Lettre n° 8773

Par la grâce de D.ieu,
fin de Chevat 5724,
Brooklyn, New York,

A l’attention de monsieur Ben Tsion,
qui est appelé professeur Dinor(1),

Je vous salue et vous bénis,

Je viens de recevoir le tiré à part de votre recueil intitulé : “ la personnalité et son époque ”. Je vous remercie d’avoir pensé à me l’adresser(2). Je saisis cette occasion pour m’excuser car, pour différentes raisons et, avant tout, du fait de mes nombreuses occupations, je ne vous ai pas encore exprimé mes chaleureux remerciements pour les tirés à part et les livres que vous m’avez fait parvenir au préalable. J’espère qu’en la matière, vous m’accorderez les circonstances atténuantes, conformément à l’enseignement de nos Sages(3).

Me trouvant encore sous l’influence du jour de la Hilloula de mon beau-père, le Rabbi(4) et me référant aux propos du Ari Zal(5), qui soulignent que la sainteté ne quitte jamais son lieu, bien plus, me basant sur le diction répandu chez les ‘Hassidim qui dit que : “ Dès lors que l’on est une fois un ‘Hassid, on reste toujours un ‘Hassid ”, je me permets de vous rappeler le mérite et le succès que vous avez eus, celui de passer quelques mois au sein de la Yechiva Tom’heï Temimim. Je suis donc persuadé non seulement que la sainteté n’a pas quitté son lieu, mais, bien plus, qu’elle l’a effectivement quitté d’une manière positive et qu’elle prend, de temps à autre, l’expression d’accomplissements judicieux, qu’un “ opposant à la ‘Hassidout ” n’aurait pas été en mesure de mener à bien, car la clarté et la chaleur qui prennent leur source dans la ‘Hassidout et ce qui la concerne sont indispensables à de telles réalisations.

Pour passer d’une idée à une autre tout en restant dans le même contexte, j’ai bien reçu votre livre : “ Un monde qui a disparu ” et je vous en remercie. Vous déduirez de ce qui vient d’être dit qu’une telle affirmation peut être formulée uniquement à propos d’un monde matériel et grossier, ou même du Temple, dans la mesure(6) où celui-ci est fait de bois et de pierre. Car, les parchemins brûlent, mais les lettres restent, bien plus, elles reviennent ici-bas et sont écrites à nouveau. Elles sont même gravées dans les cœurs de milliers, de dizaines de milliers de fils et de filles d’Israël. Plus encore, ce sont des lettres de feu qui sont gravées, selon les deux versions qui sont énoncées (7) à ce propos, un feu blanc et un feu noir. De fait, les deux directions sont nécessaires, la main droite qui rapproche et la main gauche qui repousse(8) ou, plus généralement, “ écarte-toi du mal ” et “ fais le bien ”. Dans la dimension morale du service de D.ieu, ceci correspond à l’amour et à la crainte. Le moyen d’acquérir ces sentiments est un des thèmes centraux du saint Tanya.

Bien entendu, j’ai pris connaissance, avec un intérêt particulier des quelques pages de ce livre dans lesquels vous parlez du temps que vous avez passé, comme je le disais, dans les quatre coudées de la sainteté de Tom’heï Temimim, même si, “ a priori ”, certaines expressions auraient pu être modifiées et auraient même pu avantageusement être remplacées par leur contraire. Mais, malgré tout cela, s’est renforcée en moi l’impression que vous vous trouvez encore sous l’influence de cette période et de ce qui la concerne, au point que vous estimiez nécessaire de vous protéger de cette influence, de justifier vos initiatives et vos actions. En d’autres termes, il me semble que, dans votre monde personnel, ce monde-là n’a pas disparu. Puisse D.ieu faire, non seulement que vous ne vous opposiez pas à cette influence, mais, en outre, que vous vous serviez de toutes les opportunités qui se présentent pour “ diffuser les sources(9) ”, selon la formulation bien connue. Et, s’il a été dit, à mon propos, qu’il m’arrive d’avoir des visions, D.ieu fasse que ce qui vient d’être exposé et apparaît, à première vue, comme le fruit de mon imagination, se révèle, de manière effective, dans le monde de l’action. En effet, en notre époque aux multiples mutations et évolutions indésirables, l’imagination rencontre l’action concrète, qui est essentielle(10).

