Lettre n° 8475

Par la grâce de D.ieu,
23 Tamouz 5722,
Brooklyn, New York,

A l’attention de monsieur Moché Maizlich(1),

Je vous salue et vous bénis,

Je viens d’apprendre le décès de votre épouse, puisse-t-elle reposer en paix. D’après mes informations, la période du deuil(2) est désormais passée. Puisse donc D.ieu faire que ce deuil disparaisse, avec tout ce qui le concerne, pour chacun et pour tous, que vous ne connaissiez maintenant que le bien, avec tous les vôtres, auxquels D.ieu accordera de longs jours et de bonnes années, soit, selon la formulation de la ‘Hassidout, un bien visible et tangible, à la fois matériellement et spirituellement.

Les ‘Hassidim ‘Habad racontent(3) que, lors du décès de la Rabbanit(4), épouse du Tséma’h Tsédek, celui-ci porta le deuil pendant une longue période et il refusa de se consoler. Puis, l’un de ses proches vint le voir et il lui dit : “ Le Rabbi(5) ne nous a-t-il pas rapporté le commentaire que font nos Sages(6) du verset : ‘Vois la vie avec la femme que tu aimes ”, selon lequel ce terme fait ici allusion à la Torah ? ”. Le Tséma’h Tsédek lui répondit : “ Tu m’as rendu la vie ! ”. Dès lors, son état d’esprit en fut transformé. Or, on peut réellement s’interroger sur ce récit. Le Tséma’h Tsédek n’avait-il pas lui-même connaissance de cette explication ? A n’en pas douter, celle-ci lui était venue à l’esprit, à différentes reprises, pendant la période du deuil. Que réalisa donc cet homme, en la lui rappelant et comment fut-il ainsi à l’origine d’un changement aussi extrême dans l’existence quotidienne du Tséma’h Tsédek ? En fait, une idée, uniquement exprimée par la pensée, n’est plus la même, quand elle est formulée dans le monde de la parole, bien qu’elle semble ne pas avoir été changée. Car, “ nul ne peut se libérer lui-même de sa propre prison ”(7) et ceci est vrai, de la même façon, pour les plus grands. Avec mes respects et ma bénédiction afin que vous me donniez de bonnes nouvelles,

N. B. : Je dois ajouter qu’avant d’entreprendre la rédaction de la présente, m’est venu à l’esprit un dicton qui est répandu ici, dans la ville en laquelle nous sommes parvenus, aux Etats-Unis : “ mind your own business ”(8). A fortiori en est-il ainsi pour un homme qui est dans la peine. Puis, cette interrogation m’a elle-même apporté la réponse. En effet, la formule que l’on prononce devant celui qui est dans la peine est, précisément : “ parmi les autres endeuillés de Sion et de Jérusalem ”(9). Cela veut dire qu’il ne s’agit pas d’une affaire personnelle, que tous les endeuillés de Sion et de Jérusalem sont impliqués également. De fait, ils prennent part à la consolation. Puis, me consacrant à la rédaction de cette lettre, j’ai pensé à un autre point, mais je me suis demandé si je devais en faire mention ici. Il s’agit de ma réaction à votre courrier de la fin de Nissan, auquel je n’ai pas encore répondu. En effet, il semble que vous mainteniez fortement votre position et que votre décision soit déjà prise de manière définitive. En l’occurrence, vous m’excuserez de déplorer que vous ayez décidé de ne pas agir à l’extérieur de vos quatre coudées et au sein de votre entourage. De fait, il est, pour certaines personnes, très difficile de changer d’avis. Cela est comme une servitude qui leur serait imposée.

En tout état de cause, je pense qu’il est de mon devoir de formuler une remarque sur le contenu de votre lettre. De façon générale, une déception conduisant à réduire son action peut être fondée et celui qui éprouve ce sentiment peut avoir parfaitement raison. On peut, néanmoins, se demander qui trouve son intérêt dans cette déception, quelle est son origine ? Selon les termes du Tanya, cet état d’esprit découle-t-il : “ du côté droit ou du côté gauche ” ? Autre critère, qui sera le gagnant de ce manque d’activité et de l’argumentation justifiée de celui qui est déçu ? Car, au final, selon la formulation de nos Sages, “ nous sommes des travailleurs du jour(10) ” et le Tséma’h Tsédek explique(11), à ce propos, que l’on doit susciter la clarté. De fait, le terme “ travailleurs ”(10) est employé ici à dessein. En effet, il ne s’agit d’éclairer un endroit qui est intrinsèquement lumineux. Et, tout cela n’est pas facile. Il faut réellement agir et l’on en obtient la récompense uniquement dans la mesure où l’on s’est investi pleinement.

