Lettre n° 9018

[2ème jour de Roch ‘Hodech Elloul 5725]

Je fais réponse à la demande que vous m’aviez formulée au préalable(1), celle de donner un avis(2) sur la constitution d’un front uni des partis religieux, pour les prochaines élections de la Knesset(3). Pour différentes raisons, je n’ai pas répondu, jusqu’à maintenant et l’une d’entre elles est la suivante. La réponse est si évidente que j’espérais la voir établie, d’une manière juste, sans que mon intervention soit nécessaire, au moins à la dernière date à laquelle les listes peuvent être présentées. Mais, à ma grande peine, cela n’a pas été le cas jusqu’à maintenant. Je réponds donc à votre question par la présente. Je précise, tout d’abord, qu’il s’agit bien de constituer un front religieux technique(4) dans l’optique des élections de la Knesset. Je souligne le mot technique(4), qui signifie qu’après ces élections l’état des relations entre les partis redeviendra ce qu’il était avant sa constitution.

Mon avis est très clair et tranché. La constitution d’un front religieux technique est non seulement souhaitable, mais même indispensable, pour améliorer la situation religieuse et le Judaïsme véritable en notre Terre Sainte, puisse-t-elle être restaurée et rebâtie, très bientôt et de nos jours, par notre juste Machia’h. Tout cela est si évident, du point de vue religieux et pour le bien de la religion, que je suis surpris de constater que l’on puisse avoir le moindre doute, à ce sujet. Malgré l’évidence de tout cela, j’exposerai, au moins brièvement, les raisons et les justifications de la constitution de ce front religieux technique. Ce sont les suivantes :

1. Du point de vue de la rétribution et de la perte :

A. Les chances d’obtenir des représentants supplémentaires : Il est naturel, lors des efforts pour les élections, que chaque parti essaye d’obtenir le plus grand nombre de voix. En effet, les moyens dont dispose chaque parti, le temps, l’argent, le nombre de militants, sont limités. On réunit donc, tout d’abord, les moyens permettant de s’adresser aux électeurs que l’on a le plus de chances de convaincre, ce qui veut dire, en l’occurrence, que chaque parti religieux, si l’on ne constitue pas un front, ce qu’à D.ieu ne plaise, orientera le plus énergiquement sa campagne envers les membres des autres partis religieux. En effet, il y a plus de chance de les convaincre que ceux qui appartiennent à des partis non religieux ou, plus encore, anti-religieux. On a pu vérifier tout cela concrètement, lors des élections à la Knesset, de par le passé. Cela veut dire que la campagne n’aura pas d’effet sur l’ensemble des voix revenant aux partis religieux de la Knesset ou, tout au plus, n’aura qu’un effet extrêmement réduit. Il n’en sera pas de même, en revanche, s’il y a un front religieux uni. La campagne sera alors dirigée uniquement vers l’extérieur. Il y aura donc de bonnes chances d’attirer les voix d’autres milieux.

B. Les voix résiduels : Il est bien évident, si l’on constitue un front uni, que les voix résiduels de tous les partis ne seront pas perdues. Bien au contraire, elles s’additionneront, constitueront un nombre important, permettant d’obtenir des mandats supplémentaires.

C. Avant tout, l’unité autour de la religion : La campagne des élections conserve encore un impact pendant un certain temps, après que celles-ci se soient achevées. Si elle est dirigée vers ceux qui ne sont pas encore religieux, pour une quelconque raison, on peut espérer, non seulement acquérir des voix nouvelles, comme on l’a dit, mais aussi rapprocher de la religion un certain nombre de nos frères, les enfants d’Israël.

D. La prévention des calomnies mutuelles : S’il n’y a pas de front religieux, ce qu’à D.ieu ne plaise, la campagne des partis religieux sera dirigée essentiellement envers les autres partis religieux. En effet, comme le veut l’usage, en la matière et comme c’est systématiquement le cas pour chaque élection, on ne se contente pas de souligner les qualités de son propre parti. On met en avant, pas moins que cela, les défauts des autres et, comme je le disais, l’habitude des élections est que l’on n’a pas toujours le soucis de la vérité, que les orateurs n’on pas qu’elle à la bouche. En conséquence, on grossit, on exagère. Conformément à la nature humaine et selon la formulation de nos Sages(5), “ une alliance est conclue avec la médisance, faisant qu’elle est acceptée ”. Il n’en est pas de même, en revanche, quand on fait état de ses propres qualités et de celles de son parti, auxquelles on n’accorde pas un crédit total, ni même un crédit imparfait. Les conséquences sont bien évidentes, comme je le disais, non seulement sur le résultat des élections et le nombre de mandats obtenus, mais aussi sur l’effet que tout cela aura par la suite, la manière dont on considère la religion et tout ce qui la concerne.