C’est ici l’occasion pour moi de vous accuser réception du premier tome de votre livre : “ Israël en exil ” et de vous en remercier. Conformément à l’habitude des Juifs, je me permettrai de formuler une remarque, en me fondant sur la spécificité des ouvrages des Grands d’Israël, des premières générations et même du moyen âge. Cette remarque est la suivante. On traite de la Torah et de tout ce qui la concerne comme d’éléments appartenant à l’existence quotidienne, à l’époque à laquelle on se réfère. C’est de cette façon que l’on a étudié, par exemple, les sacrifices et tout ce qui a trait à la pureté plusieurs siècles après la destruction du Temple. Et, l’on procède de la sorte non seulement dans les commentaires de la Michna, mais aussi dans les recueils de responsa, qui envisagent les différentes situations auxquelles les enfants d’Israël ont été confrontés dans le désert. Il en résulte que, si l’on se limite aux livres rédigés à une certaine époque et présentant un certain sujet ou un événement précis, on ne peut en aucune façon en déduire que ces éléments étaient en application dans l’existence quotidienne des auteurs. Il faut systématiquement se demander si c’est bien le cas et trouver d’autres moyens de le démontrer.

Ce qui vient d’être dit se rapporte, en particulier, à la lecture de la Torah, dont vous traitez dans votre livre. Je m’en suis aperçu, en recevant votre livre. A l’issue d’une recherche, j’y ai trouvé qu’à l’époque de Rachi, on concluait la lecture de la Torah tous les trois ans, affirmation que vous étayez en rappelant que Rachi lui-même en parle dans tel livre. Or, en fonction de ce qui vient d’être dit, cela ne prouve absolument rien. Je n’étudie pas ce sujet en ce moment, mais il me semble évident que, bien avant l’époque de Rachi, en particulier dans les contrées où Rachi résidait et à proximité de celles-ci, on achevait d’ores et déjà la lecture de la Torah en un an.

A ce propos et pour rester dans le même sujet, vous savez sans doute qu’il existe aussi un cycle de lecture de la Torah en trois ans et demi. Vous trouverez des références, à ce sujet, dans le livre de Morde’haï Margolis, énumérant les différences que l’on constate entre les communautés orientales et celles d’Erets Israël, à la différence n°48. Par ailleurs, j’aimerais savoir si vous possédez des éléments historiques sur les tribus juives d’Afrique du nord, du Sahara, au moyen âge. Selon ce que je me souviens, il y avait là une reine, qui était Cohen ou quelque chose comme cela. Au final, elle-même est tombée au combat et son royaume a disparu. Comme le veut la coutume juive, je conclurai la présente comme elle avait commencé, en vous joignant un tiré à part qui a été dernièrement publié, à l’occasion de la Hilloula de mon beau-père, le Rabbi(11). Avec mes respects et ma bénédiction,

Notes

(1) Voir, à son sujet, les lettres n°3396 et 6428.
(2) Voir le Likouteï Si’hot, tome 33, à la page 250.
(3) Dans le traité Avot, chapitre 1, à la Michna 6.
(4) Le 10 Chevat.
(5) Voir, à ce sujet, le Likouteï Si’hot, tome 14, à la page 313.
(6) Le Rabbi souligne l’expression : “ dans la mesure ”.
(7) Voir le Yerouchalmi, traité Shekalim, chapitre 6, au paragraphe 1, le commentaire de Rachi sur le verset Bera’ha 33, 2 et le Midrash Tan’houma, Parchat Béréchit, au chapitre 1.
(8) Voir le traité Sotta 47a.
(9) De la ‘Hassidout.
(10) Selon le traité Avot, chapitre 1, à la Michna 17.
(11) Le 10 Chevat.