Il y avait déjà quelques années que je m’occupais de la prison de Beer Cheva, avant que n’y soit installée une aumônerie juive. Je circulais d’une aile à l’autre du bâtiment et j’enseignais la Torah à des prisonniers qui se regroupaient dans la petite synagogue ou carrément dans les cellules.
Dans chaque bâtiment, se trouvent des cellules appelées X dans lesquelles étaient gardés des détenus qui nécessitaient une protection particulière : soit qu’ils devaient être protégés des autres soit qu’il fallait se protéger d’eux.
Dans l’un des bâtiments, j’avais remarqué une certaine cellule X dans laquelle on ne me laissait pas entrer. J’en demandai la raison au gardien qui me répondit que ce n’était que par permission spéciale de la direction qu’on pouvait rendre visite à ce détenu. A la fin de la journée, je me rendis dans le bureau du directeur et lui expliquai que je désirais m’entretenir avec ce prisonnier X. Il me répondit que, pour cela, il fallait une permission des services de sécurité et ajouta qu’il souhaitait pouvoir obtenir cette permission lors de ma prochaine visite.
Effectivement, deux semaines plus tard, quand je me présentai à nouveau dans ce bâtiment, on m’accorda la permission d’entrer dans cette cellule mais à plusieurs conditions : je ne devais jamais tourner le dos à cet homme et je devais veiller à garder le dos contre le mur qui, de fait, était un grillage. De plus, si je me sentais en danger, je devais m’appuyer de toutes mes forces contre ce grillage.
J’entrai. Face à moi se tenait un homme très grand, au visage empâté et grossier ; il ne portait qu’un short et tout son corps était tatoué. Je lui ai tendu la main en annonçant que je m’appelais Moché. Il ne comprenait pas ce que je voulais de lui. Quand il me serra la main, j’eus l’impression qu’elle se trouvait prise entre deux tenailles. Je me suis assis sur une grosse boîte de conserves et lui s’assit sur son lit. Nous avons commencé à parler.
Il s’avéra que cet homme n’avait jamais eu de chance ; il avait quitté l’école à huit ans, avait vécu dans la rue et, très rapidement, s’était habitué à une vie de brigandage. Son père était drogué ; quant à sa mère, il valait mieux ne pas en parler ! C’était ainsi qu’il avait vécu entre des centres de réhabilitation et la prison : maintenant, il purgeait une très lourde peine pour attaque à main armée et meurtre.
Je sortis de ma poche deux livres de prières qui contenaient le Pirké Avot, les Maximes de nos Pères. Mais il ne savait pas lire… Je commençai à lui apprendre le premier verset qu’un père enseigne à son enfant : «Torah Tsiva Lanou Moché…», «La Torah que Moché nous a enseignée est un héritage pour tous les Juifs», vraiment comme à un enfant qui commence le Gan, l’école maternelle. Il s’intéressa, posa des questions et le temps passa. Je sentis que, dans mon dos, derrière le grillage, se déroulait une conversation, quelque chose d’inhabituel mais je n’y prêtais pas attention. Au bout d’un certain temps, le détenu me demanda : «Comment puis-je me rapprocher de D.ieu ?». Je lui demandai s’il avait célébré sa Bar Mitsva et il me répondit que non. Je continuai et lui demandai s’il savait ce qu’étaient des Téfilines. Oui, il en avait entendu parler, c’était des lanières qu’on enroulait autour du bras et sur la tête, n’est-ce pas ? Mais il ne les avait jamais mis. Je lui expliquai que, grâce à cette Mitsva, il pouvait s’attacher à D.ieu : j’étais heureux d’avoir devant moi un Juif qui, en mettant les Téfilines au moins une fois, sortirait du cadre de Karkafta, «celui qui n’a jamais mis les Téfilines» qui est promis à un sort peu enviable. Quand je voulus enrouler les Téfilines autour de sa main, j’aperçus dans sa paume un tatouage vraiment indécent. J’hésitai mais ne dis mot ; puis je me dis que si c’était une Mitsva, que cela soit compté à son mérite et que si c’était une faute, qu’elle soit portée sur mon compte ! J’attachai donc les Téfilines sur le tatouage.
Après avoir couronné sa tête avec les Téfilines puis enroulé la lanière autour de son doigt, je lui fis répéter mot-à-mot la bénédiction et le verset Chema Israël dont je lui expliquai le sens qui était valable aussi dans cette cellule X. Il en fut ému aux larmes.
En me levant, je lui promis que, d’ici deux semaines, je reviendrai.
Quand je sortis du bâtiment, le directeur de la prison vint à ma rencontre et me demanda comment j’avais réussi à rester aussi longtemps avec ce brigand et à l’intéresser. Des assistantes sociales et des éducateurs diplômés n’étaient pas parvenus à lui parler plus de cinq minutes. Je répondis : «Je ne lui ai pas parlé, j’ai parlé avec sa Nechama, son âme juive qui se trouve en exil et qui demande de l’aide, qui demande à être sauvée !».
Deux semaines plus tard, je me trouvai à nouveau devant la cellule X. Le détenu m’accueillit avec un grand sourire et s’empressa de m’annoncer : «Monsieur le rabbin ! J’ai compris que vous n’étiez pas à l’aise avec le tatouage sur ma main. Alors je l’ai frotté avec du sel et j’ai réussi à l’enlever !». Il me montra sa main et j’eus un sursaut : de fait, sa main avait été comme brûlée ! La peau et même la chair avaient été «épluchées» : le tatouage avait effectivement disparu – mais avec une partie de lui-même !
Je pensai : quand on se brûle avec le fer à repasser, c’est une seule fois et la douleur est immense. Là, il avait dû frotter encore et encore du sel sur sa main et je n’osai pas imaginer la douleur qu’il avait certainement ressentie des dizaines de fois durant ces deux semaines pour arriver à un tel résultat ! Et tout cela pour mettre les Téfilines comme il convient !
«Qui est comme Ton peuple Israël, un peuple (saint) unique sur terre !».
Rav Moshe Dickstein – WhatsApp
Traduit par Feiga Lubecki
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- Publication : 5 novembre 2022