E. Le refus d’un front religieux est une arme placée dans les mains de ceux qui s’opposent à la religion : Le simple fait qu’il n’y ait pas de négociations dans le but de constituer un front religieux pour les élections, alors que plusieurs partis non religieux ont des accords pour se présenter ensemble aux élections, sera, à n’en pas douter, une arme dans les mains des partis luttant contre les religieux. Bien plus, ceux-ci pourront faire référence à la campagne des partis religieux, aux défauts que les uns reprochent aux autres.

F. Evolution de la situation : Le nombre de votants pour la prochaine Knesset est accru. Un plus grand nombre de voix est donc nécessaire pour obtenir un représentant et, selon plusieurs responsables de Terre Sainte, puisse-t-elle être restaurée et rebâtie, la plupart des nouveaux électeurs n’ont aucun lien avec les partis religieux. L’évolution de la situation ne va donc pas dans l’intérêt des partis religieux. En conséquence, un effort supplémentaire est nécessaire par rapport aux précédentes élections, même si leurs résultats étaient satisfaisants et, a fortiori, parce qu’ils ont été décevants. Ceci renforce encore plus clairement les raisons et les justifications précédemment évoquées quant à la nécessité de constituer un front religieux technique pour ces élections.

2. Les arguments plaidant contre un front religieux : J’ai eu connaissance des arguments suivants, plaidant contre la constitution d’un front religieux.

A. Il n’est pas honnête et pas droit, envers les électeurs, de faire l’éloge d’un autre parti, en période électorale, alors que, jusqu’à la constitution de ce front, puis, par la suite, après les élections, les propos tenus, à son égard, ne sont pas toujours élogieux et peut-être même luttera-t-on contre lui, dans certains domaines. Il est pourtant bien évident qu’un tel argument n’a pas raison d’être. En effet, il est clairement souligné qu’il s’agit, en l’occurrence, d’un front religieux technique, ce qui veut bien dire qu’il y a des différences fondamentales entre ces partis. C’est, du reste, pour cette raison, qu’ils ne se fondent pas en un parti unique, ni même en un front qui se maintiendrait après les élections.

B. Certains disent qu’il est interdit, d’après la Torah, de former un front religieux, même s’il n’est que technique, en y intégrant un parti dont la relation avec la religion n’est pas parfaitement satisfaisante. Là encore, cet argument est attaquable. Tout d’abord, la pratique concrète(4) établit l’inverse, comme le montre l’usage des Grands d’Israël, en Pologne, qui autorisèrent la formation d’un front technique, y compris avec ceux qui n’étaient pas religieux. En Erets Israël même, puisse-t-elle être restaurée et rebâtie, il y a déjà eu, une fois, un front religieux. La seconde fois, sa constitution a échoué, mais ce n’était absolument pas(4) du fait d’une interdiction du Choul’han Arou’h. Bien au contraire, l’échec provient de ceux que l’on appellent les “ gauchistes ” des partis religieux, comme cela est bien connu et parfaitement établi.

C. Quelques uns disent qu’un certain Grand a prononcé une interdiction contre la formation d’un front religieux. De façon générale, en pareil cas, il est clair que l’on ne peut pas passer à l’action avant d’avoir examiné la formulation de l’interdiction jusque dans le moindre détail(4), afin de déterminer si l’on applique, en la matière, une règle générale, ou bien s’il s’agit d’un cas particulier(6). Ceci s’applique-t-il également à un front technique ? La situation, à l’époque, était-elle comparable à la situation actuelle, laquelle n’a rien(4) à voir avec celle qui régnait en Terre Sainte, il y a quatre ans, huit ans ou même plus encore ? De même, il faut déterminer si l’interdiction ne fait pas partie d’une certaine conception qui n’est pas adoptée(4) par tous les partis religieux. Ceux-ci peuvent même la remettre en cause jusque dans son principe, y compris en ce qui ne met pas en danger la situation religieuse en notre Terre Sainte, puisse-t-elle être restaurée et rebâtie, mais ne fait que réduire certaines actions, empêcher certains profits. Or, il est bien clair que si, pour réaliser ces quelques profits, on n’adopte pas cette conception, il n’y a pas lieu d’en privilégier un aspect pour justifier une attitude qui serait dommageable(4) à la situation religieuse, dans sa globalité, en notre Terre Sainte, puisse-t-elle être restaurée et rebâtie.

