Il y a quelques années, Moché s’est marié. Le fait est que Moché avait fait «Techouva» depuis quelques temps, il était revenu à une pratique plus rigoureuse du judaïsme et ce mariage était donc particulièrement joyeux.
Les chants et les danses battaient leur plein, mais tous les convives s’assirent et se turent quand le grand-père du marié se leva et prit le micro.
Il n’avait pas l’apparence d’un Juif pratiquant et, de plus, il toisait l’assistance d’un air sévère : on s’attendait de sa part à des remarques cinglantes sur le style de vie choisi par son petit-fils. Mais on l’écouta respectueusement. Il se racla la gorge et commença : «D’abord je voudrais tous vous remercier d’être venus assister à notre joie. Ensuite je souhaite du fond du cœur un grand Mazal Tov à mon cher petit-fils et son épouse. Troisièmement, je désire vous raconter une histoire».
Il avala une gorgée de vodka, souhaita «Le’haïm» ! (à la vie !) et continua : «Il y a très longtemps, de nombreux Juifs habitaient dans un certain village de Pologne. Bien sûr, ils étaient tous pratiquants et les garçons, dès l’âge de trois ans, fréquentaient le ‘Héder, l’école juive où ils apprenaient la Torah toute la journée. Un de ces garçons était particulièrement – disons : excité. Il faisait tout pour déranger la classe. Il arrivait en retard, se levait au milieu des cours, éclatait de rire à tout moment. Mais, de plus, il avait une imagination débordante et ses «plaisanteries» devenaient de plus en plus difficiles à supporter.
Un jour, il dépassa toutes les bornes. Il cacha une chèvre dans l’arche sainte. Vous vous rendez compte ? Une chèvre ! Il l’avait sans doute attrapée le samedi matin, l’avait traînée dans la synagogue et l’avait enfermée dans l’armoire où se trouvent les rouleaux de la Torah ! Vous imaginez aisément la suite : alors que toute l’assemblée s’était levée en regardant respectueusement l’arche sainte avant la lecture de la Torah, le rabbin ouvrit le rideau puis la porte et… la chèvre sauta gaiement dans la synagogue au milieu des fidèles horrifiés ! 
Une vraie chèvre !
Les femmes se mirent à crier et à se précipiter vers la sortie, le rabbin faillit subir un malaise cardiaque, les gens criaient, le bedeau s’arrachait les cheveux, d’autres encore riaient à en perdre l’haleine. Bref, le désordre absolu.
Inutile de préciser que tous avaient compris qui était l’auteur de ce scandale monumental et, le soir-même, l’enfant fut convoqué par le directeur de l’école qui lui signifia d’un ton qui ne souffrait pas de réplique qu’il était définitivement renvoyé.
Mais là, il se passa quelque chose d’étrange : pour la première fois peut-être de sa vie, le garçon se tut et devint très sérieux : «Je comprends. Je suis renvoyé, n’est-ce pas ? Vous avez raison ! Je le mérite ! Mais tout condamné mérite une dernière requête !»
«Mériter ? s’écria le rabbin. Oui, la seule chose que tu mérites, c’est une bonne claque !»
«Vous avez sans doute raison, répondit l’enfant. Mais vous devez réaliser qu’en me renvoyant, vous m’achevez ! Il est évident qu’aucune autre école juive ne voudra m’accepter, n’est-ce pas ? Donc je devrais m’inscrire dans une autre école, avec des camarades non-Juifs qui risquent de tuer mon âme juive. Or un homme qui va être exécuté mérite d’exprimer un dernier souhait… 
«Bon. Alors, que veux-tu ?»
«Voilà mon dernier souhait. Je comprends que je ne mérite pas votre compassion. Mais… mes enfants ? Avez-vous pensé à eux ? Sont-ils condamnés eux aussi ?»
Bref, ses arguments adoucirent la colère du directeur et il ne fut pas renvoyé. D’une manière où d’une autre, il se calma plus ou moins, termina très moyennement le cycle d’études puis se maria.
Il n’était pas très pratiquant. Dès qu’il le put, il se rasa la barbe et se débarrassa de sa grande Kippa noire, ne gardant qu’une petite Kippa rouge plus souvent dans sa poche que sur sa tête mais respectant tout de même certains commandements de la Torah.
Avec sa femme et son fils, il s’installa en Terre Sainte. Son fils était encore moins pratiquant que lui et, à l’age de 18 ans, il abandonna toute pratique religieuse et annonça à ses parents qu’il partait s’installer aux Etats-Unis.
Le père avait le cœur brisé mais avant que son fils ne parte, il lui dit : «Je t’en prie ! Je ne peux pas te forcer à être aussi pratiquant que moi qui ne le suis pas autant que mon propre père. Mais promets-moi de n’épouser qu’une jeune fille juive !»
Par miracle, le fils accepta et se débrouilla pour épouser une jeune fille juive. Lui aussi eut un fils.
Mais celui-ci, contrairement à son père et son grand-père, décida… de devenir rabbin ! Rabbin orthodoxe ! C’est ainsi que «la dernière requête» de son grand-père devant le rabbin qui avait voulu le renvoyer était exaucée : sa descendance était sauvée !»
L’homme avala une gorgée d’eau, scruta l’assistance et déclara : «La raison pour laquelle je raconte cette histoire ce soir est que l’enfant malicieux qui avait introduit la chèvre dans l’arche sainte n’était autre que moi-même ! Et le petit-fils qui veut devenir rabbin n’est autre que le marié de ce soir. Mon petit-fils !
Alors souvenez-vous : quand vous éduquez un enfant, vous ne faites pas que l’éduquer lui. Vous sauvez aussi ses enfants et ses petits-enfants pour les générations à venir !»

Rav Tuvia Bolton
www.ohrtmimim.org
traduit par Feiga Lubecki