Yifra’h avait étudié la Torah durant plusieurs années auprès de Rav Chnéor Zalman Gafni, le directeur de la Yéchiva anglophone du village de Kfar ‘Habad, en Israël. Il avait apprécié ses compétences, sa chaleur, son écoute et, grâce à lui, était revenu sur le chemin d’un judaïsme joyeux, bien compris, ouvert et actuel. Yifra’h, qui avait du mal à s’intégrer en Israël, demanda au Rabbi où s’installer et le Rabbi lui avait répondu de retourner s’installer dans sa ville natale, St Pétersbourg en Russie. De fait, il s’y était marié, s’était lancé dans les affaires et avait fort bien réussi.

A l’occasion de l’anniversaire du décès de sa mère, Yifra’h retourna en Israël en janvier 2013. Il voulut profiter de ce court séjour pour revoir son professeur mais cela s’avéra plus difficile que prévu. Tout d’abord, il le chercha à la Yéchiva de Kfar ‘Habad mais Rav Gafni ne s’y trouvait pas. Yifra’h se rendit alors à Bné Brak, au domicile de Rav Gafni où il était venu si souvent auparavant mais celui-ci avait déménagé et nul ne connaissait sa nouvelle adresse.

Yifra’h ne désarma pas : il devait absolument retrouver son ancien professeur ! Il se renseigna auprès de tous les centres ‘Habad qu’il pouvait localiser.

La veille du Yortsaït, Yifra’h se rendit à Tsfat (Safed), la ville des Kabbalistes, là où sa mère était enterrée. Bien entendu, il demanda à tous les Loubavitch qu’il pouvait rencontrer, surtout dans le quartier ‘Habad, s’ils savaient où habitait Rav Gafni. Quelqu’un se rappela qu’il avait effectivement entendu que Rav Gafni allait s’installer à Tsfat mais il ignorait s’il avait déjà mis son projet à exécution.

De fait, Rav Gafni habitait à ce moment-là chez un de ses élèves dans la ville de Tsfat (et non dans le quartier ‘Habad) et c’est pour cela que les gens ne savaient pas encore s’il était déjà dans la ville ou non. De plus, Rav Gafni avait changé de numéro de téléphone portable et n’avait pas encore de ligne fixe. Tentant sa chance une dernière fois, Yifra’h se mit à arpenter les rues de la ville dans l’espoir de retrouver son maître.

Déçu, il s’apprêta à prendre le car à la gare centrale pour rejoindre le centre du pays et prendre l’avion le lendemain pour la Russie. C’était précisément le jour des dernières élections qui eurent lieu en Israël et, à la gare, Yifra’h rencontra un jeune Loubavitch qui rentrait chez lui afin de s’acquitter de son devoir électoral. Celui-ci était persuadé de l’avoir déjà rencontré – ce que Yifra’h contestait - mais brusquement, le jeune homme se souvint : « Mais oui ! Il me semble vous avoir déjà rencontré chez Rav Gafni ! »

- Justement ! Je le recherche désespérément ! s’écria Yifra’h.

Il s’avéra que le jeune homme n’était autre qu’un des petits-fils de Rav Gafni !

Oui, il savait que son grand-père se trouvait à Tsfat mais ne connaissait pas son adresse. Ni même son numéro de portable car il venait d’en changer (merci, pensa Yifra’h, je m’en étais aperçu moi aussi !). Par contre, il connaissait bien entendu le numéro de sa mère et celle-ci devait normalement connaître le numéro de son père, Rav Gafni. Bref, quelques instants plus tard, Yifra’h arrivait, très ému, chez son ancien maître avec une enveloppe mystérieuse…

- Incroyable ! murmura Rav Gafni quand il reçut l’enveloppe des mains de son ancien élève.

Yifra’h était devenu collectionneur ; il aimait se procurer toutes sortes de manuscrits rares et anciens des Rebbéim. Au début du mois de Chevat de cette année, Yifra’h s’était rendu au 770 Eastern Parkway à Brooklyn et un spécialiste de Judaïca qui connaissait la passion de Yifra’h pour les manuscrits lui proposa des lettres signées de la main du Rabbi et adressées à différentes personnes, datant de près d’un demi siècle. Feuilletant les lettres, Yifra’h fut stupéfait : il avait trouvé deux lettres, datant de plus de quarante-six ans, écrites à son maître, Rav Gafni (qui, lui-même, se demande pourquoi ces lettres ne lui étaient jamais parvenues !). Yifra’h, qui n’avait pas revu son ancien maître depuis bien longtemps, estima qu’il devait se procurer ces lettres et les lui offrir lors de son prochain voyage en terre sainte.

Bouleversé de recevoir une lettre du Rabbi après tant d’années, Rav Gafni ouvrit la lettre avec émotion, non sans avoir préalablement mis sa veste, son chapeau et son Gartel, sa ceinture de prière, en signe de respect.

L’enveloppe contenait deux lettres.

Dans l’une d’elles, datée du 28 Iyar 1967, le jour de la libération de Jérusalem, le Rabbi terminait sa lettre en souhaitant à Rav Gafni : « Celui qui change d’endroit change aussi de Mazal, de destin ! »

« Il faut comprendre, explique Rav Gafni, très ému quand il raconte cela, que j’avais habité près de cinquante ans au même endroit, à Bné Brak et que le déménagement dans une autre ville n’avait pas été facile au point que je m’étais demandé plusieurs fois si je ne devais pas revenir dans mon ancien logement. Soudain je reçois une lettre écrite il y quarante-six ans, dans laquelle le Rabbi m’encourage dans cette initiative ! Tous mes doutes se sont envolés et il n’existe pas de satisfaction plus grande que la disparition des doutes ! »

Bien entendu, Rav Gafni et Yifra’h se sont assis pour boire Le’haïm, A la vie ! et discuter ensemble.

« J’étais tellement ému, regrette Rav Gafni, que je n’ai même pas demandé à Yifra’h son nom de famille et son adresse… Mais je suis sûr qu’il viendra de nouveau me rendre visite, puisqu’il sait où j’habite, ajoute-t-il avec un sourire malicieux. Nous sommes maintenant entièrement rassurés que nous avons effectué le bon choix en venant nous installer ici ! Après tout, nous avons reçu une réponse du Rabbi, datée de quarante-six ans !

Yitzchak Cohen – Kfar Chabad N° 1500

Traduit par Feiga Lubecki