D. La position concrète(4) de tous(4) les partis religieux, jusqu’à ce jour et encore maintenant(4) fait la preuve qu’ils n’ont en aucune façon(4) accepté cette interdiction, ou bien que celle-ci était formulée de telle façon qu’elle ne s’applique nullement en l’occurrence(4). Ainsi, par exemple, dans quelques unes des plus grandes ville d’Erets Israël, un tel front a bien été formé, y compris avec des partis non religieux et l’on a transmis délibérément(4) à des hommes d’autres partis des secteurs importants de la ville, non pas pour quelques semaines, mais bien pour des mois et des années. Et, on leur a donné non seulement le droit d’exprimer leur avis, de voter, mais aussi celui d’agir dans des domaines qui concernent partiellement la religion, alors qu’ils exercent une influence directe sur les autres, sur la situation religieuse de la ville, dans son ensemble. Et, la justification de tout cela est qu’en échange de ce front, constitué pour quelques mois, dont l’existence est largement diffusé en Terre Sainte et à l’extérieur de celle-ci, le parti recevra le contrôle d’un autre secteur, ce qui permettra un certain avancement de la situation religieuse dans cette ville. De la sorte, un tel front existe depuis plusieurs années et personne n’y trouve à redire, nul ne le conteste parmi tous les partis(4). On ne peut donc pas penser que, de leur point de vue, il y ait une quelconque interdiction de former un front technique pour quelques semaines, dans lequel il n’y a aucun partage de responsabilité. En effet, ceux qui sont élus à la Knesset ne font qu’y exprimer leur avis et voter. Chacun de ceux qui votent pour la liste unie a, au sein de cette liste, le candidat de son propre parti. Pour que celui-ci siège à la Knesset, il faut bien voter pour lui et l’on peut donc avoir l’intention de le faire. Ceci n’est pas le cas, en revanche, pour les fronts constitués dans les villes auxquels je faisais allusion. Dans ces cas, on a voté directement et positivement(4) pour le candidat d’un autre parti.

E. Un autre point concerne également tous ces arguments. Il est évident, la logique permet de l’établir et la Torah l’érige en principe(7), qu’entre un fait certain et une simple probabilité, on privilégie le premier. Les bénéfices de la constitution d’un front religieux technique sont bien clairs, alors que toutes les objections soulevées contre lui ne sont que des probabilités. De plus, le fait certain touche au bien de la situation religieuse, dans son ensemble, alors que la probabilité est peut-être(4) pour le bien d’un parti ou d’un groupe.

3. Les raisons d’écarter un front religieux :

Certes, la situation, telle qu’elle vient d’être décrite, semble être une évidence. Dès lors, comment certains peuvent-ils mettre en doute le bien-fondé de la constitution d’un front religieux ? Il apparaît que les raisons en sont très simples également. Et, la raison essentielle est la suivante. Il est naturel que les responsables des partis, quels qu’ils soient, recherchent à renforcer leur parti et leur propre groupe au sein de ce parti. Pour cela, ils doivent disposer de la pleine confiance ou, en tout état de cause, de la plus large confiance possible des membres du parti et de leur groupe. Bien entendu, quand ils mènent campagne pour constituer un front religieux avec un autre groupe ou, a fortiori, avec un autre parti, ils remettent en cause leur statut de défenseur jaloux du programme de leur groupe ou de leur parti. Bien plus, on peut craindre que les plus jaloux, au sein du groupe ou du parti les abandonnent, pour rejoindre d’autres groupes et d’autres partis. En d’autres termes, la constitution d’un front technique est favorable et même indispensable si l’on souhaite améliorer la situation religieuse dans son ensemble(4). Toutefois, il y a un risque(4), même mineur, que ceci affecte ou nuise à la situation d’un certain groupe, ou encore aux relations entre les membres du groupe ou du parti et les dirigeants.

