C’était une figure légendaire du village Kfar ‘Habad, situé sur la route de Tel-Aviv à Jérusalem. Après avoir purgé huit longues années dans le goulag sibérien, Reb Mendel Futerfass avait obtenu la permission de quitter l’Union Soviétique et de rejoindre enfin sa femme et ses enfants qui l’avaient précédé dans le monde libre dix-huit ans ( !!!) auparavant.
Reb Mendel ne parlait que rarement de sa détention et des conditions effroyables qu’il y avait subies : le froid, la faim, la promiscuité avec des criminels endurcis, les coups, le travail épuisant… Mais il affirmait qu’il y avait résolu deux problèmes : la cacherout (puisqu’il n’y avait de toute manière rien à manger…) et le respect du Chabbat. Comment ? Dès le début, il avait annoncé avec fermeté que, quoi qu’il lui arrive, quelles que soient les menaces, jamais il ne travaillerait le Chabbat. « Apparemment, constatait-il avec un brin de philosophie, je l’avais affirmé avec un tel sentiment de vérité que j’ai effectivement réussi à ne jamais travailler le Chabbat ! ».
Durant toutes ces années, il s’était aussi arrangé pour disposer d’au moins trente grammes de Matsa Chmourale premier jour de la fête de Pessa’h – grâce aux paquets de nourriture que sa famille avait le droit de lui envoyer une ou deux fois par an. S’il lui restait un peu plus que ces trente grammes, il en donnait à un autre Juif, prisonnier comme lui ou alors il gardait précieusement la Matsa pour l’année suivante…
Dès qu’il put sortir d’Union Soviétique, il rejoignit d’abord sa femme et ses enfants à Londres puis s’installa en Israël où il enseignait à la Yechiva et encourageait chacun à développer des sentiments ‘hassidiques comme ceux qui lui avaient permis de survivre dans les pires conditions.
Quand le Rabbi lança, en juin 1967, la toute première campagne de Mitsvot – s’efforcer de mettre les Téfilines à chaque Juif – Reb Mendel fut le premier à se joindre aux jeunes gens remplis d’énergie et d’enthousiasme qui se rendaient en voiture chaque vendredi dans la ville de Rishon Letsion pour contacter les habitants de la ville qui n’auraient pas encore mis les Téfilines ce jour-là. Plutôt que de flâner ou se consacrer aux préparatifs de Chabbat, ces jeunes étudiants de Yechiva consacraient leur temps libre à aider d’autres Juifs à accomplir cette importante Mitsva.
Or Reb Mendel n’était plus très jeune ; de plus, la marche lui était très pénible et même le simple fait de monter dans une voiture ou en descendre lui coûtait un effort considérable. Quiconque le voyait agir en éprouvait une grande peine ! De plus, la voiture devait se garer assez loin de l’endroit où se dressait le stand de mise des Téfilines, ce qui aggravait encore la situation. Et pourtant, chaque vendredi, Reb Mendel insistait pour voyager. Il ne savait pas parler l’hébreu courant mais quand il balbutiait avec un mauvais accent : « Moi Juif, toi Juif, mets les Téfilines ! », qui aurait pu refuser un tel argument, qui aurait pu lui demander sèchement de s’occuper de ses propres affaires ?
Le regretté Reb Cholom Feldman lui demanda un jour pourquoi il s’entêtait à ce point et faisait même perdre du temps à ses compagnons d’équipée. Reb Mendel répondit, sur un ton d’évidence : « De fait, il y a deux raisons pour lesquelles je tiens tellement à agir pour cette campagne du Rabbi : quand j’étais prisonnier, il y eut des périodes durant lesquelles je ne disposais pas de Téfilines. (Un jour il soupira en évoquant cette période : Si seulement aujourd’hui, alors que je possède de très belles paires de Téfilines, je pouvais prier avec la même ferveur que j’avais alors…). Tu comprends ? Cela me manque ! Cette longue période où je n’avais pas de Téfilines me manque ! Je dois la réparer ! En mettant les Téfilines à d’autres Juifs, cela remplace un peu toutes les fois où je n’ai pas pu les mettre moi-même ! ».
Telle était la réponse d’un ‘Hassid ! Bien qu’il n’ait commis aucune faute et que personne ne puisse lui tenir rigueur de cela, ce manque lui pesait et il éprouvait le besoin d’y apporter une compensation !
Quant à la seconde raison, voici comment il l’exprimait : « Je veux agir, ne serait-ce que symboliquement, pour prouver mon attachement au Rabbi ! Sinon, en quoi pourrais-je prétendre être un ‘Hassid du Rabbi ? ». Il expliquait encore : « La campagne des Téfilines est une directive claire du Rabbi. Dans les autres domaines, quand le Rabbi te demande quelque chose, tu ne peux jamais être sûr que tu as bien compris et que tu t’es acquitté de la mission à 100 %. Mais quand il s’agit d’une action concrète, quand tu as mis les Téfilines à un autre Juif qui, autrement, ne les aurait peut-être pas mis, concluait Reb Mendel, là je ressens que j’ai accompli la volonté du Rabbi ! Rien que pour cela, j’estime qu’il est normal de fournir un certain effort ! ».
Traduit par Feiga Lubecki
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- Publication : 7 mars 2018