En 1971, mon mari, Reb Gershon Jacobson travaillait comme éditeur du Der Tog Morgen Journal, un journal new yorkais en yiddish. Un jour, il se rendit comme d’habitude au siège du journal et la porte était fermée – aucune explication, juste un écriteau : FERMÉ. Il tenta de téléphoner au propriétaire mais sans réponse. Les autres journalistes se demandaient quoi faire : ils comprirent que le propriétaire avait perdu beaucoup d’argent et avait tout simplement décidé d’arrêter les frais. Ce qui signifiait que les employés n’avaient plus de travail. La plupart d’entre eux étaient des personnes âgées, déjà proches de la retraite mais Gershon avait 37 ans et une famille de plus en plus nombreuse à nourrir.

Il devait agir rapidement. En attendant, il accepta toutes sortes de petits travaux d’écriture mais il devenait évident que les nombreux lecteurs du Der Tog Morgen Journal ressentaient un manque. Ils ne possédaient aucune alternative car les autres journaux écrits en yiddish étaient de tendance socialiste et antireligieux. Les lecteurs et annonceurs ne pouvaient y avoir recours, nul ne désirait y placer ses petites annonces ou y exposer ses publicités.

Bref, il fallait remplacer ce journal. Mon fils Chimon se souvient que le Rabbi tenait beaucoup à cela. De nombreux investisseurs furent contactés : ils étaient prêts à donner sa chance à un autre journal en yiddish, non pas quotidien mais hebdomadaire car ils étaient sûrs de perdre de l’argent. Ils acceptaient de s’engager pour six mois et il fallait donc assurer le plus vite possible le succès de l’entreprise.

Le problème était que l’ancien propriétaire avait revendu la liste des abonnés ainsi que le nom du journal à quelqu’un d’autre : il n’y avait ni lectorat assuré ni nom reconnu pour attirer des lecteurs éventuels.

Bien sûr, Gershon discuta avec le Rabbi de l’orientation du nouveau journal, qui devait y écrire et sur quoi insister. Il avait ses idées là-dessus mais s’en remit entièrement au Rabbi. Sa première question était quel titre donner au journal. Il souhaitait que quiconque s’arrête devant un kiosque à journaux reconnaisse que ce journal était digne de confiance et l’achète immédiatement. Quel titre pourrait transmettre tout ceci en un mot ou deux ?

Le Rabbi répondit : Algemeiner Journal.

Aujourd’hui, nous sommes habitués à ce titre, si normal, si naturel à New York. Mais à l’époque, cela sonnait étrangement : algemein signifie : «général, pour tout le monde». Ce qui signifie que le journal était appelé «le journal de tout le monde». Le Rabbi expliqua que ceci transmettrait immédiatement au lecteur l’idée que ce journal lui était destiné.

De plus, ajouta le Rabbi, le journal ne devrait pas être affilié à un groupe ou une institution, pas même au mouvement Loubavitch. Il devait être totalement indépendant et chacun devrait pouvoir s’y exprimer librement : c’était là une idée qui plaisait beaucoup à mon mari qui souhaitait laisser une large variété d’opinions s’exprimer.

De fait, Gershon écrivait régulièrement un article d’opinion, un éditorial appelé Mein Meinung, «Mon opinion personnelle». Mais si quelqu’un voulait écrire exactement le contraire de son opinion, il l’imprimait aussi. Parfois des gens allaient jusqu’à l’attaquer mais il imprimait tout. Telle était la beauté du Algemeiner Journal. Le résultat fut qu’il attira une grande variété de lecteurs, pas forcément pratiquants.

Le premier numéro du Algemeiner Journal parut le 25 février 1972. Tous les exemplaires se vendirent comme des petits pains. Il n’y en avait plus un seul numéro dans la ville et les gens se disputèrent le dernier exemplaire. Ceux qui n’avaient pas réussi à l’obtenir suppliaient qu’au moins on le leur prête. Ce fut un succès qui dépassait les espérances les plus folles. Et il en fut de même pour le second numéro. En quelques mois, la diffusion doubla et le Algemeiner Journal devint un élément incontournable de la vie juive de New York. Ce n’était pas un journal Loubavitch – même si Gershon mettait l’accent sur les opinions du Rabbi quant aux problèmes urgents comme la question de  «Qui est juif ?» et les campagnes de Mitsvot comme celle des Téfilines : comme il le disait si justement, ce n’était pas des problèmes concernant seulement Loubavitch mais cela concernait tous les Juifs. Oui, les Loubavitch sortaient dans la rue pour encourager les Juifs de tous horizons à mettre les Téfilines mais – ainsi que le Rabbi le fit remarquer à plusieurs reprises – c’était de fait un commandement de la Torah. C’était une loi juive conforme au Choul’hane Arou’h et non pas un souci du seul mouvement Loubavitch. Le Rabbi mentionna plusieurs fois à Gershon qu’il atteindrait mieux son but s’il ne mentionnait pas le mouvement Loubavitch et c’est ainsi que Gershon écrivit ses articles.

A un moment, Gershon reçut plusieurs plaintes comme quoi le journal n’était pas assez religieux. Il en parla au Rabbi qui répondit : «Je n’ai aucun doute que d’autres gens estiment que le journal est trop religieux !». Et il ajouta ce conseil : «Un journal est fait pour des gens qui lisent des journaux, pas pour ceux qui sont assis et qui étudient la Torah toute la journée ! Dans le Algemeiner Journal, il ont au moins l’occasion de lire des articles qui contiennent des mots de Torah, parmi toutes les rubriques qui les intéressent comme la littérature, la culture et autres articles écrits par d’excellents journalistes. Si vous ne leur donnez pas ces thèmes, ils n’achèteront pas le journal. Mais quand ils l’achètent, ils recevront aussi des mots de Torah, des nouvelles des institutions religieuses et des événements communautaires et religieux, avec des renseignements sur le judaïsme. Si vous offrez cela à vos lecteurs, vous aurez rempli votre rôle».

Telle était la sagesse du Rabbi et Gershon suivit ses conseils. Grâce à cela, le Algemeiner Journal devint un immense succès.

 Mrs Tzivia Jacobson - JEM

Traduite par Feiga Lubecki