Un dimanche en 2011, Rav Morde’haï Hirsch revenait chez lui après avoir chargé son camion de provisions au supermarché local. Du coin de l’œil, il remarqua une voiture garée maladroitement sur le côté : un homme âgé se tenait là, contemplant avec consternation son véhicule qui avait tout l’air d’avoir un pneu à plat.
Pour Rav Hirsch, c’était un peu un test : directeur du service Loubavitch en charge des parades de camions appelés « Tanks » (pour encourager gaiement les Juifs alentour à accomplir des Mitsvot, commandements divins), il n’est pas du genre à mettre les mains dans le cambouis ! D’ailleurs cela faisait plus de dix ans qu’il n’avait pas changé un pneu… Cependant, justement cette semaine, il avait enseigné aux étudiants de Yechiva qui travaillaient avec lui comment changer un pneu : mettre en place le crick, surélever le véhicule, enlever le pneu abîmé, acheter un nouveau pneu dans le garage le plus proche, remplacer le pneu… « Je leur avais expliqué comment agir mais c’était eux qui avaient accompli le sale travail… »
« Trois jours plus tard, alors que je conduisais, un des pneus me lâcha soudain : à plat justement ! Comme j’étais tout seul, je répétai l’opération que j’avais expliquée auparavant mais cette fois-ci, j’avais bien été obligé de l’effectuer moi-même ! Oui, malgré ma répugnance naturelle, je m’étais bien sali les doigts !
Bref, je ne suis pas le genre de sauveur prêt à m’arrêter pour aider un automobiliste en panne, surtout sur une route très fréquentée de Brooklyn où des centaines d’automobilistes circulent chaque minute et peuvent se charger de la corvée. Mais pour une raison que j’ignore moi-même, ce dimanche, alors que mon propre camion était bourré de denrées périssables qu’il valait mieux ranger au plus vite dans une chambre froide, je me suis tout de même arrêté. Après tout, j’avais encore tous les outils nécessaires pour la réparation disponibles dans mon camion à cause des deux incidents évoqués plus haut ».
Le vieil homme se présenta : Dr Hoffman. Son véhicule était chargé de toutes sortes d’objets hétéroclites, ce qui signifiait qu’il serait particulièrement difficile de récupérer un pneu de rechange – s’il en avait un… « Retirons déjà le pneu abîmé, proposa Rav Hirsch puis nous vérifierons si nous trouvons un pneu dans ce fouillis ».
A l’aide de ses propres outils, Rav Hirsch parvint à retirer le pneu usagé… et à bien se salir les mains évidemment.
- Et que va-t-on faire maintenant ? demanda anxieusement Dr Hoffman.
- Je sais qu’il y a un garage à dix blocks non loin de là. Donnez-moi l’argent pour acheter un nouveau pneu et je m’y rendrai avec mon camion.
Effectivement, il remonta dans son camion, alla acheter le pneu de rechange et retourna vers la voiture immobilisée. Entretemps, d’autres automobilistes avaient stoppé alentour pour proposer leur aide et, en quelques minutes, le nouveau pneu fut fixé à la place de l’ancien. Chacun pouvait reprendre la route.
Avant de repartir, Dr Hoffman demanda à Rav Hirsch ce qu’il faisait dans la vie : « Je travaille pour le Rabbi de Loubavitch, répondit-il pour résumer son engagement idéologique. Je suis un de ses Chlou’him (émissaires) pour ramener des Juifs à l’étude la Torah et la pratique des Mitsvot ». Ils échangèrent leurs cartes de visite et Rav Hirsch apprit ainsi que Dr Hoffman était psychiatre.
De retour chez lui, Rav Hirsch avait déjà oublié l’incident – si ce n’est qu’il dut passer quelques minutes à bien se laver les mains. Mais l’histoire n’était pas terminée.
Les jours suivants, Rav Hirsch remarqua qu’il avait reçu plusieurs coups de téléphone d’un correspondant inconnu – auxquels il n’avait pas pu répondre. Comme ce correspondant mystérieux semblait vraiment insister, il se décida enfin à répondre.
- Hello ! Vous souvenez-vous que vous m’aviez aidé à réparer mon pneu à plat la semaine dernière ?
- Ah oui, c’est vrai ! répondit Rav Hirsch.
- Et vous m’aviez dit que vous travaillez pour le Rabbi de Loubavitch, n’est-ce pas ?
- Absolument ! confirma le Chalia’h.
- Alors je veux que vous sachiez que c’est le Rabbi de Loubavitch qui vous a envoyé changer mon pneu !
- Hein ? Quoi ? Comment ? Répétez ce que vous venez de dire… ???
- Je suis sérieux ! C’est le Rabbi lui-même qui vous a envoyé ! Il faut que je vous explique :
Dans ma jeunesse, j’habitais à Brooklyn et me rendais chaque jour à New Square pour y travailler. Je connaissais la route par-cœur. Mais un jour d’été 1957, perdu dans mes pensées, je ratais la sortie de l’autoroute.
Cherchant à retrouver mon chemin (ni Waze ni GPS à cette époque !!!), je me retrouvai sur une toute autre route, complètement inconnue. A peine m’étais-je engagé sur ce tronçon, je remarquai un groupe de jeunes gens, barbus et chapeautés, massés autour d’une voiture sur le bas-côté. Je m’arrêtai, proposai mon aide : c’était un pneu à plat. J’avais tous les outils nécessaires dans ma voiture et je les ai aidés aussi bien que je pouvais. Pendant que nous nous efforcions ensemble de réparer le pneu, ils me racontèrent qu’ils étaient en route vers les montagnes de Catskill. Ils montrèrent du doigt la voiture derrière eux dans laquelle était assis le Rabbi de Loubavitch, profondément immergé dans l’étude d’un livre saint : de fait, ils accompagnaient le Rabbi qui désirait visiter la colonie de vacances Gan Israël (pour les garçons) et Camp Emounah pour les filles. (Ce fut une des seules fois en plus de 40 ans que le Rabbi quitta New York…).
Quand le pneu fut mis en place et que les ‘Hassidim reprirent place dans leur voiture, le Rabbi s’approcha de Dr Hoffman et proposa de le payer pour ses efforts.
- Pas question, protesta Dr Hoffman ! C’est ma Mitsva !
- Mais si quelqu’un travaille, il faut le payer ! rétorqua le Rabbi.
Dr Hoffman refusa fermement tout paiement.
Plus de cinquante années avaient passé et maintenant c’était Dr Hoffman qui avait un pneu à plat. « Quand vous m’avez aidé, je n’y ai pas pensé. Mais quand je suis arrivé à la maison, je me suis soudain rappelé ce jour d’été et les paroles du Rabbi : « Si quelqu’un travaille, il faut le payer ! ». Dans une route empruntée quotidiennement par des milliers de personnes – un tronçon reliant les quartiers juifs orthodoxes de Borough Park et Williamsburg – qui s’est arrêté pour m’aider à changer le pneu ? Un ‘Hassid Loubavitch de Crown Heights ! Et, de plus, quand je vous ai demandé ce que vous faites dans la vie comme on dit, vous m’avez répondu que vous travaillez pour le Rabbi de Loubavitch – vous êtes son émissaire ! Je n’ai pas pu m’empêcher de penser que, certainement, du Monde de Vérité où il se trouve actuellement, le Rabbi m’a remboursé ! ».
L’Chaïm N° 1586
Traduit par Feiga Lubecki
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- Publication : 3 septembre 2022