est mesurée dans le cas cité par le Talmud.
(11) Donc sans utilité intrinsèque.
(12) “ Ainsi fait l’homme qui abuse son prochain et explique : ‘Je m’amusais’ ”.
(13) Formule traditionnelle de conclusion d’un traité talmudique.