Ce que j’ai toujours aimé dans la fête de Souccot, c’est la Mitsva des Quatre Espèces qu’on accomplit chaque jour (sauf Chabbat) en prononçant la bénédiction et en secouant – délicatement – le Loulav (branche de palmier, comparé à une colonne vertébrale), les Aravot (branches de saule dont les feuilles ressemblent à la bouche), les Hadassim (feuilles de myrte semblables à l’œil) et l’Etrog (cédrat symbolisant le cœur).

Le Rabbi nous a demandé de proposer à tout Juif d’accomplir cette Mitsva et, à l’approche de mes vingt ans, je décidai de surmonter ma timidité : oui, j’allais avoir l’audace (symbolisée par le Loulav, bien droit) de m’approcher d’autres Juifs, cœur à cœur (c’est le message de l’Etrog n’est-ce pas ?), de leur parler avec ma bouche (mes Aravot) et de les regarder droit dans les yeux (avec mes Hadassim) pour que ces Juifs que je rencontrerai soient aussi heureux que moi d’accomplir la Volonté de D.ieu et s’unissent avec une Mitsva.

Au début, la première personne qui me dit NON me déstabilisa : trop occupé ou gêné de ne pas connaître la bénédiction… que sais-je. Je décidai alors de me rendre dans les hôpitaux et les maisons de retraite : c’était avant que les règles d’entrée ne deviennent très strictes.

D’abord je limitai mes visites à des personnes que je connaissais ou qui m’avaient été recommandées par des amis. Puis, petit à petit, j’élargis le cercle avec les voisins de chambre et même avec les médecins et infirmières que je croisais dans l’ascenseur. Une fois, j’ai rencontré un médecin et je l’ai accompagné jusqu’au onzième étage parce qu’il m’avait fallu plus de temps que d’habitude pour obtenir son accord et le convaincre de prononcer la bénédiction en secouant le Loulav…

Puis vinrent les miracles. Une fois, j’entrai dans une chambre où une visiteuse se tenait près d’un malade apparemment très malade. Je me présentai et la femme me prévint : «Inutile d’essayer, cela fait un an qu’il ne parle plus !». Nullement impressionné, je répondis doucement : «Ce n’est pas grave, je vais juste placer le Loulav dans sa main !». Le croirez-vous ? En tenant ainsi le Loulav, l’homme se mit de lui-même à réciter la bénédiction ! Toutes les personnes présentes poussèrent un cri d’étonnement et la dame éclata en sanglots. Je sortis de la chambre sur la pointe des pieds…

Une autre fois, je rencontrai un jeune homme aveugle d’Afrique du sud. Je ne me souviens même pas s’il parlait anglais. En tous cas, il portait un nom juif et je lui ai mis le Loulav dans les mains. Il a immédiatement compris de quoi il s’agissait et a récité la bénédiction après moi, mot à mot. Quand il me rendit le Loulav, il se mit à verser des torrents de larmes. Apparemment, ce geste qu’il n’avait pas accompli depuis de nombreuses années l’avait submergé d’émotion. Ému moi aussi, je me mis à pleurer avec lui pendant dix bonnes minutes !

Un patient à propos duquel on m’avait prévenu que c’était peine perdue car il était réfractaire à «ce genre de tours» et qui était d’ailleurs particulièrement malade accepta ma visite ; nous avons bavardé agréablement mais il refusa fermement de secouer le Loulav. Je me suis levé pour partir, un peu déçu à vrai dire mais, à ce moment, il me rappela d’une voix forte : «D’accord, je vais le faire ! C’est bien pour vous faire plaisir ! Revenez… !»

Et puis il y a des moments amusants… Comme cette vieille dame dans une chaise roulante à qui je proposai le Loulav. Elle le prit et l’admira en approchant d’elle les Quatre Espèces. Je croyais qu’elle voulait l’examiner de plus près pour vérifier si l’Etrog était bien semblable à ses souvenirs mais… elle n’avait presque plus de souvenirs et croyait que c’était son repas qu’on lui apportait ! Elle ouvrit la bouche pour croquer l’Etrog ! Mais je fus plus rapide qu’elle et réussis à sauver ce fruit si cher qui ne peut être mangé qu’en confiture et après la fête !

Parfois on gagne, parfois on perd, c’est la vie !

De fait, objectivement, ce n’est jamais perdu. Le Rabbi raconta une fois qu’un jeune ‘Hassid était revenu très déçu d’une tournée dans les petites villes du Midwest où il avait eu l’impression de n’avoir rien fait pour renforcer le judaïsme là-bas : il n’avait pas rencontré un seul Juif !

Le Rabbi ouvrit un tiroir de son bureau et en tira une lettre qu’il avait reçue d’une dame qui habitait justement dans le Midwest : elle avait aperçu par sa fenêtre un jeune Loubavitch, avec barbe, chapeau et Tsitsit. Ce spectacle l’avait impressionnée et lui avait rappelé de vieux souvenirs. Emue jusqu’au plus profond de son âme, elle avait décidé de s’intéresser davantage à son judaïsme… Donc, sans le savoir, il avait gagné !

Peut-être le spectacle étrange d’une jeune homme arpentant les corridors d’un hôpital avec un bouquet qui n’est autre qu’un Loulav et un Etrog aura réveillé plus d’un cœur juif. Et même si personne ne m’a remarqué ce jour-là, mon âme juive chantait de joie et cette musique a bien dû être entendue quelque part…

Y. Fishman – www.chabad.org

Traduite par Feiga Lubecki