En 1961, j’étais encore un jeune étudiant de Yechiva. Durant l’été, j’avais sillonné le Tennessee pour apporter un peu de judaïsme à des Juifs habitant loin des grandes villes. Quand je retournai à New York, j’arrivais à une heure du matin devant la synagogue du 770 Eastern Parkway. C’était un jeudi soir, veille du 20 Av, anniversaire du décès du père du Rabbi. La grande salle était vide. Comme j’étais très fatigué à cause du voyage et de la chaleur, j’ai posé la tête sur une table et je me suis endormi immédiatement.

Au bout de quelques instants, j’ai senti que quelqu’un me tapotait l’épaule. Au début je n’ai pas réagi mais on continuait à tapoter et j’ai failli réagir de façon désagréable : j’étais épuisé et, a priori, je ne dérangeais personne. Mais j’ai fini par ouvrir les yeux : ce n’était autre que le regretté Rav Mordehai Aizik Hadakov, le secrétaire personnel du Rabbi ! Je me suis réveillé immédiatement et je me suis levé d’un bond, un peu honteux de m’être conduit ainsi et de ne pas lui avoir manifesté le respect qui lui était dû. Il me demanda d’où je revenais et quand j’étais revenu. Je répondis que j’avais agi comme Chalia’h (émissaire) du Rabbi au Tennessee et il me demanda si j’étais prêt à accomplir une autre mission. J’ai accepté sans hésitation bien sûr. Il était évident que, si Rav Hadakov me réveillait à cette heure-ci pour me confier une mission, c’était qu’il s’agissait d’une initiative du Rabbi.

Je l’ai suivi dans son bureau. Il me tendit une paire de Téfilines et expliqua : « Il y a un Juif du nom de Louis Shilder qui habite à Long Beach, à Long Island, à une heure d’ici. Tu dois te tenir devant sa maison à 6 heures du matin. Six heures pile. Ni avant, car il ne sera pas réveillé, ni après car il se rend à son travail. Quand tu seras chez lui, tu lui mettras les Téfiline et tu lui montreras bien comment les mettre par la suite tout seul. Ensuite tu lui laisseras les Téfiline en cadeau de la part du Rabbi ».

A l’évidence, ma nuit était terminée. Je me mis en route, arrivai devant la maison, attendis quelques instants et, à six heures pile, je frappai à la porte. On m’ouvrit de suite et l’homme qui se tenait là ne cacha pas son étonnement. Je me présentais comme envoyé par le Rabbi de Loubavitch pour lui mettre les Téfiline. L’homme se remit de sa stupeur, me fit entrer et tendit son bras pour que je lui mette les Téfiline tout en lui expliquant exactement tous les détails de la Mitsva. Quand ce fut fini, je voulus partir mais il me demanda de l’accompagner dans son trajet en métro. Et il me raconta ce qui s’était passé. « Votre Rabbi est un homme très intelligent ! Cette nuit, à minuit exactement, je suis entré dans son bureau pour une entrevue privée. Nous avons évoqué divers sujets, il m’a posé des questions sur ma famille, sur mon travail…

Puis il m’a demandé si je mettais les Téfiline et j’ai répondu que non. Il n’a pas réagi à cela et a continué à parler d’autre chose. Ensuite, il est revenu à la charge : pourquoi ne mettais-je pas les Téfiline ? J’ai répondu en toute bonne foi que je n’en possédais pas ! Il n’a pas réagi et a continué la conversation. Il s’intéressa beaucoup à mon emploi du temps quotidien, à quelle heure je me levais, à quelle heure je sortais de chez moi pour aller travailler etc. Au bout d’un quart d’heure, il me demanda mon adresse et, encore dix minutes plus tard – sans lien avec ce dont nous discutions, il demanda : « Si vous possédiez des Téfiline, les mettriez-vous tous les jours ? » Je répondis honnêtement que jamais on ne m’avait appris comment accomplir cette Mitsva. Alors le Rabbi ajouta : « Si on vous montrait comment agir et si vous aviez des Téfiline, les mettriez-vous ? » et j’ai haussé les épaules : « Cela ne me dérangerait pas ! »

Votre Rabbi s’est conduit avec une grande finesse et beaucoup d’intelligence ! Il a « lancé » ses questions mine de rien et, au bout de deux heures de conversation, à deux heures du matin, je suis sorti de son bureau. Comme vous le constatez, quand le Rabbi a reçu une réponse positive de ma part et a entendu – en passant – à quelle heure il était possible de « m’attraper » déjà ce matin, il a agi avec zèle sans attendre un jour de plus ! Il vous a envoyé chez moi quatre heures après que je sois sorti de chez lui, exactement à six heures du matin pour que je mette les Téfiline dès que je me suis levé et juste avant que je me rende au travail ! »

Rav Zalman Lipsker, Philadelphie (Pennsylvanie)

Kfar Chabad N° 1759

Traduit par Feiga Lubecki