Les gardes du corps pourtant aguerris de Shimon Peres avaient du mal à soutenir le regard du vieil homme qui leur faisait face : pendant de longues minutes, il leur avait parlé en toute sincérité de leur âme juive, de la nécessité de respecter le Chabbat, la Cacherout, la pureté familiale, les Téfilines… Eux qui d’habitude ne clignaient jamais des yeux et gardaient un visage fermé, l’écoutaient avec attention et certains d’entre eux décidèrent même sur le champ d’améliorer leur conduite personnelle dans ces domaines. On était en Chevat 5751 (2011).
Rav Chimon HaCohen Friedman avait été admis pour présenter ses condoléances à M. Shimon Peres qui respectait les sept jours de deuil après la perte de son épouse Sonia. Rav Friedman était une importante personnalité du monde Loubavitch et était accompagné de Uri Revah, lui aussi ‘Hassid de Loubavitch et journaliste sur la première chaîne de télévision israélienne : depuis des années, il présentait l’émission hebdomadaire «Melavé Malka» le samedi soir dans le cadre du programme Moréchèt de la radio nationale Kol Israël. Rav Friedman était chargé de le conseiller et de le guider pour cette émission.
La visite de Rav Friedman à Shimon Peres n’était pas une visite de condoléances formelle de plus ; elle devait clore un chapitre important de l’histoire des deux hommes.
Vingt-cinq ans plus tôt, le monde politique israélien bruissait des rumeurs à propos de la question très controversée : «Qui est juif ?» Depuis des années, le Rabbi de Loubavitch avait déclaré que cette question sensible était cruciale pour l’avenir du judaïsme et avait demandé, supplié que la loi soit amendée avec la précision : «Est Juif celui qui est né de mère juive ou qui s’est converti selon la loi juive !» Rav Friedman avait ressenti la peine du Rabbi et avait décidé d’agir. Un soir, il prit l’autobus Egged depuis la station centrale de Jérusalem pour se rendre près de Tel-Aviv, au domicile privé de Shimon Peres, alors Premier Ministre. Persuadé qu’il ne tenait qu’à Shimon Peres d’amender la loi dans le sens voulu par le Rabbi et toutes les autorités rabbiniques du monde juif orthodoxe, Rav Friedman attendit une longue heure devant la maison le retour du Premier Ministre. Quand celui-ci descendit de la voiture, Rav Friedman s’approcha respectueusement de lui – malgré les gardes du corps qui tentaient de l’éloigner – et demanda à lui parler d’un sujet important. Shimon Peres se tourna vers lui et déclara : «Je suis prêt à discuter avec vous mais seulement demain matin !»
Pour un ‘Hassid comme Rav Friedman, une parole est sacrée et il décida de ne pas perdre cette occasion unique d’expliquer au Premier Ministre l’opinion du Rabbi : il resterait à Tel-Aviv jusqu’au matin ! Toute la nuit, il resta devant la maison et en profita pour parler Torah avec les agents de sécurité. Vers six heures du matin, c’est un Shimon Peres en pyjama qui ouvrit la porte pour prendre le journal du matin. A l’époque où les médias électroniques n’existaient pas, les journaux du matin étaient indispensables pour être bien informé. Persuadé que le ‘Hassid était parti, Shimon Peres fut stupéfait de le voir monter la garde devant son domicile : «Vous êtes encore là ? Je crois qu’il faudrait appeler la police !» déclara-t-il avec un brin d’humour. Mais Rav Friedman ne l’entendit pas de cette oreille : «Je vous promets ma part du monde futur si vous œuvrez à l’amendement de la Loi du Retour !» déclara-t-il solennellement.
Tandis que les deux hommes discutaient sur le pas de la porte, Madame Peres s’approcha et invita le vieux ‘Hassid à entrer dans la maison pour se réchauffer ; elle lui proposa même une tasse de thé. En entrant dans la maison, Rav Friedman remercia Madame Peres et remarqua : «Une femme peut avoir beaucoup d’influence sur son mari et vous devriez utiliser cette capacité !» Rav Friedman discuta avec Shimon Peres durant de longues minutes et lui rappela le dicton de nos Sages : «On peut acheter son monde futur en une seconde !» Il avait parlé de tout son cœur et madame Peres en fut très impressionnée. Elle confia d’ailleurs à des amis qu’elle arrangea par la suite de nombreuses rencontres de son mari avec Rav Friedman qu’elle considérait comme un très grand homme, même si elle n’était pas sûre que cela apporte des conséquences effectives.
Durant de nombreuses années, Rav Friedman ne raconta cet épisode à personne. L’année dernière, il rendit visite à Shimon Peres pendant les Chiva (la semaine de deuil) : il rappela l’urgence de l’amendement de la loi devant un Shimon Peres visiblement impressionné par son opiniâtreté. Puis Rav Friedman changea de sujet : «Avez-vous déjà prévu quelqu’un qui se chargera de réciter le Kaddich pour votre défunte épouse ?» Non, le président de l’Etat israélien n’avait pas encore réfléchi à la question. «Alors je m’en occupe !» déclara Rav Friedman.
Et c’est ainsi que, grâce à une tasse de thé offerte à un vieux ‘Hassid à six heures du matin, la défunte Madame Sonia Peres mérita qu’il récite durant toute l’année le Kaddich à sa mémoire !

Menachem Cohen – Kfar Chabad magazine n°1458
Traduit par Feiga Lubecki