Je dois ajouter que je n’admets pas du tout certains de vos arguments, mais, comme je l’ai dit, cela est totalement indépendant de la question que je posais dans ma première lettre et qui est la suivante. Chacun(10) doit diffuser la lumière, la lumière véritable de notre Torah, Torah de vérité et son luminaire, qui en est la dimension profonde, jusqu’à ce que cette Torah soit, selon son sens étymologique, Horaa, un enseignement, jusqu’à ce qu’elle délivre un enseignement pour l’existence quotidienne, non seulement par la pensée, puisque “ le Saint béni soit-Il demande le cœur ”(12), mais aussi, comme je l’ai disais plus haut, par la parole et par l’action concrète. Certes, il est dit(13) que : “ la Torah dispense celui qui se trouve dans un cas de force majeure ”. Pour autant, “ on ne le considère pas comme s’il avait agi ”(14), pas même dans le monde de la parole et encore moins dans le nôtre, celui de l’action.

Je conclurai comme vous l’avez vous-même fait, dans votre lettre, par une parole de Torah, sur la raison de l’envoi de mets à ses amis(15). J’ai entendu un récit original(16), qui m’a été rapporté par un des Rabbanim de Russie de notre génération. Celui-ci éclata en sanglots en plein milieu du Chabbat et, quand on lui en demanda la raison, il expliqua qu’une question venait de lui être posée par quelqu’un qui respectait scrupuleusement la Torah et les Mitsvot, jusqu’à la moindre disposition des Sages. Cet homme lui avait demandé s’il pouvait encore réciter le Kiddouch sur du vin, car il avait succombé à l’épreuve et il avait dû se rendre à son travail pendant le Chabbat(17). Certes, il n’avait transgressé aucun Interdit et avait uniquement fait acte de présence. Pour autant, les autres le considéraient comme une transgression publique du Chabbat. Il demandait donc de quelle manière il était lui-même considéré : pouvait-il encore réciter le Kiddouch sur du vin qu’il avait touché ?

Et, peut-être ceci est-il lié à ce qui a été dit plus haut. Même si les observateurs constatent un grand vide dans le monde, ou encore, pour reprendre l’expression que vous utilisez, dans votre lettre, “ le vide à l’intérieur, neuf mesures(18) ayant d’ores et déjà été prises ”, qui peut décider et juger en fonction de ce qu’il voit de ses propres yeux que la réalité est bien ainsi, puis en conclure qu’il doit s’enfermer dans ses quatre coudées ? Peut-être ai-je été trop long et vous voudrez bien m’en excuser. Je ne vous cacherai pas ce que j’espère ainsi(19) : malgré l’insatisfaction dont vous faites état dans votre lettre, j’espère que vous changerez d’attitude et que vous commencerez à agir, en tout endroit où s’étend votre influence. Si le besoin s’en fait sentir, D.ieu pourra faire en sorte que votre bras s’allonge plusieurs centaines de fois(20), afin d’agir en ce sens et de mettre en pratique les Mitsvot, au quotidien. Et, même si quelqu’un n’admet pas ce que vous écrivez avec douleur, vous vous lierez néanmoins à lui afin de lui apporter l’élévation, de sorte, notamment, qu’il mette les Tefillin, qu’il mange cacher, qu’il respecte le Chabbat.

Notes

(1) Voir, à son sujet, la lettre n°8379.
(2) Soit un mois, pour une épouse.
(3) Voir, à ce sujet, les lettres n°1463 et 2216.
(4) ‘Haya Mouchka.
(5) Le Tséma’h Tsédek lui-même.
(6) Dans le traité Kiddouchin 30b.
(7) Selon le traité Bera’hot 5b.
(8) Occupe-toi de tes propres affaires, mêle-toi de ce qui te regarde.
(9) Voir le Likouteï Si’hot, tome 10, à la page 210.
(10) Le Rabbi souligne les mots : “ jour ”, “ travailleurs ” et “ chacun ”.
(11) Voir, à ce sujet, la lettre n°8453.
(12) Selon le traité Sanhédrin 106b.
(13) Dans le traité Baba Kama 28b
(14) Selon le Yerouchalmi, traité Kiddouchin, chapitre 3, au paragraphe 2.
(15) Le jour de Pourim.
(16) Voir le Séfer Itvaadouyot 5744, tome 2, à la page 751.
(17) Du fait des persécutions soviétiques.
(18) Sur les dix qui existent.
(19) Par la rédaction de la présente.
(20) Voir, à ce sujet, le traité Sotta 12b et le commentaire de Rachi sur le verset Chemot 2, 5.