4. Les stratagèmes pour faire échouer la constitution d’un front religieux : Il est différentes façons de mettre en échec un front religieux technique et je considère qu’il est de mon devoir de vous les présenter, dans le cadre de cette lettre. En effet, certains usent de ces moyens pour faire échouer la constitution de ce front en dissimulant(4) l’objectif qu’ils se fixent. Les voici :

A. On annonce, à haute voix, que, bien au contraire, l’unité de toutes les forces religieuses est absolument nécessaire et donc celle de tous les partis. Bien plus, on envisage même de fondre ces partis, de tendre la main à droite et à gauche, pourvu que les partis s’unissent. Toutefois, il doit s’agir d’une paix véritable, d’une fusion totale, au moins pour toute la durée du mandat de la Knesset. Quiconque a connaissance de la situation actuelle, en notre Terre Sainte, puisse-t-elle être restaurée et rebâtie, n’aura pas le moindre doute sur le fait que la constitution d’un front religieux, pour toute la durée du mandat de la Knesset et, a fortiori, la fonte des partis, ne sont absolument pas réalistes et n’ont pas la moindre chance de se réaliser. Une telle annonce ne peut donc recevoir qu’une seule interprétation. Il s’agit d’une tentative de mettre en échec le front religieux technique, car “ quiconque veut trop avoir n’a rien du tout ”(8).

B. Un second aspect est le renoncement. Autrement dit, à quoi bon faire campagne pour former un front religieux technique, puisque, concrètement, celui-ci ne verra pas le jour ? Les états d’esprit ne sont pas prêts pour cela. Il est donc dommage de perdre son temps et son énergie. Or, selon la formulation de nos Sages(9), “ l’Attribut du bien est plus puissant que celui du malheur ”. S’il a été possible d’annuler ce front en quelques instants, après de grands efforts, pendant plusieurs mois, pour le constituer, il est certain que l’on peut former maintenant un front religieux technique, à condition que quelques personnes(4) dirigeant ces partis le désirent réellement, avec intégrité et fassent tout ce qui est possible pour le constituer.

Il découle de tout ce qui vient d’être dit que je ne vois pas le moindre doute, quant à la nécessité absolue de former un front religieux technique dans l’optique des prochaines élections. L’intérêt de la situation religieuse l’exige absolument. A l’inverse, il est dit que la corruption rend aveugle et il en est ainsi également pour les plus grands et pour les meilleurs. On peut donc penser que, dans l’appareil de chaque parti, il y a des hésitations : est-il justifié de former un front technique au détriment des intérêts du parti, de ceux du groupe ou encore de certaines personnes ? Il faut donc aider les partis à surmonter ces hésitations, par le fait que le public et les représentants des différentes organisations prendront parti clairement et fermement, en affirmant que ce front doit nécessairement voir le jour et qu’il doit même être renforcé.

Tous ces partis, tous ces groupes, toutes ces personnes empêchant la constitution d’un front religieux technique placent ainsi l’intérêt du parti ou du groupe au-dessus de la situation religieuse, dans son ensemble, en notre Terre Sainte, puisse-t-elle être restaurée et rebâtie. Or, celle-ci concerne des milliers, des dizaines de milliers de nos frères, les enfants d’Israël, en notre Terre Sainte, puisse-t-elle être restaurée et rebâtie. Si cette déclaration était faite sans ambiguïté, avec la détermination qui convient, il est certain qu’elle serait efficace et que le front religieux technique verrait le jour.

Notes

(1) Cette lettre est adressée à monsieur ‘Haïm Moché Shapiro. Voir, sur le même sujet, la lettre précédente.
(2) Voir le Likouteï Si’hot, tome 21, à la page 420.
(3) Voir, à ce sujet, la lettre n°9013.
(4) Le Rabbi souligne les mots : “ technique ”, “ technique ”, “ la pratique concrète ”, “ absolument pas ”, “ jusque dans le moindre détail ”, “ rien ”, “ qui n’est pas adoptée ”, “ dommageable ”, “ concrète ”, “ tous ”, “ encore maintenant ”, “ en aucune façon ”, “ elle ne s’applique nullement en l’occurrence ”, “ délibérément ”, “ personne n’y trouve à redire, nul ne le conteste parmi tous les partis ”, “ directement et positivement ”, “ peut-être ”, “ dans son ensemble ”, “ risque ”, “ dissimulant ”, “ quelques personnes ” et “ celle-ci concerne des milliers, des dizaines de milliers de nos frères, les enfants d’Israël, en Terre Sainte, puisse-t-elle être restaurée et rebâtie ”.
(5) Voir le commentaire du Alche’h sur le verset Kohélet 7, 21.
(6) Voir le traité Bera’hot 9a.
(7) Selon le traité Ketouvot 12b.
(8) Selon le traité Roch Hachana 4b.
(9) Dans le traité Sotta 11a.