En tant qu’avocat à Los Angeles, j’ai eu le privilège de représenter Chabad of the Valley durant des années, sous la direction du regretté Rav Yehoshua B. Gordon.

En 2005, Chabad of the Valley se trouva mêlé à une sale histoire de faillite frauduleuse : des hommes d’affaires qui avaient offert leurs contributions aux activités du mouvement ‘Habad voulaient maintenant les récupérer et prétendaient que cet argent leur avait été extorqué.

Si l’argument avait été accepté par le tribunal, cela aurait signifié une énorme perte financière pour le mouvement ‘hassidique. Lors de l’instruction, Rav Gordon fut appelé à déposer son point de vue et je l’accompagnais. Il dut répondre à de nombreuses questions quant au travail effectué par le mouvement et la destination des fonds récoltés. Rav Gordon répondit de façon claire, expliquant exactement le fonctionnement de ses institutions, ce qui éveilla l’admiration de l’administrateur de tutelle.

Durant la pause pour le repas, Rav Gordon me prit de côté pour me demander comment j’avais jugé ses arguments et sa stratégie de défense. Puis, soudain, il changea de sujet et me posa une toute autre question : le conseiller de l’administrateur était-il juif ?

Je répondis que je n’en avais aucune idée : «Mais, de toute manière, à quoi bon ? Nous sommes en plein dans une confrontation très sérieuse, nous approchons du procès, le dossier touche à sa fin et les risques sont énormes !...»

Une telle réponse ne convenait pas à Rav Gordon. Il affirma que, durant l’interrogatoire, il avait «senti quelque chose de juif» dans la façon du conseiller de poser ses questions sur le mouvement Loubavitch. Le «radar d’Ahavat Israël» de Rav Gordon fonctionnait constamment, même dans des situations aussi tendues qu’un procès !

- J’ai cru sentir une âme juive, insista-t-il. Je peux me tromper mais je ne le pense pas.

Et Rav Gordon m’annonça que notre collation devrait attendre car il devait courir prendre quelque chose dans sa voiture dans le parking souterrain. Je supposais qu’il allait chercher des documents qui nous aideraient dans notre déposition et me dirigeais vers la cafétéria pour manger tout seul mon sandwich. Rav Gordon revint, non pas avec des papiers mais avec sa pochette de Téfilines et des yeux pétillants de joie : «Si c’est un Juif, je veux lui faire mettre les Téfilines ! Je vous en prie, Barou’h, laissez-moi faire, je suis conscient de ce que je fais et c’est très important pour moi !».

J’étais hors de moi : «Vous êtes complètement fou ! Ce n’est ni l’endroit ni le moment pour cela ! Dois-je vous rappeler que vous risquez gros dans cette affaire ? Laissez tomber votre histoire de Téfilines et concentrons-nous sur ce procès !».

Mes arguments ne servirent à rien. Rav Gordon prit son sac de Téfilines dans la salle où devait se poursuivre l’interrogatoire.

Durant la dernière heure de cette séance épuisante, Rav Gordon demanda poliment au conseiller quel âge il avait et s’il était juif.

- Comment ? s’indigna-t-il. Ici, c’est à moi de poser les questions et c’est à vous d’y répondre !

A ce moment, je pris ma tête entre mes mains, sentant que cela tournait au roussi. Mais Rav Gordon insistait :

- Bien sûr, je répondrai à vos questions mais pouvez-vous, je vous prie, répondre à la mienne : êtes-vous juif ?

Le conseiller demanda au clerc qui prenait des notes de toutes les conversations de poser son stylo.

L’air ennuyé, le conseiller répondit à Rav Gordon qu’il approchait de la soixantaine et qu’il était effectivement juif mais pas aussi pratiquant que nous. Pouvions-nous maintenant reprendre l’interrogatoire ?

Rav Gordon ne semblait pas tendu. Il se mit à expliquer ce que sont les Téfilines en demandant au conseiller s’il les avait déjà mis une fois dans sa vie. Très irrité maintenant, celui-ci répondit sèchement qu’il n’avait jamais mis les Téfilines auparavant et qu’il était temps de retourner aux choses sérieuses.

Repoussant les papiers, Rav Gordon demanda au conseiller s’il pouvait lui mettre les Téfilines… Désespéré, je ne donnai même pas un coup de pied sous la table à Rav Gordon car, le connaissant, je savais que cela ne servirait à rien.

Le conseiller déclara d’une voix forte que cette pause était maintenant terminée, qu’il ne croyait en rien de ce que Rav Gordon essayait de lui «vendre», qu’il refusait absolument de participer au rituel des Téfilines. Il demanda à ce que le clerc reprenne ses notes et qu’on complète cette déposition.

Deux mois plus tard, nous sommes retournés au tribunal pour entendre le jugement.

Le juge commença à parler dans le vague, sans laisser apparaître quelle était son opinion et qui gagnerait. A un moment donné, il demanda à Rav Gordon quel était le point de vue de la Hala’ha quant au droit des donateurs de récupérer éventuellement leur contribution charitable.

Sans notes et sans aucune préparation préalable, Rav Gordon (connu pour être un excellent conférencier et un érudit hors pair), répondit par une analyse détaillée qui aurait fait pâlir de jalousie n’importe quel talmudiste. C’était brillant, solide, bien argumenté, avec d’abondantes citations des décisionnaires des siècles passés.

Personnellement, j’étais absolument noyé dans toutes ces citations et ces idées complexes du ‘Hochène Michpat. Le juge semblait très satisfait de ce magnifique exposé. Il demanda aux deux parties de se retirer dans le hall et d’essayer de parvenir à un compromis avant qu’il ne soit obligé de juger.

Après des heures de négociation passées dans le hall, nous étions encore à des kilomètres d’un compromis - en termes de millions de dollars. Soudain Rav Gordon me saisit par le bras et je reconnus dans ses yeux cette lueur enchantée qui m’avait tant dérangée la dernière fois. Il annonça qu’il acceptait la décision de l’avocat général à une condition : après que tout ait été réglé, Rav Gordon aurait le privilège de mettre les Téfilines au conseiller. Celui-ci accepta, à condition qu’aucune photo ne soit prise. Ainsi prirent fin des années de procédure avec de chaleureuses poignées de main.

L’argent fut remis et Rav Gordon se rendit dans le bureau du conseiller pour conclure définitivement l’affaire en mettant les Téfilines au conseiller pour la première fois de sa vie.

Par la suite, Rav Gordon m’expliqua combien il était important pour lui de mettre les Téfilines à ce conseiller de Century City. «Reb Barou’h, vous devez comprendre que, pour moi, le procès me semblait passer au second plan à cet instant. Croyez-moi ou non, c’était insignifiant ! Tout ce qui m’intéressait alors, c’était de permettre à un autre Juif de mettre les Téfilines !».

Si je n’en avais pas été témoin moi-même, je n’aurais sans doute jamais pu croire pareille histoire ! Je réalisai alors que son intuition était infaillible et que son «radar Ahavat Israël» était correctement calibré !

Notre collaboration professionnelle et notre amitié se sont poursuivies durant des années plus tard. Il est devenu mon compagnon d’étude et un ami très cher. Dans mes moments difficiles, il voyait à l’intérieur de mon âme avec la précision du laser et il est venu m’apporter la consolation dans ma période de deuil. Il savait quoi dire et comment le dire. Sa moralité dans les affaires était à toute épreuve. Il ne craignait que D.ieu et ne craignait aucun homme. Il nous manque énormément !

Que son âme soit attachée à la Source de la Vie !

M. Barou’h Cohen - Collive