A douze ans, les médecins ont diagnostiqué chez moi une tumeur. Après de multiples opérations et séances de radiothérapie, j'ai été déclaré guéri mais j'ai rechuté à l'âge de seize ans. J'ai à nouveau subi opérations et chimiothérapie et, maintenant, j'ai pu réintégrer la Yechiva où je continue mes études. Voici une histoire qui m'a aidé durant toutes ces périodes difficiles et qui m'a permis d'affronter les difficultés avec le courage nécessaire.
Yutu marche dans la neige, tout au nord du Canada. Il part en expédition pour rapporter du poisson ou du gibier à sa famille.
Tout à coup, il aperçoit un drôle d'objet abandonné dans la neige. Il se penche pour le ramasser : c'est un fin morceau de bois. Une face est lisse, l'autre est en relief. Il est évident que quelqu'un lui a donné aussi une forme particulière, ni droite, ni... qui ne ressemble à rien d'utile : on dirait que cela devrait s'emboîter avec une autre pièce ou même deux... Bizarre.
Yutu est totalement interloqué : pourquoi quelqu'un passerait-il tant de temps à façonner et même peindre ainsi un morceau de bois ?
Evidemment, si Yutu avait eu connaissance du monde moderne et de sa culture, en particulier s'il avait vécu dans une maison où évoluent des enfants, il aurait su qu'il s'agissait d'une pièce d'un puzzle. Non pas un puzzle pour enfants mais un puzzle pour adultes, vous savez le genre de puzzle à mille pièces pratiquement impossible à réaliser en moins de six mois. Si vous lui aviez montré la boîte avec l'image complète – ou, encore mieux, les neuf cent quatre-vingt-dix-neuf autres pièces – il aurait parfaitement compris et tout aurait trouvé sa place.
Pourquoi des malheurs arrivent-ils à des gens qui n'ont rien fait de mal ? Pourquoi y a-t-il tant de souffrances dans le monde ? Ce sont des questions auxquelles seul D.ieu peut répondre. Mais peut-être la suite de cette parabole peut jeter un peu de lumière et procurer un peu de réconfort, dans une certaine mesure.
Nous sommes comme Yutu l'esquimau, nous ne voyons qu'une petite partie d'un grand tableau. Nous ne voyons qu'une infime partie d'un puzzle cosmique et un nombre minuscule de détails et de morceaux. Ce qu'est vraiment le tableau complet et comment les souffrances et les malheurs s'insèrent là-dedans, cela nous ne le saurons qu'avec la venue du Machia'h qui répondra à toutes nos questions en nous expliquant la structure complète du puzzle.
De plus : ce qui fait l'intérêt du puzzle, c'est justement que nous ne voyons pas le tableau en entier. Une fois que toutes les pièces sont en place, le jeu est terminé, vous pouvez même l'encadrer mais vous ne pouvez plus jouer.
Si nous comprenions la raison de nos malheurs – et, dans mon cas, de la maladie qui m'a éprouvé – et si nous constations immédiatement le lien entre l'action et ses conséquences (négatives ou positives), nous n'aurions plus de libre arbitre. Si le résultat de nos initiatives était évident, seuls des idiots ou des masochistes se comporteraient mal.
Le but de tout cela est que nous puissions choisir de notre plein gré d'agir correctement. D.ieu a voulu créer des anges, Il les a faits. S'il avait voulu que nous aussi, êtres humains, nous soyons des anges, Il nous aurait créés autrement. Il nous a créés avec un corps et toutes les difficultés que cela comporte en termes de tendances à surmonter afin que nous surmontions les épreuves et que nous recevions pour cela d'infinies récompenses.
Revenons à notre esquimau. Yutu n'a pas trop de temps à perdre pour étudier le morceau de bois et le met dans sa poche. Il a beaucoup de travail et le vent glacial rend difficile la méditation... Il se construit un igloo pour s'abriter durant les quelques jours où il va chasser à l'extérieur. Une heure plus tard, l'igloo achevé, il s'installe pour pêcher.
Le soir venu, il se glisse dans son abri de fortune et s'étend sur sa maigre couche. Mais il fait froid, il a du mal à s'endormir. Soudain, il a une idée géniale : il va allumer un feu puisqu'il a du bois dans sa poche ! Heureux, il se lève, allume son feu, y jette la pièce du puzzle et s'endort doucement : demain il pourra travailler de façon efficace.
Le lendemain, Yutu creuse un trou dans la glace et se met à pêcher. Soudain, il aperçoit une silhouette et est tout content : quelqu'un qui va briser la monotonie du désert glacé. Apparemment, l'homme cherche quelque chose par terre. Yutu l'interpelle : c'est Jack, un spécialiste en biologie, diplômé d'Oxford. Il se trouve dans le grand Nord pour effectuer des recherches sur les créatures de la mer Arctique. Cela lui est facilité par son excellente connaissance de la langue des Inuits.
Il explique à Yutu qu'il avait emporté un puzzle de mille pièces pour s'occuper durant les longues nuits polaires mais il a perdu une de ces pièces.
Yutu réfléchit : «Je crois comprendre ce dont vous parlez ! Hier j'ai trouvé un morceau de bois bizarre avec des couleurs. Inutile de le chercher, je m'en suis servi pour me réchauffer ! Je l'ai brûlé !»
En entendant cela, l'homme posé et intelligent, le scientifique éminent et cultivé, civilisé même devient furieux : «Mais pourquoi ? Comment avez-vous osé ? Ce morceau de bois était très précieux pour moi et vous l'avez brûlé !»
Yutu qui n'a pas encore très bien compris ce que sont un puzzle et les jeux éducatifs en général s'étonne de cette brusque manifestation de colère : «Vous venez de m'expliquer que vous possédiez neuf cent quatre-vingt-dix-neuf pièces de ce genre ! Pourquoi tellement s'énerver pour une de plus ? Profitez de vos neuf cent quatre-vingt-dix-neuf pièces et oubliez celle-là !»
Bien sûr, quiconque a joué avec un puzzle sait que si une pièce manque, tout le puzzle reste incomplet, pratiquement sans valeur. Toute l'unité est perdue !
Quand nous constatons qu'il existe environ six ou sept milliards de personnes vivantes autour de nous – et, en ce qui nous concerne, environ quinze millions de Juifs – nous pourrions être tentés de penser : «Quelle différence si j'accomplis une Mitsva de plus ou non ? Croyez-vous vraiment que D.ieu remarque et s'en occupe ? Il existe tant d'autres gens plus importants que moi, je ne compte pas ! D'ailleurs, je dispose de tant de semaines, de milliers de jours, de millions d'heures et de secondes : quelle différence si j'accomplis une Mitsva aujourd'hui ou demain ?»
Telle est la seconde leçon que nous pouvons apprendre du malheureux Yutu : chacun d'entre nous est une partie d'un puzzle cosmique. Peut-être même plus qu'une partie. Peut-être chaque seconde, chaque occasion d'accomplir une Mitsva ou d'étudier la Torah représente une pièce supplémentaire. Chaque personne a une contribution unique, irremplaçable à apporter au grand puzzle de D.ieu. Une fois que toutes les pièces seront en place, la perfection inhérente à la création sera alors évidente aux yeux de tous, ce sera l'époque de Machia'h, quand «la mort sera avalée et disparaîtra pour toujours !»
Que cela se produise très bientôt, maintenant !
Yaakov Raskin – Londres (actuellement Yaakov est moniteur d'une colonie de vacances Camp Sim'ha pour enfants malades) – www.chabad.org.
Traduit par Feiga Lubecki
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- Publication : 2 septembre 2015